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Comment la démocratie coréenne a-t-elle dompté Covid-19 ?

Analyse et récit
10 Janvier 2020 – 15 Avril 2020

Partie I. Traçage, isolement, consensus thérapeutique, et déconfinement

François Amblard *

Physicien et biologiste, Directeur de recherche au CNRS


Professeur, Ulsan National Institute of Science & Technology, Corée du Sud
famblard@protonmail.com
@FrancoisAmblar1

Ulsan, le 15 avril 2020

*François Amblard est depuis 2015 Distinguished Professor dans le département de Physique et celui des Sciences de la vie à l’UNIST
(Ulsan National Institute of Science & Technology, Corée du Sud), en détachement du CNRS. Ancien élève de l’École Polytechnique
(1982), il fut successivement Directeur de Recherche au CNRS, comme chef d’équipe dans le Département de Physique de l’Institut
Curie (1998-2015); Chargé de recherche au Laboratoire de Physique Théorique, puis de Physiologie à l’École Supérieure de Physique
et Chimie Industrielle de Paris (ESPCI) de 1995 à 1998 ; Chercheur post-doctoral à l’Université de Princeton (États-Unis) de 1993 à
1995). Également Directeur Scientifique d’une start-up : instrumentation et diagnostic par cytogénétique moléculaire (1992-93),
Pasteur-Weizmann Fellow et chercheur post-doctoral en immunogénétique à l’Institut Pasteur (1991-92), après un doctorat en
immunologie. Il anime, depuis sa fondation en 2003, le programme MD-PhD " Inserm-Bettencourt", en tant que professeur de physique
et membre fondateur de l’Association Médecine-Pharmacie-Sciences des étudiants chercheurs-médecins (AMPS).

1
Résumé

La Corée du Sud a endigué Covid-19 en plaçant son Korean Center for Disease Control (KCDC) au cœur de la
réponse sanitaire de crise. Par la loi, le KCDC reçoit la mission de diriger la totalité des opérations sanitaires, et jouit pour
cela de pouvoirs exécutifs d’exception, avec autorité sur la police et la justice pour les besoins de sa mission. L’ensemble
des actions contre la pandémie (dépistage, traçage, isolement sanitaire hospitalisation, autorisations et agréements
d’urgence…), mais aussi tous les outils administratifs et juridiques nécessaires, sont ainsi placés sous une direction unique.
Cette remarquable cohésion a permis une réponse très rapide et vigoureuse. Enfin, placé actuellement sous la direction
d’une professeure de médecine forte d’avoir lutté contre l’épidémie précédente, le KCDC jouit d’une autorité respectée
de tous, car fondée sur la connaissance scientifique, l’experience professionnelle, des actions et une communication
quotidienne transparente. Etant perçu comme un organe politiquement indépendant, son action est restée hors du champ
d’une critique politique et partisane vivace. La mise en œuvre, aussi rapide que massive, de la doctrine désormais bien
connue de dépistage-traçage-isolement a été rendue possible par ce contexte juridique et politique original, sans oublier
la mobilisation des industriels de la santé pour la conception des tests, approuvés sur le marché le 4 février, soit 14 jours
avant l’explosion coréenne de Covid-19. Le traçage des personnes ne concerne que les individus avérés porteurs ; il est
strictement rétrospectif et ne concerne que les deux semaines précèdant le test. En dehors du suivi sanitaire téléphonique
biquotidien, sans GPS, de toute personne positive pendant deux semaines d’isolement, il n’existe aucune procedure de
traçage, ni particulière, ni générale. La base de données, hébergée en dehors du gouvernement, est soumise à un stricte
contrôle d’accès ; toute demande d’information est enregistrée et elle sera détruite à la fin de la crise Covid-19. Ce 15 avril
2020, jour d’élections législatives sous haute protection sanitaire, aucune levée des mesures en vigueur n’a été annoncée.
Le systeme scolaire est fermé en totalité, et les cours passent graduellement en ligne ou la télévision. Aucune ré-ouverture
d’école n’est à l’ordre du jour, et des dizaines de milliers de tablettes numériques ont été données aux enfants de familles
n’ayant pas d’accès à internet. Aussi longtemps que nous n’aurons ni vaccin ni thérapie, le KCDC conservera son rôle de
pilote et ses pouvoirs d’exception. Pour préparer cette période d’attente, le gouvernement coréen collabore avec la société
civile et le monde de l’éducation afin d’imaginer un modus vivendi consensuel temporaire plus acceptable, mais sans
compromis avec la doctrine anti-Covid-19.

Le texte qui suit est le récit du vécu de l’épidémie en Corée du Sud. À partir de documents de première main et
de témoignages recueillis sur place, il propose une analyse approfondie des aspects épidémiologiques, juridiques et
médicaux de lutte contre Covid-19, ainsi que des perspectives de « sortie ». L’auteur est un chercheur français physicien
et biologiste qui, après ses travaux à l’Institut Curie (Paris), poursuit ses recherches depuis près de cinq ans dans une
université publique coréenne.

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Sommaire

Introduction

1. Traçage rétrospectif et isolement des porteurs de virus


1.1 Dispositif d’enquête individuelle
1.2 Stockage des données et garanties juridiques
1.3 Mesures découlant du traçage
1.4 Diffusion des données de traçage
1.5 Résistances et adhésion

2. Réponse médicale : isoler, protéger, et soigner


2.1 Stades cliniques : définition et orientation initiale
2.2 Recommandations thérapeutiques, chloroquinine, essais informels
2.3 Une hôtellerie d’isolement pour contenir Covid-19
2.4 Prise en charge et obligations des contacts du patient Covid+
2.5 Isolement systématique de tout voyageur entrant dans le territoire
2.6 Critères de sortie ou de levée d’isolement, règles ultérieures
2.7 Protection des personnes âgées
2.8 Y a-t-il eu saturation des hôpitaux, manque de tests ou de masques ?

3. Essais thérapeutiques en cours


3.1 Essai formel hydroxychloroquinine
3.2 L’Institut Pasteur de Séoul : ‘drug repositionning’ avec le ciclesonide (Alvesco)
3.3 Autres essais cliniques

4. Que faire une fois la courbe infléchie ?


4.1 Le bilan de Covid-19 en Corée du Sud
4.2 La vie quotidienne aujourd’hui : liberté et veille
4.3 Élaboration consensuelle d’un modus vivendi durable

Conclusion

3
Introduction

La Corée du Sud, une des nations les plus pauvres du globe il y 60 ans, s’est débarrassée du joug de la dictature
juste avant le début de ce siècle pour construire une démocratie très vivante, et elle nous donne aujourd’hui la preuve
qu’il est possible de protéger la santé des citoyens des ravages d’une pandémie dévastatrice. Sans rien mettre entre
parenthèses du jeu démocratique, sans rien limiter des libertés individuelles pour 99,98% de la population, sans jamais
fermer les frontières, le gouvernement et les 51 millions de Coréens ont réussi en quatre semaines à dompter le flux
quotidien de personnes nouvellement infectées. Le nombre des victimes de Covid-19 déplorées chaque jour n’a jamais
dépassé la dizaine. Le contraste saisissant avec les ravages de la pandémie dans la plupart des pays riches en Occident
devrait inspirer à notre nation, la France, une sincère et profonde humilité politique, mais surtout réveiller impérieusement
en nous une curiosité indispensable. Nous savons désormais tous que la première bataille contre le virus a été remportée
en Corée grâce à une doctrine très rigoureuse : dépistage massif, traçage des individus porteurs du virus, et isolement.
Avant de comprendre pourquoi nous avons failli, il est très urgent de comprendre ce que signifient dans la pratique ces
mots clés, tant ils résonnent aujourd‘hui comme des évidences. Vivant en Corée, mon devoir de chercher à comprendre a
pris la forme d’un rapport dont voici la première des deux parties. Dans les pages qui suivent, j’analyse la « solution »
coréenne à l’aune de plusieurs questions, qui en France sont aujourd’hui critiques :
- Comment briser les chaînes de contamination par le traçage rigoureux des contacts contaminants ?
- Quelles garanties juridiques face à l’intrusion dans la vie privée, et comment utiliser les données récoltées ?
- Comment soigner dans l’urgence, sans certitude scientifiquement établie sur les outils thérapeutiques ?
- Comment élaborer au plus vite un consensus thérapeutique acceptable ?
- Comment « sortir » du confinement avec une sécurité sanitaire maximale ?
- Comment rendre cette sortie consensuelle ?

Il est extrêmement probable que les solutions coréennes auraient des effets très positifs en France, mais elles
posent un problème d’échelle, car le nombre de personnes infectées est probablement cent fois supérieur chez nous.
Heureusement, cela n’est pas encore le cas Outre-mer, où ces solutions pourraient contribuer à contenir l’épidémie, car il
n’est pas trop tard. Elles devraient donc y être transposées sans attendre. Pour la métropole, malgré l’ampleur
considérable de la pandémie, ces solutions sont qualitativement très utiles, et devraient guider nos actions dès demain
matin.
Beaucoup d’idées fausses sur la Corée, mêlées à un complexe de supériorité alimenté par l’ignorance, conduisent
certains à penser que les solutions coréennes ne peuvent pas s’appliquer chez nous du fait de trop grandes différences
entre les deux pays. Dans la seconde partie, à paraître prochainement, je répondrai à cette objection par l’analyse des
points suivants : bases culturelles, politiques et épistémologiques de la confiance mutuelle entre l’État et la population ;
organisation juridique et politique de la réponse au désastre pandémique ; planification stratégique et entretien de la veille
sanitaire ; stratégie industrielle et mobilisation extrêmement rapide des industries de la santé ; logistique des tests et des
masques ; maintien d’infrastructures sanitaires de haut niveau ; enfin articulation entre les enjeux sanitaires, économiques
et diplomatiques.

***

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1. Traçage rétrospectif des porteurs du virus
Dans la loi élaborée après l’épidémie de MERS en 2015, le cœur de la doctrine repose sur deux piliers :
- identification de tous les individus infectés ;
- isolement strict de les tous patients asymptomatiques, et hospitalisation dès les premiers symptômes.
Grâce à cette doctrine, la contagion virale a été efficacement endiguée, sans jamais recourir au confinement généralisé
mis en place presque dans tous les pays, qu’ils soient ou non démocratiques. Le souci de ne pas attenter à la liberté
fondamentale de se déplacer, joue un rôle important en Corée du Sud, où le souvenir de la dictature a moins de trente
ans. Le régime de protection des données personnelles est du reste voisin de notre RGPD1, et toute intrusion dans la vie
privée requiert une autorisation judiciaire. Dans le contexte de pays voisins non-démocratiques, la Corée tient
éminemment à son modèle de démocratie ; nous en parlerons plus en détail dans la seconde partie de ce rapport.
Cependant, le souvenir de l’épidémie précédente, même si elle n’a touché que 186 personnes et causé que 35 décès, a
convaincu de la pertinence d’une loi d’exception, perçue comme une intrusion nécessaire dans la vie privée. L’ensemble
du dispositif d’isolement est présenté dans la section suivante, et nous discutons ici du dispositif de traçage par lequel le
système sanitaire dispose d’une vision extrêmement fine et quasiment complète de tous les individus infectés. Les deux
figures suivantes en donnent une parfaite illustration.

Situation détaillée et sous-groupes géographiques de la chaine de contamination initiée le 18 février à Daegu dans la secte Shincheonji
par le patient 31 (situation le 18 mars). Ce cluster constitue aujourd’hui 50% des personnes testées positives en Corée.

1 Règlement général sur la protection des données.

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À la date du 18 mars, voici la distribution géographique de la quasi-totalité des personnes Covid-positives,
patients asymptomatiques mis en isolement, patients symptomatiques admis à l’hôpital. Les cas importés ont
considérablement augmenté et représentent aujourd’hui 350 individus

1.1 Dispositif d’enquête individuelle


Cette connaissance très fine de la démographie et de la géographie des cas avérés Covid-positifs est le fruit d’un
travail d’enquête très minutieux, dont l’organisation est prévue en détail par le menu dans la loi de 2015 sur le contrôle et
la prévention des maladies infectieuses. Elle permet une surveillance épidémiologique aussi rapide que rigoureuse, qui
repose sans ambiguïté sur une intrusion dans la vie privée des individus positifs. La base légale de cette intrusion dans la
vie privée repose sur l’article 76-2 de cette loi qui, en situation de grave crise sanitaire, donne au KCDC des pouvoirs de
justice et de police lui permettant de déclencher les enquêtes de traçage sans la nécessité d’une autorisation de justice.
Le ministre de la Santé dispose également de ce pouvoir d’exception.
L’enquête est déclenchée obligatoirement, dès qu’un individu est positif au test RT-PCR SARS-CoV2. Si le résultat
du test est négatif, il est envoyé automatiquement par SMS à la personne testée. Si le test est positif, le sujet est dirigé
obligatoirement vers le confinement ou l’hôpital. En parallèle, il est pris en charge par un epidemiology officer, personnel
non-médical recruté pour son expérience et entrainé à la conduite d‘enquête. Ce fonctionnaire devient alors le référent
unique qui se chargera du patient pour l’ensemble des opérations d’enquête et de surveillance.
Son premier rôle sera de recueillir le « consentement » initial de l’individu concerné – ce qui relève plus de la
pédagogie ou de la politesse, car le refus est puni par la loi. En effet, la loi sur le contrôle et la prévention des maladies
infectieuses, votée en 2011 puis amendée en 2015 et 2016, donne de l’importance à cette articulation entre contrainte et
pseudo-consentement. J’interprète cette démarche symbolique, comme l’occasion donnée au citoyen de confirmer
individuellement son adhésion personnelle à la loi démocratiquement établie par la collectivité nationale. Rassurée par un
encadrement légal strict des conditions d’utilisation des informations que nous évoquerons plus bas, l’immense majorité

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des Coréens adhère à cette loi, car le bénéfice individuel et collectif d’une protection épidémiologique efficace est
considérable. La sensibilité des Coréens à la protection de la vie privée a conduit le législateur à organiser la collecte des
informations de façon très artisanale, par appels téléphoniques et emails, pour éviter la suspicion créée par les algorithmes
automatiques et autres boites noires ou systèmes d’écoutes incontrôlés. Cependant, face à l’ampleur de la crise Covid,
environ 50 fois supérieure à celle de MERS 2015, le constat fut rapidement fait que l’on ne pouvait pas mobiliser un
fonctionnaire pendant environ une journée pour enquêter sur une seule personne.

Schéma de l’enquête de recherche des contacts, exécutée pour toute personne testée Covid+ par PCR. Les moyens mis en œuvre
reposent sur les pouvoirs exécutifs d’exception accordés par la loi au KCDC en cas de crise sanitaire majeure. Ces pouvoirs lui donnent
autorité sur la police et la justice pour tous les besoins de sa mission.
La base de données est hébergée par un organisme extérieur à l’État, avec des règles d’accès encadrant son usage par l’État.
Cette base est provisoire, avec une obligation légale de destruction à la fin de la crise Covid.

Pour gagner du temps dans les procédures d’enquête, la loi a donc été modifiée pendant l’épidémie. Depuis le
16 mars, la procédure prend dix minutes au lieu d’une journée. Le principe reste que chaque personne est traitée par un
epidemiology officer unique, mais son rôle d’enquête se limite à recueillir le « consentement » initial et à transférer aussitôt
les informations d’identification collectées lors du test vers le KCDC. Ce dernier enregistre le cas dans ses serveurs puis
dans la grande base de données d’informations épidémiologiques Covid. Dans cette base de données temporaire, qui
n’existe que pendant la crise, l’enquête se poursuit de façon automatique. Le système se charge de demander
l’autorisation d’enquête à la police, qui est ensuite utilisée pour recueillir l’ensemble des données personnelles utiles. Il a
été mis au point en cours de route par une collaboration entre la police nationale, la Credit Finance Association, les trois
opérateurs mobiles de Corée, et les vingt-deux réseaux fournisseurs de cartes de crédit.
Outre les éléments de base (nom, numéro d’identité, adresse, numéros de téléphone…), ces données
personnelles incluent l’ensemble des transactions bancaires par carte, la succession des bornes téléphoniques contactées
par le téléphone. Sont également incluses des informations médicales (prescription, dossier médical 2 ), l’historique
d’immigration ou d’émigration dans des périodes limitées, et d’autres informations régies par décret présidentiel.
Les données GPS sont exclues de cette collecte. Elles peuvent être ajoutées à un stade ultérieur, et de façon
volontaire, lorsqu’une personne en isolement accepte de remplacer la surveillance téléphonique biquotidienne par une
application portable. À proprement parler, et hormis la triangulation grossière permise par les bornes téléphoniques, il n’y
a donc pas de véritable traçage géographique fin. Cela dit, l’universalité du paiement par carte de crédit signale la quasi-
totalité des opérations d’achat, de transport, de restaurant, de visite à l’hôpital, à la pharmacie…
L’enquête automatique permet donc de retracer un itinéraire assez grossier, mais pas d’identifier précisément
les contacts. C’est dans une seconde étape, avec l’officier épidémiologique traitant, que l’enquête se précise. Celui-ci reçoit
via le KCDC l’itinéraire établi par les algorithmes de la base de données, et demande au sujet positif de confirmer son
itinéraire, de chercher dans ses souvenirs pour le préciser, et surtout d’identifier autant que possible les personnes
rencontrées. À ce stade, les enregistrements des caméras de surveillance peuvent être mobilisées. Le refus de coopérer
expose le contrevenant à une sanction maximale d’un an de prison assortie d’une amende de 150.000 euros. Après

2 Dans ma propre expérience, le dossier médical ne fait pas partie des éléments les plus précieux de la vie privée en Corée, et la protection dont il fait
l’objet me semble très relative.

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vérification et apport de compléments subjectifs à l’enquête automatique, l’ensemble des informations est renvoyé dans
la base de données, via le KCDC. De nouveaux algorithmes sont alors mis en œuvre pour dresser la chaine complète de
tous les lieux visités, et de toutes les personnes potentiellement contaminées, et croiser ces données dans l’espace et le
temps avec l’ensemble des informations de la base. Ne laissant rien au hasard, le KCDC procède également à des tests PCR
post-mortem. Malgré les problèmes posés par ces conditions particulières, une réponse positive conduit aussi à une
enquête de traçage.

1.2 Stockage des données et garanties juridiques


Par la crainte de voir le gouvernement utiliser les données pour des motifs politiques, ou sans contrôle
démocratique, la loi dispose que toutes les données personnelles collectées par le KCDC soient regroupées dans une
grande base de données hébergée par un organisme extérieur à l’État, et même extérieur au KCDC. Il m’a été difficile d’en
savoir plus sur ce point, quant aux liens exacts entre la structure d’hébergement et l’État. Nous pourrions imaginer en
France confier ce rôle à l’INRIA, ou tout organisme professionnel de l’informatique, doté d’une indépendance suffisante
pour garantir que l’accès aux données ne déroge pas aux dispositions de la loi. Il me semble que la détention de cette base
de données par le ministère de l’Intérieur ou celui de la Santé n’aurait probablement pas été acceptée en Corée. Le 4 mars
2020, au cœur de l’épidémie, le parlement a approuvé quelques modifications dans la loi. Ainsi, tout citoyen peut contester
les faits enregistrés dans la base de données et diffusés aux autorités, et le ministère de la Santé a l’obligation de les
corriger, le cas échéant. D’autres dispositions ont été prises : autorisation donnée au ministère de la Santé d’interroger
l’assurance nationale de santé, nouvelles sanctions en cas de refus de coopérer à l’enquête individuelle, sanction en cas
de fausse déclaration, possibilité de limiter les exportations de biens sanitaires en pénurie, obligation de test PCR pour les
agents publics...
Plusieurs ministères et administrations ayant accès à cette base de données Covid, la loi inclut des dispositions
pour interdire le détournement des données personnelles. Le ministère de la Santé et le KCDC n’ont le droit de transmettre
des informations à d’autres administrations ou autorités locales que si elles sont pertinentes pour leurs missions, et
uniquement dans le cadre temporel de l’épidémie et dans le but de l’endiguer. Toutes les administrations ayant reçu des
informations de la base de données, sont tenues de les détruire, une fois la mission pertinente accomplie. Le KCDC a
annoncé publiquement son intention de détruire toutes les informations personnelles collectées pour lutter contre Covid-
19 à la fin de cette épidémie. Le respect de cet engagement méritera d’être observé. Il est cependant très probable que
les autorités de santé, la communauté médicale, et les chercheurs, préfèrent voir cette base de données totalement
anonymisée pour en faire un objet d’études épidémiologiques ultérieures.

1.3 Mesures découlant du traçage


La première exploitation des itinéraires est bien sûr d’identifier toutes les personnes ayant pu avoir un contact
proche avec le sujet déclaré positif. Toutes ces personnes contacts seront averties le plus rapidement possible par les
autorités sanitaires locales de leur lieu de résidence du risque qu’elles ont encouru. Tous ces contacts seront soumis à une
obligation de test et d’isolement, selon les procédures décrites plus bas.
Une autre série de mesures concerne les lieux par lesquels le sujet Covid-positif est passé. Tout lieu ayant reçu la
visite d’un sujet contact doit être désinfecté. Un bâtiment universitaire entier a ainsi été condamné de ce fait, puis
désinfecté. Il a été réouvert quand le sujet concerné a été reconnu négatif. Dans le cas contraire, les autorités municipales
auraient tout simplement fermé l’université le temps d’une quarantaine. Il en est de même pour les entreprises. Tout
établissement industriel ou commercial est fermé dès qu’il est reconnu avoir été visité par un sujet Covid+, et les
équipements de protection sont partout nécessaires en milieu professionnel (masques, gels, gants). Avec cette menace de
fermeture et la rigueur avec laquelle la protection des personnes est appliquée dans le milieu du travail, l’économie
coréenne a pour l’essentiel continué à tourner sans exposer personne au risque sanitaire. Dans le même esprit selon lequel
la protection des individus prime sur la production, le Vietnam a mis en place des mesures très dissuasives pour tout
employeur qui ferait prendre des risques à ses employés3.

3Voici le témoignage reçu le 13 avril d’un homme d’affaire français installé depuis trente ans au Vietnam : « Depuis la seconde semaine
d’avril, toutes les entreprises de plus de dix salariés doivent remplir un formulaire d’auto-évaluation du risque épidémique. Des équipes
de toutes les agences de l’État (police, armée, services vétérinaires et de sécurité alimentaire, douanes…) ont rencontré

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1.4 Diffusion des données de traçage
Une obligation de transparence et de publicité a aussi été inscrite aux articles 6 et 34-2 de la loi, pour que le public
dans son ensemble puisse suivre l’évolution de l’épidémie. Ces dispositions répondent au droit de savoir, pour lequel la
Corée est souvent classée en première position au niveau international, avec son concept de « gouvernement ouvert ».
L’obligation de publicité impose aux autorités locales de diffuser publiquement les informations utiles au citoyen.
Beaucoup plus qu’une opération de transparence, il s’agit là d’un des buts même des enquêtes du KCDC : protéger les
citoyens.
Des messages d’alerte sont ainsi diffusés, par SMS et éventuellement par mail permettant à chacun de se
positionner dans l’espace et dans le temps par rapport à l’itinéraire d’une personne porteuse du virus. Le rayon de diffusion
est d’environ cinq à dix kilomètres ici, mais beaucoup plus resserré en milieu urbain dense. Par exemple, le document ci-
dessous a été transmis par courrier électronique de la cellule Covid de l’Université. Chacun reçoit également un SMS moins
détaillé, destiné à la population générale locale. Dans tous les lieux vraiment très proches de l’itinéraire du sujet positif,
l’information est diffusée par voie d’affichage. J’ai ainsi été averti, le dimanche matin 16 février, par une affiche dans
l’ascenseur de ma résidence, du passage à proximité de la fameuse patiente 31, probablement à l’origine de la contagion
explosive par la secte secrète Shincheonji. J’ai ainsi vérifié que je n’avais pas pris le même TGV qu’elle ! Précisions ici que
l’annonce concernant un sujet positif ne donne que deux informations personnelles : l’âge et le sexe. Il est dès lors
relativement difficile d’identifier le porteur du virus.
Cette stratégie de publication est à double tranchant, car il peut provoquer l’anxiété ou entretenir la peur. La
transparence a été choisie, bien que la peur engendrée puisse être mauvaise conseillère. L’expérience prouve le contraire,
et personne ne m’a rapporté le moindre mouvement de panique. Le conditionnement entretenu par ces informations,
contribue au contraire à rendre visible une menace dont la nature invisible explique peut-être en partie les conséquences
catastrophiques du virus en Occident.
Dans le droit fil de la politique de transparence, en dehors du ministère de la Santé et du KCDC, le gouvernement
a ouvert un accès libre à toutes les informations anonymisées de la base de données. Cette initiative permet le travail des
chercheurs, mais aussi celui de développeurs capables dès lors de proposer très rapidement des applications pour
différents objectifs. Un groupe d’étudiants de mon université propose désormais un outil pour le suivi en temps réel de
l’épidémie dans ma région, et l’ensemble des chercheurs est désormais en mesure d’étudier cette épidémie, avec toute la
finesse des informations recueillies. Depuis le 16 mars, un lien a été mis en service entre la base de données
épidémiologique et une initiative plus large baptisée « Smart City Data Hub », portée par le ministère des Transports et
des Infrastructures, et celui des Sciences et des Technologies. Le but est de renforcer plus encore la numérisation de la
ville. À titre d’exemple, il existe désormais une application permettant de savoir quelle pharmacie de son quartier possède
encore des masques en stock4.

1.5 Résistances et adhésion


Y a-t-il eu résistance au déploiement de ce système de traçage des individus, inauguré pendant la pandémie
actuelle ? Oui, mais elle s’est limitée au cas très particulier de l’église de Shincheonji, forte de 320.000 membres d’après
les autorités, et reconnue ici comme une secte en raison de l’interdiction faite à ses membres de révéler leur
appartenance5. De ce fait, la secte a opposé un refus de principe pour livrer l’identité de ses membres, même après la
révélation du patient 31, revenu de Wuhan avec le virus, et qui l’a massivement répandu lors d’offices très peuplés.

personnellement tous les chefs d’entreprise pour les aider à remplir un formulaire d’auto-évaluation et calculer leur score de risque :
au-dessus de 80% l’entreprise est fermée séance tenante ; de 50 à 80%, trois jours sont accordés pour descendre en dessous de 50%
avant fermeture. Entre 30 et 50%, l’entreprise reste ouverte mais sous surveillance. Le risque est accepté sous le seuil de 20%, et bon
sous 10%. En fin de formulaire le chef d’entreprise signe et reconnait sa responsabilité légale et pénale au cas où des salariés seraient
victime du Covid-19 parce que les moyens n’auraient pas été mis en œuvre. L’entreprise est fermée sans la signature de cette clause de
reconnaissance d’une obligation de moyens. » Covid a été très bien contenu au Vietnam, et le PIB reste en croissance.
https://en.wikipedia.org/wiki/2020_coronavirus_pandemic_in_Vietnam
4 La distribution des masques est aujourd’hui réglementée, avec deux masques par semaine par personne pour le public, les achats se

faisant selon un jour dans la semaine selon l’année de naissance. Nous développerons la question des masques dans la seconde partie
du rapport.
5 https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Shincheonji_de_J%C3%A9sus

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L’attitude visant à chercher un consentement plutôt qu’un passage en force a retardé les opérations, et conduit le
gouvernement à autoriser le 4 mars des poursuites judiciaires vigoureuses. Ces poursuites ont par la suite révélé une
activité à Wuhan que la secte avait dissumulée. Après cet épisode, 60% de cas positifs ont été détectés sur 210.000
membres testés, et le cluster « Shincheonji » à Daegu représente 80% des cas positifs en Corée. Ces évènements, et le fait
que l’épidémie ait pu être majoritairement circonscrite à cette secte, ont probablement contribué à démontrer le bénéfice
de mesures légales d’intrusion exceptionnelle dans la vie privée, et renforcé l’adhésion massive de la population.

Pour chaque cas nouveau confirmé COVID positif, cette information fait l’objet d’une diffusion, ici avec une traduction en anglais pour
le personnel international de mon université, UNIST.

Pour conclure sur le traçage, il faut redire qu’il est strictement rétrospectif, avec destruction des données.
Dans le débat public européen sur ce problème, il me semble indispensable de réaliser que les mots sont ambigus,
et que leurs traductions rendent la chose plus confuse encore : traçage, pistage, tracking, tracing. Aucun de ces mots ne
fait sens si il n’est pas précisé. Rien n’est plus faux que de dire que les Coréens ont accepté d’être « suivis », au présent,
par leur GPS, leur téléphone ou leurs factures bancaires. La seule chose à laquelle ils ont démocratiquement consenti, est
une enquête « rétrospective », portant sur leurs déplacements passés pendant les deux semaines précédant la découverte
de leur statut de porteur. J’ai donc appelé cette mesure « traçage rétrospectif », pour bien la distinguer de tous les
dispositifs mis en place pour surveiller les actions « à venir ». Pendant l’isolement obligatoire, le suivi sanitaire deux fois
par jour avec un questionnaire, est conduit avec une conversation téléphonique ou une application mobile, à l’exclusion
de tout outil obligatoire de localisation GPS. À la sortie de l’isolement ou de l’hôpital, les sujets positifs sont reputés guéris,
et plus aucune obligation ne pèse sur eux, ni la moindre menace sur leur vie privée. Il n’y a d’intrusion dans la vie privée
que rétrospectivement, et seulement pendant l’enquête de recherche de contacts.
Le second élément du débat est le suivant. La base de données est non seulement temporaire, avec une obligation
légale de destruction, mais elle est hébergée à l’extérieur de l’Etat, avec un contrôle et un traçage des accès.

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2. Réponse médicale : isoler, protéger, et soigner
La population coréenne n’a fait l’objet d’aucune mesure collective de confinement, ni d’aucune obligation
générale de port du masque, pas plus que de restriction de déplacement. Même au pic épidémique, la ville de Daegu,
épicentre de la maladie, n’a pas été confinée. En revanche, toutes les personnes testées positives, sont soumises sans
exception à des mesures d’isolement, et hospitalisées dès l’apparition des premiers symptômes, comme nous le décrivons
ici.

2.1 Stades cliniques - définition et orientation initiale


Comme il est écrit plus haut, toute personne peut se soumettre volontairement à un test PCR, sans aucune
restriction, en passant ou pas par une prescription. Il est bien sûr prescrit automatiquement à toute personne dont le
système de traçage établit qu’elle a eu un contact avec une personne infectée. Le test est par également obligatoire pour
toute personne en provenance de l’étranger. Si le test est positif, le centre de prélèvement appelle le patient, mais la
réponse est envoyée par simple SMS si le test est négatif. Les questions relatives au dépistage seront décrites en détail
dans la seconde partie du rapport, qui sera publiée prochainement (historique, production, accès, prix et
remboursement...).
La classification des patients en quatre stades est faite après confirmation du résultat PCR, directement par le
centre de prélèvement si le patient a attendu le résultat sur place (quatre à six heures d’attente). Si le patient est rentré
chez lui attendre le résultat et s’il est positif, l’hôpital référent le plus proche du domicile effectue la classification et il
déclare le patient au KCDC, avec son stade de gravité. En réponse, la cellule de gestion des lits du KCDC contacte l’hôpital
référent, pour lui dire dans quel hôpital il faudra hospitaliser, ou dans quel centre d’isolement il faudra isoler le patient. Le
processus de traçage des contacts est engagé en parallèle, en commençant par le recueil du consentement à l’analyse
électronique rétrospective des interactions sociales, comme nous le décrivons plus haut.

1. légère : asymptomatique
2. modérée
3. grave
4. critique

Par comparaison, selon les recommandations françaises actuelles, la présentation paucisymptomatique évocatrice en
phase épidémique n’est plus une indication pour réaliser un diagnostic. Sur la base de cette suspicion, une surveillance
syndromique peut avoir lieu en ville, et conduire à un diagnostic clinique sans PCR, qui échappe aux statistiques.

Facteurs de risque de forme grave :


- Âge > 65 ans (70 ans en France selon le Collège de médecine générale 20/03/20)
- pathologie chronique : diabète, insuffisance rénale ou hépatique, pathologie respiratoire chronique, maladie
cardiovasculaire
- cancer sous traitement
- immunodépression : traitement immunosuppresseur, hémopathie maligne sous traitement, infection à VIH, greffe
- cas particulier : obésité morbide, grossesse, dialyse, tabac (tout fumeur testé positif est hospitalisé depuis le 4 avril)

Hospitalisation : concerne la totalité des personnes à l’exception de celle présentant une atteinte jugée légère. La prise en
charge se fait obligatoirement dans l’un des 69 hôpitaux désignés Covid-positifs, via un transport sanitaire spécial
sous pression négative. Comme cela sera précisé plus bas, le système hospitalier est partitionné avec des
établissements Covid et une majorité de Covid-négatifs.

Non-hospitalisation : Cette voie concerne tous les cas légers ou asymptomatiques sans facteur de risque ; ce qui
représente la majorité des patients Covid+. Ils sont orientés selon deux voies :
- entrée dans un living treatment center ou centre d’isolement

11
- mise en quarantaine et surveillance à domicile : auto-isolement
Le tableau suivant détaille l’orientation entre les deux voies et leurs modalités respectives.

Mode d’isolement
living treatment center ou centre d’isolement auto-isolement à domicile
Après une hospitalisation initiale Après une hospitalisation initiale
- patient sortant d’une hospitalisation après amélioration des - patient sortant d’une hospitalisation après amélioration des
symptômes mais non-négativation des tests PCR symptômes mais non-négativation des tests PCR
En admission directe si Après une hospitalisation initiale si
- maintien à domicile difficile : impossibilité d’être isolé des - isolement à domicile possible (chambre seule, toilette et salle
autres occupants du domicile, pas de domicile fixe, présence de bain spécifiques)
d’un occupant présentant des facteurs de risque de forme grave - approvisionnement possible en nourriture et produits de
(voir plus haut) première nécessité
- décision du médecin responsable, par exemple face à un risque - foyer sans autre occupant présentant des facteurs de risque de
de non-respect de l’isolement à domicile forme grave
Suivi du patient
- surveillance 2 fois/j par le personnel soignant - surveillance 2 fois/j par une application mobile dédiée ou par
- traitement symptomatique une conversation téléphonique avec le personnel soignant
- en cas d ‘évolution péjorative, une radio pulmonaire est faite, (température et symptômes, besoins divers) avec l’hôpital
en général dans un dispensaire ambulatoire dédié, et le patient référent local.
est conduit si nécessaire vers l’hôpital en ambulance à pression - traitement symptomatique
négative. - transfert vers l’hôpital référent si aggravation symptomatique

Notons ici que les personnes faisant l’objet d’un confinement à domicile, par le contact biquotidien avec leur
correspondant du KCDC (epidemiology officer), peuvent recevoir si nécessaire une aide matérielle (courses, besoins
divers…).

2.2 Recommandations thérapeutiques, Chloroquine, essais informels


À partir du stade 2, donc dès les premiers symptômes, tous les patients sont pris en charge dans l’un des 69 hôpitaux
désignés Covid+. La première étape systématique est un CT-scan. La maladie étant encore très mal connue, sans traitement
dûment reconnu par un processus, rigoureux mais lent, de médecine fondée sur les preuves, la pratique thérapeutique
actuelle repose en Corée sur un consensus qui s’élabore librement au fil de l’accumulation graduelle des données
scientifiques et thérapeutiques. Au pays des téléphones mobiles avec des communications numériques omniprésentes,
les praticiens sont en effet très étroitement reliés entre eux, par divers outils de communication de type « réseau social ».
Leurs points de ralliement sont le KCDC, mais surtout deux sociétés savantes, la KSID et la KATRD (Korean Society for
Infections Diseases et Korean Academy for Tuberculoses and Respiratory Diseases). Sans interférence gouvernementale,
ces sociétés savantes sont à la manœuvre pour l’élaboration du consensus, et la publication de recommandations.
Dans l’état actuel du consensus publié le 13 mars par la KSID, il est proposé en première ligne de mettre les patients
sous [lopinavir/ritonavir](Kaletra) ou [hydroxychloroquine](Oxiklorin) pendant 10-14 jours. En Corée, les médecins n’ont
pas l’habitude de prescrire l’hydroxychloroquine, et lui ont initialement préféré l’antiviral. Mais, avec l’article chinois publié
le 18 mars dans NEJM (Cao et al.) ne montrant pas d’efficacité de lopinavir/ritonavir sur 199 patients, et avec les résultats
du Pr Raoult en France presque à la même période, les praticiens coréens se sont tournés vers l’hydroxychloroquine. À ce
jour, les deux sont globalement utilisés. Cette alternative [lopinavir/ritonavir] ou [hydroxychloroquine] est actuellement
majoritairement préférée aux autres antiviraux, sans preuve formelle, mais un essai clinique est ici en cours. Certains
praticiens combinent l’azithromycine avec le Plaquenil, mais l’antibiotique semble cependant entrainer une toxicité sans
bénéfice additionnel significatif. Le remdesivir est abordé semble-t-il avec moins d’enthousiasme malgré sa bonne
tolérance clinique prouvée, même s’il a été inclus dans un essai clinique en cours. Pour ce qui est d’une recommandation
différenciée de l’hydroxychloroquine selon l'âge des patients et leurs comorbidités, aucune information n’est disponible.
Il n’y a pas, à proprement parler, de seconde ligne de traitement, mais seulement des traitements antibiotiques
spécifiques en cas de surinfections, notamment bactériennes. Pour la question de l’hydroxychloroquine qui fait tant débat
en France, l’attitude médicale majoritaire est de la prescrire dès la phase paucisymptomatique de la maladie, sans grand
espoir d’un effet aux stades avancés de Covid-19. La guérison est reconnue après deux test PCR négatifs, à 24 heures

12
d’intervalle, comme pour les patients asymptomatiques. Nous devons mentionner ici ce qui pourrait s’apparenter à une
seconde ligne, à savoir l’administration intraveineuse de plasma de patients Covid en convalescence. Après respectivement
dix jours et six jours sous hydroxychloroquine, puis Lopinavir/Ritonavir, avec une dégradation critique de leur état, deux
patients (respectivement 71 et 67 ans) ont vu leur tableau clinique s’améliorer très nettement en 1 à 3 jours, par
transfusion de plasma de patients immunisés6. Ces deux patients sont désormais guéris.
Devant l’absence de preuves thérapeutiques, qui prévaut aujourd’hui dans tous les pays au sujet de
l’hydroxychloroquine, l’attitude des autorités de santé coréennes repose sur la confiance envers les prescripteurs. En tout
état de cause, aucune polémique ne s’est développée ici sur le sujet, et chacun est à l’œuvre, du bas vers le haut, des
praticiens vers les autorités, pour trouver au plus vite un consensus thérapeutique face à la maladie. La médecine coréenne,
se livre là à des essais cliniques grandeur nature, sous haute surveillance collective. Pour atteindre ce but le plus
rapidement possible, aucune molécule n’est interdite, et toutes les restrictions sont levées sur les remboursements des
médicaments. Cette situation d’exception est à l’opposé de la pratique habituelle, qui repose sur un encadrement
extrêmement strict du volume des prescriptions, et des prix conclus avec les sociétés pharmaceutiques. Des essais
thérapeutiques bona fide ont été lancés en parallèle, selon les règles de l’art. Mais les règles de l’art elles-mêmes semblent
faire débat, et le corps médical devra vivre avec la frustration de controverses difficiles à trancher.
La position des autorités de santé coréenne soulève plusieurs questions, dont celle de savoir s’il est dangereux de
faire confiance aux médecins sur le front. Dans l’urgence de devoir agir sans savoir, est-il éthique d’agir sans la preuve
qu’on fera plus de bien que de mal ?
Au foyer principal de l’épidémie sur le sol coréen, la ville de Daegu et ses 2,5 millions d’habitants représente plus
de 80% des personnes atteintes de SARS-Cov2 en Corée, et une bonne partie des personnes ont été hospitalisées dans un
triangle de trois hôpitaux très importants. Une publication rendra très bientôt compte de façon relativement complète de
l’expérience clinique sur les 10.000 cas symptomatiques suivis localement.
Sources : communications personnelles, Pr Oka- MD-PhD – interniste et médecine respiratoire. Kosmin
University.
http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7359
http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7506
http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7522

2.3 Une hôtellerie d’isolement pour contenir Covid-19


Les living treatment centers sont des installations temporaires gérées par l’État. Il s’agit de divers types de lieux
(hôtels, résidences…) dont la destination usuelle est le logement, ou de tout lieu que l’État réquisitionne (immeuble,
logement inoccupé, bureau, salle de conférences publique ou privée) pour le rendre « habitable ». Certains lieux sont
désignés à l’avance dans les plans d’urgence que le KCDC a la charge d’établir et de tenir à jour. Dans la ville de Daegu,
l’explosion brutale du nombre de personnes contaminées le 18 février a provoqué une mobilisation immédiate de ce
dispositif de logements construits de toutes pièces en urgence. D’après mes informations, les grands groupes industriels
ont participé à cette mobilisation, à la construction et à l’équipement de ces lieux d’hébergement temporaire. Peu après
l’explosion virale, Samsung a ainsi donné 25 millions de dollars à la National Disaster Relief Association, sous forme
d’équipements de vie et d’accessoires de la vie quotidienne. Un dispositif semblable a été mis sur pied à Séoul. Pour les
touristes, l’isolement est parfois ordonné dans une chambre d’hôtel. Les aéroports ont aussi, depuis peu, des installations
de confinement analogues, pour l’accueil des voyageurs en attente du résultat des tests. La procédure désormais renforcée
de contrôle des frontières, avec l’isolement systématique de tous les voyageurs entrant sur le territoire, sans distinction
de nationalité. La procédure est décrite plus bas.
Ces centres d’isolement n’accueillent que des patients pauci- ou asymptomatiques, pour une surveillance simple,
mais aucun traitement médical n’y est délivré. Ils visent à désengorger l’hôpital des patients nécessitant un isolement sans
soins médicaux. Les équipements de base sont ceux nécessaires à un suivi simple (appareil d'oxymétrie de pouls,
thermomètre, tensiomètre) et à la protection du personnel. On y trouve des kits de produits de première nécessité
individuels (sous-vêtements, kits d’hygiène, etc.), ainsi qu’une pharmacie pour les traitements symptomatiques non
spécifiques (antipyrétiques, antitussif…). On y trouve également une capacité de prélèvement pour le dépistage par PCR,

6 Ahn et al. 13 avril 2020, Korean jounal of medical science. https://jkms.org/DOIx.php?id=10.3346/jkms.2020.35.e149

13
mais sans l’analyse PCR elle-même. En cas de surcharge hospitalière, ils peuvent accueillir un personnel médical, à
proprement parler, et du matériel médical plus lourd (appareil pour radiographie de thorax, etc.).
Cette notion de « centre d’isolement » est une nouveauté introduite par la loi née de la crise de MERS 2015. Elle
représente un élément essentiel du dispositif d’urgence mis en œuvre par le KCDC, qui permet de :
- délester les hôpitaux Covid+, tout en gardant la majorité du réseau hospitalier en mode Covid-negatif
- garantir des conditions strictes d’isolement pour les patients n’ayant pas besoin de soins, pour limiter la propagation de
la maladie
- exercer une surveillance paramédicale active permettant de transférer sans délai un patient nécessitant une surveillance
rapprochée voire des soins intensifs

Kit fourni au premier jour des quatorze jours d’isolement (Mme SungSoon Kim)

2.4 Prise en charge et obligations des contacts du patient Covid+


Toute personne sachant avoir eu un contact avec une personne diagnostiquée Covid+ (cas contact) doit se
soumettre à un dépistage PCR. Cette même obligation est automatiquement notifiée à toute personne identifiée comme
cible d’un contact potentiellement contaminant, par la base de données alimentée par les enquêtes approfondies du KCDC
décrites plus haut. Si le résultat est négatif, le « cas contact » est néanmoins dans l’obligation de s’isoler à domicile avec la
totalité de la maisonnée, avec une surveillance active pendant quatorze jours. Ce confinement est levé au lendemain du
quatorzième jour, après second test PCR négatif réalisé au plus tôt treize jours après le dernier contact. La fin de
surveillance est décidée par le centre Covid local référent, après quoi le centre d‘information centralisée du KCDC lève la
surveillance de son système.

2.5 Isolement systématique de tout voyageur entrant sur le territoire


La Corée n’a jamais fermé ses frontières et a décidé de rester active sur le plan de la coopération et du commerce
internationaux, alors que la facilité eût commandé de le faire. Par une volonté et un courage politique exemplaires du
président Moon – il s’est opposé sur ce point à la majorité du corps médical, aux autorités sanitaires et à une fraction
importante de la population. Garder ouvertes les frontières maritimes et aériennes n’est pas une solution de facilité car
cela implique un effort supplémentaire d’organisation et un surcroit de travail pour les forces sanitaires. Le dispositif mis
en place repose sur l’exécution rigoureuse de principes très simples.
1- Aucune personne symptomatique ne peut embarquer sur un vol régulier à destination de la Corée ;
2- Tout voyageur, d’où qu’il vienne, et quelle que soit sa nationalité, coréenne ou non, est dans l’obligation de
respecter un isolement strict de quatorze jours ;
3- Sur la base d’un questionnaire rempli pendant le vol, toute personne ayant eu dans les trois semaines passées
l’un ou l’autre des symptômes Covid, ou ayant pris des médicaments contre ces symptômes, sera testée à
l’aéroport même. Elle devra y attendre le résultat du test, avec un hébergement pris en charge si nécessaire. Dans
le cas contraire, le scénario diffère pour les voyageurs provenant d’une zone à risque (Europe/USA) ;
4- En provenance d’une zone de non-risque, l’obligation d’isolement vient sans obligation de test, et le transfert vers
le lieu d’isolement se fait par transport spécial, sans contact avec la population. Un test sera prescrit dès
l’apparition du moindre symptôme durant l’isolement ;
5- Pour les zones à risque, le passager est soumis à un test PCR réalisé à l’aéroport, où il doit attendre le résultat ;
6- Pour tous les voyageurs entrants, sans exception, l’isolement a lieu selon les mêmes modalités que la population
générale, à domicile ou dans un centre d’isolement s’il existe le moindre risque de contamination domestique. La

14
même surveillance sanitaire biquotidienne est exercée par un fonctionnaire attitré du service de santé, avec
transfert vers l’hôpital référent local dès le moindre symptôme.

Dans cet exemple que j’ai reçu le 13 avril, ce voyageur provenant d’une zone de non-risque a été testé positif près de la gare TGV
proche de mon domicile. Comme pour toute personne testée positive, son itinéraire est rendu public dans la zone concernée.

Pour les arrivants de zones à risque, la procédure est la suivante : les passagers sont mis à l’écart avant la récupération
des bagages, puis testés. Que la personne soit négative, ou positive mais asymptomatique, le service de santé (bus) ou un
taxi volontaire et équipé spécialement (désinfecté à chaque rotation) conduira gratuitement la personne dans son lieu
d’isolement, où elle recevra gratuitement tout un nécessaire d’isolement (quinze masques, thermomètre, deux boîtes de
gel sanitaire, sac-poubelle spécial pour séparer des autres, gants...). Pour toutes ces personnes arrivant de l’étranger,
l’ensemble de la prise en charge est gratuit, y compris les besoins d’approvisionnements de la vie de tous les jours.

2.6 Critères de sortie ou de levée d’isolement et règles ultérieures


Les mêmes critères s’appliquent, quel que soit le lieu d’isolement (domicile, centre d’isolement, hôpital) et les conditions
d’entrée.
Pour les patients diagnostiqués Covid+ et symptomatiques :
Ils ne sont autorisés à quitter l’hôpital que si les critères cliniques et biologiques suivants sont réunis :
- Critères cliniques : pas de fièvre sans prise de médicaments antipyrétiques (T<37.5°C), et amélioration des symptômes ;
- Critère biologique : deux tests PCR négatifs à 24h d’intervalle minimum sur prélèvements oro/nasopharyngés.
Si seuls les critères cliniques sont réunis, le patient peut être autorisé à sortir de l’hôpital pour rentrer en isolement à
domicile ou dans un centre d’isolement. La levée de quarantaine est interdite sans négativation virale avérée par les
deux test PCR successifs.

La maladie étant encore mal connue, aucun risque n’est pris de libérer un patient potentiellement contagieux.
Notons ici que la négativation de l’excrétion virale prouvée par PCR est aussi exigée pour la sortie d’hôpital en
Allemagne. En France, elle ne l’est pas, à ce jour, du fait de la pénurie de tests (source : https://solidarites-
sante.gouv.fr/IMG/pdf/covid-19__rt-pcr-ambulatoire-fiche-ars.pdf).

Pour les patients diagnostiqués Covid+ et asymptomatiques :


Pas avant un isolement minimal de sept jours après la date de confirmation Covid+ par la PCR initiale.
Seul le critère biologique est exigé à J7, avec deux tests PCR négatifs à 24h d’intervalle.
Si le test reste positif, il sera répété à J10 puis J14, jusqu'à négativation.
Ce critère de négativation de l’excrétion virale n’est exigé ni en France ni en Allemagne.

En France, les critères de guérison requis pour la sortie de l’hôpital et a fortiori pour la levée de l’isolement
sont : être à au moins huit jours après le début des symptômes, la disparition de la fièvre (T rectale < 37.8°C) sans prise

15
de médicaments antipyrétiques, et être à 48 heures après la disparition d’une éventuelle dyspnée. Aucune
recommandation n’est faite pour vérifier la négativation de l‘excrétion virale par PCR.
Source : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/arbre-simplifie-pec-patient-covid-19.pdf

Recommandation à la sortie de l’isolement :


- éviter les espaces publics trop fréquentés, distanciation sociale ;
- éviter les contacts avec les personnes fragiles ;
- éviter les transports en commun ;
- lavage des mains, respect des bons gestes en cas de toux ;
- port d’un masque pour éviter une infection ou une surinfection respiratoire ;
- respecter une distance de deux mètres avec tout individu, et porter un masque si contact rapproché ;
- informer son médecin en cas de voyage à l’étranger ;
- appeler le 1339 en cas d’aggravation (urgence Covid).

Un point très important dans le suivi des patients coréens est d’avoir deux interlocuteurs privilégiés. La première
personne est un fonctionnaire du KCDC, chargé du suivi du patient en isolement par deux conversations quotidiennes
(surveillance, relevé de température, besoin d’aide…). La seconde personne est un médecin référent Covid, qui n’est pas
le médecin traitant habituel. En France, aucune surveillance n’est en général exercée de façon systématique, et
l’interlocuteur fut d’abord le 15 pour tout le monde, avant d’être complété par un numéro vert pour les cas sans gravité.
Certaines villes se sont dotées d’un dispositif de suivi des patients à domicile, avec une application mobile (Covidom avec
l’APHP à Paris) ou par appels téléphoniques (d’externes de médecine à Dijon). Ces dispositifs ne concernent hélas que le
petit nombre des personnes dépistées.
Le souvenir traumatisant de l’épidémie de MERS-2015, dont la majorité des 186 cas d’infection ont été contractés
en milieu hospitalier, a conduit la Corée du Sud à concevoir un dispositif strict de cloisonnement de ses infrastructures
hospitalières. Cette expérience malheureuse du MERS s’est répétée de façon plus catastrophique en Italie, au mois de
février, où le maire de Bergame, par exemple, a constaté, avant même l’introduction plus massive des test PCR, que
beaucoup de patients et de membres du personnel avaient contracté Covid par transmission nosocomiale croisée, et
disséminé ensuite le virus hors de l’hôpital dans la population locale7. Et l’expérience italienne n’a pas non plus servi à
prévenir le même phénomène en Espagne, quelques semaines plus tard, où l’hôpital a parfois servi de relais à la
propagation du virus.
En Corée, le traitement hospitalier de patients Covid est strictement accompli par l’un des 69 hôpitaux désignés
à cet effet. À la date du 27 mars, la Corée disposait ainsi de 337 hôpitaux Covid-free. Pour renforcer plus encore la sécurité
des patients, les hôpitaux ont eu l’obligation d’isoler le circuit des patients « habituels » – de pneumologie et ORL – de
celui suivi par les autres patients. Cette obligation concerne les hôpitaux Covid+, mais surtout les 337 hôpitaux Covid-free.
En outre, le gouvernement a autorisé tous les patients ne présentant pas de symptomatologie respiratoire à consulter leur
médecin par téléphone et à recevoir leurs ordonnances par voie électronique. Tous les patients souffrant de symptômes
respiratoires doivent systématiquement se soumettre à un test PCR SARS-CoV2 avant toute admission hospitalière. Aux
urgences, toute suspicion de Covid conduit le patient vers un circuit particulier. Pour tous les hôpitaux, l’accès des patients
et du public requiert un contrôle de température et le port d’un masque chirurgical, fourni si nécessaire. Tout membre du
personnel soignant présentant des symptômes évocateurs, tels que fièvre ou toux, est renvoyé à domicile pour quatorze
jours, et bien sûr soumis au test PCR. Chaque hôpital doit désigner une personne responsable de la mise en œuvre et du
respect de l’ensemble des consignes de sécurité (masque, gels…). Dans le même esprit de protection des infrastructures
hospitalières, les opérations de prélèvement pour dépistage ont presque systématiquement lieu dans des lieux autonomes,
ou dans des installations attenantes aux hôpitaux et dotées de sas d’isolement, de sorte que les personnes potentiellement
contaminées n’ont pas à entrer dans les bâtiments hospitaliers.
Source: document “ Tackling Covid-19 – Health Quarantine and economic measures” – 31 mars 2020 – KCDC and MOHW8
Source: document “Tackling Covid-19 – Health Quarantine and economic measures” – 31 Mars 2020 – KCDC and MOHW

7 https://www.statnews.com/2020/03/21/coronavirus-plea-from-italy-treat-patients-at-home/
8 Ministry of Health and Welfare

16
2.7 Protection des personnes âgées
Même si la pratique des maisons de retraite est moins étendue qu’en France, la Corée aussi a fait face à une
difficulté de maîtrise du COVID dans les établissements pour personnes âgées, et un foyer important de l’épidémie à Daegu
était précisément un établissement de ce type. Les règles de protection édictées dès le début de la crise portaient sur :
- pour le personnel :
obligation de quarantaine de quatorze jours au retour de zones à risque
interdiction de venir travailler si fièvre ou symptômes respiratoires
obligation de dépistage en cas de symptômes
- pour les résidents :
isolement et dépistage en cas de fièvre ou de symptômes respiratoires
- pour les visiteurs :
interdits dans les mêmes cas que pour le personnel
port du masque obligatoire
limitation à une visite par personne par jour
enregistrement des visiteurs (nom, coordonnées).

Dans sa note du 20 mars, la Société coréenne de gériatrie a renforcé encore ses recommandations :
- visites limitées au maximum
- les visites ne sont autorisées que dans des espaces spécifiques et isolés
- port de masque obligatoire, désinfection des mains et vérification de la température à l’entrée pour tout visiteur
- contrôle quotidien de température de tous les employés et du personnel soignant
- arrêt de travail et dépistage du personnel dès l’apparition de fièvre ou de symptômes respiratoires

Chaque établissement reste libre de décider ou pas une interdiction totale des visites, en cas de COVID+ déclaré
par exemple. Grâce au lien avec le KCDC dès le début de la crise, le personnel et les résidents ont fait l’objet de la même
surveillance étroite que l’ensemble de la population, avec un dépistage massif dès la moindre suspicion, et le dépistage de
toutes les personnes contactées. Les personnes âgées ont été prises en charge en milieu hospitalier, et les décès suspicieux
dans ces établissements ont également fait l’objet de tests Covid9.

2.8 Y a-t-il eu saturation des hôpitaux, manque de tests ou de masques ?


Au pic de l’épidémie pendant la première semaine de mars, et même si le nombre de décès quotidiens n’a jamais
excédé dix, il y a eu brièvement une surcharge du système hospitalier, et cela d’autant plus que la quasi-totalité des cas
était concentrée sur une seule ville, Daegu. 1600 personnes le 1er mars, puis 2300 le 4 mars ont été ainsi en attente d’un
lit d’hôpital ou d’un hébergement d’isolement. Rappelons toutefois que 80% de ces personnes ont des symptômes
modérés, pour 20% seulement nécessitant une prise en charge urgente. Mais tous doivent être hospitalisés selon la
politique en vigueur d’hospitalisation dès les premiers symptômes.
La situation a duré une semaine environ, avec l’installation d’un hôpital militaire de deux cents lits, quelques
centaines de patients transportés dans d’autres villes, et surtout avec l’équipement très rapide des centres d’isolement et
l’extension des lits COVID dans un plus grand nombre d’hôpitaux, désignés de ce fait COVID+. Dans cette semaine tendue,
le président Moon Je-In a pris la parole, le mardi 3 mars, pour déclarer la guerre au virus, et pour s’excuser pour la situation
de pénurie. Dans le même registre, il y a eu temporairement une pénurie de masques de protection, mais elle n’a affecté
que le public, pas le système sanitaire. Pour cette autre pénurie, le président Moon, au pouvoir depuis mai 2017, a aussi
présenté ses excuses à la nation. Dans le même temps, de nombreux articles ont paru dans la presse d’opposition pour
dénoncer violement sa responsabilité dans le démarrage de l’épidémie, et son incompétence dans la gestion de la crise
sanitaire. Quant au pilotage des opérations sanitaires, il n’y a aucune ambiguïté dans l’opinion : c’est le KCDC qui dirige la
manœuvre. Le rôle du gouvernement porte sur les soutiens logistiques, la mobilisation industrielle et académique,
l’engagement de l’armée – notamment avec ses outils de désinfection – et la coordination internationale. Il ne prend

9 Cette situation tranche avec la France, où les victimes Covid dans les EPHAD n’ont été prises en compte tardivement.

17
aucune part aux décisions sanitaires ni aux débats médicaux, mais il est en première ligne pour toute critique d’inefficacité
sur les sujets de son ressort 10.

Deux semaines après la naissance du cluster de Daegu, le nombre de cas quotidiens a atteint un pic d’environ 1000 individus, très
rapidement maitrisé, et redescendu environ une semaine plus tard vers un plateau durable d’environs 100 cas par jour.
Étant donné l’étendue considérable de la population testée, cette dynamique traduit l’extrême efficacité de la méthode pour limiter la
contagion. La figure ci-dessous représente l’accumulation des cas au cours du temps, combinée à la dynamique de guérison.

Deux semaines après la naissance du cluster de Daegu, le nombre de cas quotidiens a atteint un pic d’environ 1000 individus, très
rapidement maitrisé, et redescendu en une semaine environ vers un plateau durable d’environs 100 cas par jour.
Cette dynamique traduit l’extrême efficacité de la méthode pour limiter la contagion.

3. Essais thérapeutiques en cours


Dans la plupart des pays qui en ont les capacités, de nombreux essais cliniques ont été lancés sous le contrôle plus
ou moins diligent des autorités règlementaires. En Corée, la diligence est extrême, car la loi a prévu de placer les outils de
la décision règlementaire dans un état de mobilisation maximale, au même titre que tous les acteurs de la santé. L’exemple
récent le plus saisissant est celui de l’Institut Pasteur de Corée, qui a reçu, le samedi 28 mars dans la soirée, un avis
favorable à sa requête déposée la veille, pour essayer sur 141 patients la thérapie antiasthmatique Alvesco/Ciclesonide.

10Nous montrerons dans la seconde partie de ce rapport à quel point la démocratie est restée très vivante, et les affrontements
politiques très vifs tout au long de cette crise, sans moindrement affecter le système sanitaire, dont le commandement relève
uniquement des professionnels de la santé, sans intervention politique des ministres ni du président.

18
Un bon nombre de pistes thérapeutiques ont été suggérées, dès le 24 février, dans le rapport de l’OMS, quant aux
molécules qu’il serait judicieux de réutiliser ou de repositionner contre Covid-19, ou de nouvelles approches à explorer.

Source : Tableau 1, p.35, Report of the WHO-China Joint Mission on Coronavirus Disease 2019 (Covid-19)

3.1 Essai formel hydroxychloroquine


À ce jour, en Corée du Sud, les autorités de santé n’ont prononcé aucune recommandation ni aucune interdiction
quant à l’usage de l’hydroxychloroquine. Un essai clinique formel a cependant été autorisé.

Autorisation le 27 mars 2020 : Essai hydroxychloroquine vs. lopinavir/ritonavir


À l’heure actuelle, la recommandation de la société savante KSID est une première ligne de traitement avec Kaletra
(lopinavir/ritonavir) ou Oxiklorin (l’hydroxychloroquine) pour les patients aux stades modérés à graves. Mais ce consensus
est à ce stade basé sur un retour d’expérience et non pas sur des données cliniques probantes. Sur la base des résultats
des cliniciens chinois et marseillais, cet essai vise à comparer l’efficacité de l’hydroxychloroquine avec celle des deux
antiviraux (lopinavir/ritonavir) utilisés contre HIV dans les pays en voie de développement. Cet essai est restreint aux
patients peu symptomatiques, avec un schéma Oxiklorin seul vs. Kaletra seul vs. placebo seul en essai ouvert. Ces trois
bras sont identiques à ceux de l’essai Discovery coordonné en Europe par l’Inserm11. L’essai reste modeste, avec 150
patients pour des résultats attendus fin mai. Il est porté par l’un des hôpitaux les plus réputés, le Asan Medical Center
(AMC), qui repose sur une fondation privée.
Cet essai clinique fait toutefois débat, car le lopinavir (un inhibiteur de protéase), en association avec un autre
antiviral, le ritonavir (un autre inhibiteur de protéase), se sont révélés décevants contre VIH en raison d’effets secondaires
majeurs. Bien que la protéase ciblée du VIH ait un fonctionnement bien différent de celui des protéases du coronavirus,
certains objectent qu’il n’y a aucune base sérieuse à la tentative de repositionnement du lopinavir/ritonavir contre le SARS-
CoV2. Qui plus est, la publication récente d’un essai randomisé ouvert lopinavir/ritonavir seul vs « traitement standard »
n’indique aucun bénéfice, avec des effets secondaires forts (Cao et al. 18 mars 202012). Malgré ce contexte incertain, il a
été approuvé par les autorités coréennes une semaine après cette publication chinoise.
Source : http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7810

3.2 L’institut Pasteur de Séoul : drug repositioning avec le Ciclesonide (Alvesco)


Autorisé le 28 Mars 2020. Essai cliclesonide (Alvesco)
Le prestige de l’Institut Pasteur a conduit le gouvernement coréen à proposer l’établissement d’un Institut Pasteur
à Séoul (IPK), qui s’est fait au début des années 2000. Cet institut est très différent, dans ses statuts et son fonctionnement,
des instituts membres du grand réseau international des instituts Pasteur. Après quelques péripéties, il est devenu un
centre actif pour la recherche de nouvelles molécules d’intérêt pharmaceutique, en particulier dans le domaine des
maladies infectieuses. L’IPK dispose aujourd’hui de plusieurs librairies de molécules et d’une importante capacité de tests
cellulaires à haut débit. En mobilisant cet outil dès que le virus de la souche SARS-CoV2 a été isolé, l’IPK a testé 3000
molécules, dont 1500 déjà approuvées par la FDA. Au bout de quelques semaines, vingt-quatre molécules sont apparues
efficaces contre le virus (0.1 μM < IC50 < 10 μM), dont deux déjà approuvées : le niclosamide et le ciclesonide (Jeton et al.13).

11 https://presse.inserm.fr/lancement-dun-essai-clinique-europeen-contre-le-covid-19/38737/
12 Cao et al. le 18 Mars 2020 : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2001282
13 3 mars 2020 https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acsinfecdis.0c00052

19
Le niclosamide (nom commercial Nicoline) est un antihelminthique déjà connu pour ses propriétés antivirales, et
très puissant in vitro contre SARS-CoV2 (IC50=0.28 µM, résultats Institut Pasteur). Le ciclesonide (Alvesco) est un
corticostéroïde utilisé contre l’asthme et les rhinites allergiques, et ses propriétés anti-inflammatoires sont
potentiellement utiles contre Covid-19. Son activité antivirale in vitro est en revanche beaucoup moins puissante
(IC50=4.33 µM), mais passe par une cible directe, une RIB endonucléase virale. Ces deux propriétés, anti-inflammatoire et
antiviral direct, avec un mécanisme d’action connu, font a priori du ciclesonide le meilleur candidat dans cette étude. Sans
attendre la preuve d’une efficacité chez l’animal, car la tolérance est réputée bonne, une demande d’autorisation d’essai
clinique a été déposée le vendredi 27 mars par l’Institut Pasteur de Séoul, et acceptée le samedi 28 dans la soirée par le
KCDC et le MOHW. Cet essai ciclesonide est multicentrique, avec 141 patients sur 11 centres et groupe contrôle. Des
résultats semblables ont été obtenus au Japon, avec semble-t-il un essai clinique parallèle.
Source : https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.03.20.999730v3

3.3 Autres essais cliniques


21 février 2020. Essai immunothérapie VSF
La société Immune alliée à la Seoul National University dispose d’une technologie semble-t-il assez classique
d’anticorps humanisés, qu’elle a été autorisée à déployer, comme l’un des premiers essais cliniques contre Covid-19.
Source : http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7596

3 mars 2020. Essai remdesivir (également dans Discovery)


La société Gilead a contacté de nombreux praticiens et hôpitaux directement, en proposant son antiviral redesservir,
soit dans des essais randomisés, soit en prescription directe sans passer par des essais. Cette molécule est un analogue
nucléosidique efficace in vitro contre Ebola, bien tolérée, mais qui n’a jamais prouvé clairement son efficacité chez les
malades dans cette pathologie. Elle avait toutefois montré une activité in vitro et in vivo contre le premier SARS et le MERS.
La société Gilead a lancé un essai de phase 3 randomisé contre placebo aux USA, et tente de repositionner également sa
molécule auprès des autorités chinoises. Le KCDC et le MOHW (ministère de la Santé) coréens ont autorisé cet essai de
phase 3, et la société savante KSID écrit dans sa note du 13 mars que le remdesivir n’est autorisé que dans le cadre de cet
essai clinique.
Beaucoup d’autres recherches sont en cours, et de multiples demandes d’essais sont à ce jour en suspens ou ont
été refusées : http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7807
http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7744
Plus d’éléments seront présentés sur ce point dans la seconde partie du rapport, avec la mobilisation de la recherche et
de l’industrie coréennes.

20
4. Que faire une fois la courbe infléchie ?

4.1 Le bilan de Covid-19 en Corée du Sud


Le bilan Covid ce 15 avril est simple14. Pour une population de 51 millions d’habitants, 225 personnes sont décédées,
soit 3 de plus qu’hier, avec 534.552 personnes testées dont 7114 dans les dernières 24 heures. Seulement 1,98% des
personnes testées étaient positives ; ce qui représente 10.591 personnes atteintes, qui ont été mises en isolement strict,
ou hospitalisées au moindre symptôme. La guérison, qu’elle intervienne après isolement ou hospitalisation, est déclarée
sur la base de deux tests PCR obligatoires négatifs. Avec ce critère, 7616 personnes sont guéries, tandis que 2975 cas sont
encore actifs, alimentant un nombre de décès quotidiens très faible mentionné plus haut. La mortalité cumulée est de
2,12%, et le nombre de décès quotidiens, même au plus fort de la crise, n’a jamais excédé une dizaine (cf. figure plus bas),
et une seule personne est décédée dans le personnel de santé, pour 120 contaminées. L’histoire cumulée est figurée en
chiffres ci-dessous.

Bilan numérique cumulé et distribution géographique de Covid-19 le 15 avril 2020, pour 51 millions d’habitants.
Sources : Dr Masy et https://ourworldindata.org

14 https://coronaboard.kr/en/

21
Un tel bilan est remarquable à maints égards, quand on sait qu’il a été obtenu sans aucune privation des libertés
pour 99,98% de la population, dans un contexte politique initialement peu favorable au président, et avec une contestation
qui n’a jamais cessé. Il s’explique par la conjugaison de plusieurs facteurs :
- le respect de la nation pour la savoir des médecins, scientifiques, et des industriels ;
- une organisation politique et administrative forte, basée sur une base législative adaptée ;
- le rôle central du KCDC et ses pouvoirs exécutifs d’exception ;
- le respect du rôle spécifique de chacun dans l’ensemble de la manœuvre.
Je reviendrai en détail sur tous ces facteurs dans la seconde partie de ce rapport, pour ne citer ici qu’un seul point.
Dès le 10 janvier, jour de la publication non-officielle du génome viral par le Shanghai Public Heath Clinicat Center, la
société Kogene s’est engagée de sa propre initiative dans la conception d’un test RT-PCR pour détecter le virus SARS-CoV2.
Le 16 janvier, jour de la validation du test PCR développé à Berlin par le Pr Torsten, la société Seegen se lance à la suite de
sa concurrente. Grâce à un protocole d’agrément accéléré prévu par la loi, les deux sociétés reçoivent le 4 février, du KCDC
et du ministère de la Santé, l’autorisation de commercialiser leur test. Tout est donc prêt pour une réponse massive, quand
l’accident inattendu et malheureux arrive avec la contagion explosive provoquée par la secte Shincheonji, le 18 février.

La figure ci-dessus et la suivante montrent respectivement les flux quotidiens du nombre de décès et du nombre de tests PCR
pratiqués.

22
Les courbes ci-dessus15 montrent l’ampleur de la pratique des tests PCR avec plus de 100.000 personnes testées
dans les deux premières semaines. Le nombre de nouveaux cas quotidiens a atteint un pic de 1000 individus, deux
semaines seulement après la naissance du cluster de Daegu, très rapidement maitrisé et redescendu moins de deux
semaines plus tard vers un plateau d’environ 100 cas par jour. On est en droit de considérer que cette dynamique est le
résultat très probable de la stratégie de test, de traçage et d’isolement systématique. Le nombre cumulé de cas actifs, en
majorité pas ou peu symptomatiques, a commencé à décroitre dès la troisième semaine, sans jamais remonter non plus.
Le nombre de décès quotidiens de Covid n’a jamais excédé dix par jour. Une raison possible à cette faible mortalité est que
la secte dont est issue la majorité des patients recrute principalement ses adeptes parmi les étudiants et les jeunes, mais
le nombre total de décès à ce jour, soit 225, est trop faible pour tirer une conclusion significative. Une autre explication
plus simple, surtout en comparaison de la mortalité élevée en France (≈13-14%) est que le nombre de cas positifs auquel
est rapporté le nombre de décès est considérablement plus élevé dans un pays qui a testé massivement. À cet égard, on
peut noter que l’Islande a une mortalité plus basse encore que la Corée. Doit-on en déduire que les filets du KCDC n’ont
pas identifié tous les cas positifs ? Une autre caractéristique de la pandémie Covid-19 ici, est que l’effort national a permis
de fortement circonscrire le virus à la ville de Daegu, sans mettre la cité en quarantaine ni confiner ses habitants, comme
ce fut le cas à Wuhan, et aujourd’hui dans beaucoup de pays d’Europe.
Malgré ce succès apparent, le dispositif d’exception du KCDC n’a pas encore baissé la garde, et il considère ne pas
être sorti de la crise, car la menace reste bien présente. Les données montrent en effet un nombre résiduel de décès
quotidiens de l’ordre de trois à quatre personnes, et un nombre de nouveaux cas quotidiens qui est resté pendant deux
ou trois semaines au niveau de cent personnes par jour, pour tomber récemment au niveau d’une cinquantaine. Ce niveau
résiduel est alimenté ces jours-ci à 50% par les voyageurs provenant de l’étranger, dont nous avons vu plus haut qu’ils sont
tous sans exception soumis au test PCR, et à quatorze jours d’isolement. L’entrée sur le territoire est à ce jour le point de
vigilance le plus important, car la menace est désormais largement extérieure. La question est politiquement sensible, car
le président actuel a fait face à une très vive opposition sur ce point. Sa décision de garder les frontières ouvertes a été
très vivement critiquée, et certains l’accusent même aujourd’hui encore d’être responsable de l’épidémie. Les urnes ne lui
en ont cependant pas tenu rigueur, et le poids de son parti au parlement est passé de 44% a 60%.

4.2 La vie quotidienne aujourd’hui : liberté et veille


Pour l’immense majorité des Coréens, la vie quotidienne est presque normale : aucune entrave à la circulation, des
transports en communs actifs, la plupart des entreprises et des administrations au travail, restaurants et magasins ouverts.
Mais les établissements d’enseignement restent fermés et les consignes mises en place dès le début de l’épidémie n’ont
pas changé : les gestes barrières, la distanciation sociale de deux mètres. Plusieurs dispositifs ont été installés, comme la
protection des boutons d’ascenseur, l’habillage des poignées de portes d’usage collectif par des tissus de protection, ou
encore un agent posté à l’entrée des supermarchés, pour désinfecter les mains des clients et la poignée de leur caddie. Le

15 https://coronaboard.kr/en/ ; https://en.wikipedia.org/wiki/2020_coronavirus_pandemic_in_South_Korea

23
port du masque n’a jamais fait l’objet d’une obligation dans l’espace public, mais seulement en milieu professionnel, et
c’est une simple recommandation en situation de contacts denses.
En ce 15 avril, comment mieux illustrer l’esprit et la méthode coréens que par l’exemple des élections législatives
organisées aujourd’hui, à mi-mandat du président Moon ? Ce pays s’étant battu dans les années 90 pour instaurer une
démocratie, avec de nombreuses victimes notamment dans le monde étudiant, l’annulation d’une élection a une forte
valeur symbolique, et représente un enjeu sans commune mesure avec le cas de la France. Le président a donc hésité,
mais la décision a été prise d’organiser ces élections, moyennant un dispositif extrêmement contrôlé, en lien étroit avec
le KCDC. Le vote a été étalé sur trois journées. Les deux premières, combinées avec un vote par correspondance, ont
permis dans un premier temps la participation de 30% des 44 millions d’électeurs. Pour que les personnes en centre
d’isolement puissent voter, une partie des 14.000 bureaux de vote ont été installés dans ces lieux, tandis que les personnes
en isolement à domicile ont été individuellement accompagnées vers leur bureau de vote par des volontaires, avec toutes
les précautions sanitaires nécessaires. Rappelons encore que toutes les personnes en isolement sont asymptomatiques !
Enfin, les personnels des bureaux de vote sont en tenue de protection, avec la charge de nettoyer continûment les isoloirs,
de prendre la température de chacun, et de contrôler le flux des votants et le respect des mesures de sécurité (masque,
distance, gel). La démocratie est bien vivante, grâce à un remarquable effort d’organisation, même si les meetings de
campagne avaient tous été interdits.
Le 2 avril, soit cinq semaines après le pic du nombre de cas quotidiens, le Premier ministre a clairement annoncé
qu’il n’était pas à l’ordre du jour de modifier le dispositif de surveillance ni les règles d’exception. Par un amendement à la
loi, les sanctions ont même été alourdies à partir du 5 avril pour les personnes ne respectant pas une mesure d’isolement.
Ces règles n’ont toutefois qu’un impact très limité, et l’économie coréenne est majoritairement fonctionnelle. Elle pourrait
cependant bientôt faire face aux conséquences sérieuses du ralentissement du commerce mondial sur ses exportations.
La vie universitaire s’est, elle, organisée dans la durée, sur la base de cours en ligne, avec une rentrée du premier cycle
repoussée en septembre. La question se pose de remplacer le dispositif actuel par un dispositif allégé et durable. Cette
question fait l’objet d’une démarche démocratique originale, et le gouvernement annoncera les mesures et leur calendrier,
une fois que le plan sera établi en détail. La veille se manifeste aussi par une grande prudence, avec le maintien d’un haut
niveau de stocks pour parer à toute éventualité, en case de reprise accidentelle. Ainsi, il a été prévu de commander,
jusqu’en juin, 2 millions par mois d’équipements de protection complets (masques FFP2/N95, lunettes, blouses), et la
moitié les mois suivants.

4.3 Élaboration consensuelle d’un modus vivendi durable


Les autorités coréennes considèrent que le danger ne sera écarté qu’avec l’arrivée d’un vaccin, ou d’un traitement
ayant fait ses preuves. D’ici-là, un mode de vie socialement acceptable et accepté doit être élaboré. La notion de sortie de
crise est donc impropre, car il s’agit d’une transition vers un mode de vie temporaire. Le contexte est fondamentalement
différent de la France, dont le problème principal est de lever un confinement qui n’a pas eu lieu ici, sauf pour 0,006% de
la population à ce jour. Inversement, le niveau d’immunisation coréen est certainement considérablement plus faible qu’en
France. Il est hélas probable que le problème français n’ait pas de solution, avant que nous disposions d’un stock massif et
réel de tests PCR, que nous mettions sur pied un dispositif efficace de tests et d’isolement sélectif de toutes les personnes
positives sans distinction des symptômes, et que toutes mesures de protection s’étendent avec vigueur et sans exception
au monde du travail, « quoi qu’il en coûte ».
Malgré le caractère très sélectif de l’isolement, les mesures d’exception continuent de s’appliquer à la population
générale, avec des effets non négligeables sur la vie sociale : vie scolaire et universitaire au ralenti, évitement de réunions
et interdiction de regroupements de masse, et la question des voyages. Les Coréens ne peuvent plus quitter le pays sans
se plier obligatoirement à un isolement strict à leur retour, qu’il s’agisse d’un voyage professionnel ou pas. Et le pays
« enferme » pendant deux semaines tout visiteur étranger, ce qui nuit beaucoup à des échanges vitaux (coopérations,
étudiants, affaires, diplomatie, tourisme...). Cette question des frontières est certainement l’une des plus critiques. En
effet, toute personne étant testée à son entrée sur le territoire et à la fin de son isolement, on connaît précisément cet
influx dont l’effet cumulé représente 352 individus à ce jour. Cet influx pèse chaque jour environ 50% de la trentaine de
nouveaux cas détectés quotidiennement cette semaine.
La question du système scolaire et universitaire est aussi au cœur de la réponse coréenne. La totalité du système
éducatif est fermée depuis les jours qui ont suivi la contamination massive de Daegu, et il est hors de question pour le

24
gouvernent de faire revenir en classe qui que ce soit avant l’été ou le mois de septembre. Après la suspension de la rentrée
scolaire qui a lieu ici début mars, tous les acteurs du système se sont mobilisés pour organiser la continuité du service. Dès
la mi-mars, professeurs et étudiants ont commencé à communiquer par des cours en ligne. En ce mois d’avril, les
enseignements primaire et secondaire passent en ligne. Pour lutter contre les injustices liées à une fracture numérique
également présente en Corée, le gouvernement a tout simplement décidé de doter chaque écolier ou lycéen qui en a
besoin d’une tablette numérique16 , ainsi que d’organiser des cours d’école à la télévision. Dans une société dominée par
une compétition scolaire féroce, reste toutefois l’épineuse question des examens, dont l’équité est un point très sensible.
Nous devons mentionner ici le rôle des grand-parents dans la famille coréenne, qui offrent en général à leur enfants un
soutien plus actif qu’en France pour la garde des petits enfants. Il semblerait que ce rôle se soit renforcé pendant cette
crise pour attenuer les effets de la fermeture des ecoles sur l’activite des parents.
Quel modus vivendi adopter, qui soit plus compatible avec la vie normale des citoyens, des institutions et de
l’économie, sans rien compromettre de la santé de tous et de chacun ? Il n’est pas dans les missions du KCDC de faire de
la modélisation épidémiologique ou des études prospectives, contrairement par exemple au Robert Koch Institute
allemand. Élaborer un mode de vie temporaire sort donc du champ des missions propres du KCDC, dont le rôle et les
pouvoirs d’exception ne seront très vraisemblablement pas modifiés avant l’arrivée d’un vaccin ou d’un traitement. Le
KCDC est malgré tout intimement lié à la réflexion en cours, pour laquelle le Premier ministre, Chung Sekyun, a mis sur
pied une agence dite de consensus social17 (social consensus agency).
Cette agence nouvelle n’a semble-t-il pas été prévue par la loi, et sa mission durera beaucoup plus longtemps que
la phase initiale de l’épidémie. Elle a pour mission de s’occuper, en lien avec le KCDC, de tous les aspects de la vie sociale
et économique dans la période transitoire qui s’annonce. Étant données la complexité technique, sociale, économique, et
sanitaire du problème posé, et la nécessité absolue d’un consensus largement accepté, cette agence fera largement appel
à des sondages d’opinion. Elle se devait donc impérieusement de réunir une large palette de compétences de terrain, avec
des personnes issues du monde de la médecine et de l’épidémiologie, de l’éducation, de la sociologie et de l’économie,
ainsi que des représentants de la société civile. Sa composition a été publiée le 10 avril18, avec dix-huit membres dont trois
du KCDC, sous la coprésidence du ministre de la Santé et du président du Centre national de gestion des concours et
examens. Une première consultation populaire a été lancée sans tarder 19. La première tâche de ce comité est d’élaborer
un modus vivendi consensuel pour l’ensemble de la société, au mieux de l’intérêt général et des impératifs sanitaires, avant
de le traduire sous la forme d’un calendrier d’exécution. Dans un second temps, cette agence sera chargée du suivi du
dispositif, et d’éventuels ajustements, toujours en lien organique avec le KCDC.

16 Pour commencer 36.000 tablettes numériques ont été distribuées aux enfants des familles les plus pauvres.
17

http://ncov.mohw.go.kr/en/tcmBoardView.do?brdId=12&brdGubun=125&dataGubun=&ncvContSeq=353817&contSeq=353817&board_id=1365&gub
un=
18 Composition du comité de réflexion (agence de consensus social) ayant charge d’organiser la société en attendant un vaccin ou une
thérapie :
- 3 membres du KCDC (incluant le ministre de la Santé, co-président)
- le président du Centre national de gestion des examens et concours (co-président)
- 7 médecins : 3 infectiologues (pédiatrie, adulte, infections nosocomiales), 2 de santé publique, 2 de médecine du travail
- 2 spécialistes en économie : KDI (= think tank pour l’économie) + 1 spécialiste en économie de la santé
- 2 spécialistes en sociologie : 1 sociologue + 1 spécialiste dans la communication de la santé
- 1 membre de KIHASA : think tank pour la santé
- 2 représentants de sociétés civiles : association de consommateurs et YWCA (organisation féminine)
19 https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSeo5ghParzqRXjhHk6TCrRuilzCeuBLYE-u8neZFiZGfeBWmw/viewform

25
Conclusion
Ces lignes sont le fruit d’une enquête déclenchée dans l’urgence et accomplie grâce à de nombreux
encouragements, avis et contributions : l’Institut français de Séoul, ChooYoung Baek, Guillaume Graciani et Dahye Lee,
Spencer Shorte, Tobias Martin, HeeYoung Chae, Jong Bhak, Antoine Bondaz, Corinne Bernardeau, Benjamin Joineau, Yves
Charpak, Jean-Christophe Thalabard, Christian Bréchot, Jean-Jacques Grauhaar, et Frédéric Ojardias, Pierre Léna. Chacun
dans un rôle particulier a contribué, mais aucun n’est moindrement responsable des erreurs contenues dans ce rapport,
ni des avis personnels explicites ou implicites qu’il contient.
J’espère avoir livré une matière qui permettra au lecteur de neutraliser beaucoup d’idées fausses sur la Corée, et
de préjugés qui éteignent souvent notre curiosité. Le succès coréen dans la lutte contre la pandémie ne s’explique pas par
les particularismes culturels ou politiques de ce pays lointain, mais par le fait qu’il était prêt à répondre, avec des lois
adaptées à une action cohérente et très rapide, avec une infrastructure sanitaire solide, et avec une industrie puissante.
Mais ce n’est pas tout, car la mise en œuvre pratique de ces outils n’a réussi que par l’adhésion et la coopération massive
de la société civile à l’ensemble des mesures sanitaires d’exception. Conformément à l’esprit démocratique, cette adhésion
populaire et transpartisane fut d’autant plus naturelle et efficace que l’action pour l’intérêt général a été guidée par la
connaissance médicale et scientifique, avec un cap fixe, et sous le commandement des professionnels de la santé. Les
acteurs politiques ont également joué un rôle très important, qui sera analysé dans la seconde partie de ce rapport, à
paraître sous peu. Les éléments de la solution coréenne sont parfaitement conformes à l’esprit originel de nos démocraties
occidentales et au respect de la connaissance scientifique qui a porté le développement économique de l’Occident.
Comment donc penser un instant qu’ils ne pourraient pas être transposés en France ? Pourquoi attendre plus
longtemps pour mieux faire ?

***

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