Comment La Démocratie Coréenne A-T-Elle Dompté Covid-19 ? (Rapport de François Amblard)
Comment La Démocratie Coréenne A-T-Elle Dompté Covid-19 ? (Rapport de François Amblard)
Analyse et récit
10 Janvier 2020 – 15 Avril 2020
François Amblard *
*François Amblard est depuis 2015 Distinguished Professor dans le département de Physique et celui des Sciences de la vie à l’UNIST
(Ulsan National Institute of Science & Technology, Corée du Sud), en détachement du CNRS. Ancien élève de l’École Polytechnique
(1982), il fut successivement Directeur de Recherche au CNRS, comme chef d’équipe dans le Département de Physique de l’Institut
Curie (1998-2015); Chargé de recherche au Laboratoire de Physique Théorique, puis de Physiologie à l’École Supérieure de Physique
et Chimie Industrielle de Paris (ESPCI) de 1995 à 1998 ; Chercheur post-doctoral à l’Université de Princeton (États-Unis) de 1993 à
1995). Également Directeur Scientifique d’une start-up : instrumentation et diagnostic par cytogénétique moléculaire (1992-93),
Pasteur-Weizmann Fellow et chercheur post-doctoral en immunogénétique à l’Institut Pasteur (1991-92), après un doctorat en
immunologie. Il anime, depuis sa fondation en 2003, le programme MD-PhD " Inserm-Bettencourt", en tant que professeur de physique
et membre fondateur de l’Association Médecine-Pharmacie-Sciences des étudiants chercheurs-médecins (AMPS).
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Résumé
La Corée du Sud a endigué Covid-19 en plaçant son Korean Center for Disease Control (KCDC) au cœur de la
réponse sanitaire de crise. Par la loi, le KCDC reçoit la mission de diriger la totalité des opérations sanitaires, et jouit pour
cela de pouvoirs exécutifs d’exception, avec autorité sur la police et la justice pour les besoins de sa mission. L’ensemble
des actions contre la pandémie (dépistage, traçage, isolement sanitaire hospitalisation, autorisations et agréements
d’urgence…), mais aussi tous les outils administratifs et juridiques nécessaires, sont ainsi placés sous une direction unique.
Cette remarquable cohésion a permis une réponse très rapide et vigoureuse. Enfin, placé actuellement sous la direction
d’une professeure de médecine forte d’avoir lutté contre l’épidémie précédente, le KCDC jouit d’une autorité respectée
de tous, car fondée sur la connaissance scientifique, l’experience professionnelle, des actions et une communication
quotidienne transparente. Etant perçu comme un organe politiquement indépendant, son action est restée hors du champ
d’une critique politique et partisane vivace. La mise en œuvre, aussi rapide que massive, de la doctrine désormais bien
connue de dépistage-traçage-isolement a été rendue possible par ce contexte juridique et politique original, sans oublier
la mobilisation des industriels de la santé pour la conception des tests, approuvés sur le marché le 4 février, soit 14 jours
avant l’explosion coréenne de Covid-19. Le traçage des personnes ne concerne que les individus avérés porteurs ; il est
strictement rétrospectif et ne concerne que les deux semaines précèdant le test. En dehors du suivi sanitaire téléphonique
biquotidien, sans GPS, de toute personne positive pendant deux semaines d’isolement, il n’existe aucune procedure de
traçage, ni particulière, ni générale. La base de données, hébergée en dehors du gouvernement, est soumise à un stricte
contrôle d’accès ; toute demande d’information est enregistrée et elle sera détruite à la fin de la crise Covid-19. Ce 15 avril
2020, jour d’élections législatives sous haute protection sanitaire, aucune levée des mesures en vigueur n’a été annoncée.
Le systeme scolaire est fermé en totalité, et les cours passent graduellement en ligne ou la télévision. Aucune ré-ouverture
d’école n’est à l’ordre du jour, et des dizaines de milliers de tablettes numériques ont été données aux enfants de familles
n’ayant pas d’accès à internet. Aussi longtemps que nous n’aurons ni vaccin ni thérapie, le KCDC conservera son rôle de
pilote et ses pouvoirs d’exception. Pour préparer cette période d’attente, le gouvernement coréen collabore avec la société
civile et le monde de l’éducation afin d’imaginer un modus vivendi consensuel temporaire plus acceptable, mais sans
compromis avec la doctrine anti-Covid-19.
Le texte qui suit est le récit du vécu de l’épidémie en Corée du Sud. À partir de documents de première main et
de témoignages recueillis sur place, il propose une analyse approfondie des aspects épidémiologiques, juridiques et
médicaux de lutte contre Covid-19, ainsi que des perspectives de « sortie ». L’auteur est un chercheur français physicien
et biologiste qui, après ses travaux à l’Institut Curie (Paris), poursuit ses recherches depuis près de cinq ans dans une
université publique coréenne.
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Sommaire
Introduction
Conclusion
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Introduction
La Corée du Sud, une des nations les plus pauvres du globe il y 60 ans, s’est débarrassée du joug de la dictature
juste avant le début de ce siècle pour construire une démocratie très vivante, et elle nous donne aujourd’hui la preuve
qu’il est possible de protéger la santé des citoyens des ravages d’une pandémie dévastatrice. Sans rien mettre entre
parenthèses du jeu démocratique, sans rien limiter des libertés individuelles pour 99,98% de la population, sans jamais
fermer les frontières, le gouvernement et les 51 millions de Coréens ont réussi en quatre semaines à dompter le flux
quotidien de personnes nouvellement infectées. Le nombre des victimes de Covid-19 déplorées chaque jour n’a jamais
dépassé la dizaine. Le contraste saisissant avec les ravages de la pandémie dans la plupart des pays riches en Occident
devrait inspirer à notre nation, la France, une sincère et profonde humilité politique, mais surtout réveiller impérieusement
en nous une curiosité indispensable. Nous savons désormais tous que la première bataille contre le virus a été remportée
en Corée grâce à une doctrine très rigoureuse : dépistage massif, traçage des individus porteurs du virus, et isolement.
Avant de comprendre pourquoi nous avons failli, il est très urgent de comprendre ce que signifient dans la pratique ces
mots clés, tant ils résonnent aujourd‘hui comme des évidences. Vivant en Corée, mon devoir de chercher à comprendre a
pris la forme d’un rapport dont voici la première des deux parties. Dans les pages qui suivent, j’analyse la « solution »
coréenne à l’aune de plusieurs questions, qui en France sont aujourd’hui critiques :
- Comment briser les chaînes de contamination par le traçage rigoureux des contacts contaminants ?
- Quelles garanties juridiques face à l’intrusion dans la vie privée, et comment utiliser les données récoltées ?
- Comment soigner dans l’urgence, sans certitude scientifiquement établie sur les outils thérapeutiques ?
- Comment élaborer au plus vite un consensus thérapeutique acceptable ?
- Comment « sortir » du confinement avec une sécurité sanitaire maximale ?
- Comment rendre cette sortie consensuelle ?
Il est extrêmement probable que les solutions coréennes auraient des effets très positifs en France, mais elles
posent un problème d’échelle, car le nombre de personnes infectées est probablement cent fois supérieur chez nous.
Heureusement, cela n’est pas encore le cas Outre-mer, où ces solutions pourraient contribuer à contenir l’épidémie, car il
n’est pas trop tard. Elles devraient donc y être transposées sans attendre. Pour la métropole, malgré l’ampleur
considérable de la pandémie, ces solutions sont qualitativement très utiles, et devraient guider nos actions dès demain
matin.
Beaucoup d’idées fausses sur la Corée, mêlées à un complexe de supériorité alimenté par l’ignorance, conduisent
certains à penser que les solutions coréennes ne peuvent pas s’appliquer chez nous du fait de trop grandes différences
entre les deux pays. Dans la seconde partie, à paraître prochainement, je répondrai à cette objection par l’analyse des
points suivants : bases culturelles, politiques et épistémologiques de la confiance mutuelle entre l’État et la population ;
organisation juridique et politique de la réponse au désastre pandémique ; planification stratégique et entretien de la veille
sanitaire ; stratégie industrielle et mobilisation extrêmement rapide des industries de la santé ; logistique des tests et des
masques ; maintien d’infrastructures sanitaires de haut niveau ; enfin articulation entre les enjeux sanitaires, économiques
et diplomatiques.
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1. Traçage rétrospectif des porteurs du virus
Dans la loi élaborée après l’épidémie de MERS en 2015, le cœur de la doctrine repose sur deux piliers :
- identification de tous les individus infectés ;
- isolement strict de les tous patients asymptomatiques, et hospitalisation dès les premiers symptômes.
Grâce à cette doctrine, la contagion virale a été efficacement endiguée, sans jamais recourir au confinement généralisé
mis en place presque dans tous les pays, qu’ils soient ou non démocratiques. Le souci de ne pas attenter à la liberté
fondamentale de se déplacer, joue un rôle important en Corée du Sud, où le souvenir de la dictature a moins de trente
ans. Le régime de protection des données personnelles est du reste voisin de notre RGPD1, et toute intrusion dans la vie
privée requiert une autorisation judiciaire. Dans le contexte de pays voisins non-démocratiques, la Corée tient
éminemment à son modèle de démocratie ; nous en parlerons plus en détail dans la seconde partie de ce rapport.
Cependant, le souvenir de l’épidémie précédente, même si elle n’a touché que 186 personnes et causé que 35 décès, a
convaincu de la pertinence d’une loi d’exception, perçue comme une intrusion nécessaire dans la vie privée. L’ensemble
du dispositif d’isolement est présenté dans la section suivante, et nous discutons ici du dispositif de traçage par lequel le
système sanitaire dispose d’une vision extrêmement fine et quasiment complète de tous les individus infectés. Les deux
figures suivantes en donnent une parfaite illustration.
Situation détaillée et sous-groupes géographiques de la chaine de contamination initiée le 18 février à Daegu dans la secte Shincheonji
par le patient 31 (situation le 18 mars). Ce cluster constitue aujourd’hui 50% des personnes testées positives en Corée.
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À la date du 18 mars, voici la distribution géographique de la quasi-totalité des personnes Covid-positives,
patients asymptomatiques mis en isolement, patients symptomatiques admis à l’hôpital. Les cas importés ont
considérablement augmenté et représentent aujourd’hui 350 individus
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des Coréens adhère à cette loi, car le bénéfice individuel et collectif d’une protection épidémiologique efficace est
considérable. La sensibilité des Coréens à la protection de la vie privée a conduit le législateur à organiser la collecte des
informations de façon très artisanale, par appels téléphoniques et emails, pour éviter la suspicion créée par les algorithmes
automatiques et autres boites noires ou systèmes d’écoutes incontrôlés. Cependant, face à l’ampleur de la crise Covid,
environ 50 fois supérieure à celle de MERS 2015, le constat fut rapidement fait que l’on ne pouvait pas mobiliser un
fonctionnaire pendant environ une journée pour enquêter sur une seule personne.
Schéma de l’enquête de recherche des contacts, exécutée pour toute personne testée Covid+ par PCR. Les moyens mis en œuvre
reposent sur les pouvoirs exécutifs d’exception accordés par la loi au KCDC en cas de crise sanitaire majeure. Ces pouvoirs lui donnent
autorité sur la police et la justice pour tous les besoins de sa mission.
La base de données est hébergée par un organisme extérieur à l’État, avec des règles d’accès encadrant son usage par l’État.
Cette base est provisoire, avec une obligation légale de destruction à la fin de la crise Covid.
Pour gagner du temps dans les procédures d’enquête, la loi a donc été modifiée pendant l’épidémie. Depuis le
16 mars, la procédure prend dix minutes au lieu d’une journée. Le principe reste que chaque personne est traitée par un
epidemiology officer unique, mais son rôle d’enquête se limite à recueillir le « consentement » initial et à transférer aussitôt
les informations d’identification collectées lors du test vers le KCDC. Ce dernier enregistre le cas dans ses serveurs puis
dans la grande base de données d’informations épidémiologiques Covid. Dans cette base de données temporaire, qui
n’existe que pendant la crise, l’enquête se poursuit de façon automatique. Le système se charge de demander
l’autorisation d’enquête à la police, qui est ensuite utilisée pour recueillir l’ensemble des données personnelles utiles. Il a
été mis au point en cours de route par une collaboration entre la police nationale, la Credit Finance Association, les trois
opérateurs mobiles de Corée, et les vingt-deux réseaux fournisseurs de cartes de crédit.
Outre les éléments de base (nom, numéro d’identité, adresse, numéros de téléphone…), ces données
personnelles incluent l’ensemble des transactions bancaires par carte, la succession des bornes téléphoniques contactées
par le téléphone. Sont également incluses des informations médicales (prescription, dossier médical 2 ), l’historique
d’immigration ou d’émigration dans des périodes limitées, et d’autres informations régies par décret présidentiel.
Les données GPS sont exclues de cette collecte. Elles peuvent être ajoutées à un stade ultérieur, et de façon
volontaire, lorsqu’une personne en isolement accepte de remplacer la surveillance téléphonique biquotidienne par une
application portable. À proprement parler, et hormis la triangulation grossière permise par les bornes téléphoniques, il n’y
a donc pas de véritable traçage géographique fin. Cela dit, l’universalité du paiement par carte de crédit signale la quasi-
totalité des opérations d’achat, de transport, de restaurant, de visite à l’hôpital, à la pharmacie…
L’enquête automatique permet donc de retracer un itinéraire assez grossier, mais pas d’identifier précisément
les contacts. C’est dans une seconde étape, avec l’officier épidémiologique traitant, que l’enquête se précise. Celui-ci reçoit
via le KCDC l’itinéraire établi par les algorithmes de la base de données, et demande au sujet positif de confirmer son
itinéraire, de chercher dans ses souvenirs pour le préciser, et surtout d’identifier autant que possible les personnes
rencontrées. À ce stade, les enregistrements des caméras de surveillance peuvent être mobilisées. Le refus de coopérer
expose le contrevenant à une sanction maximale d’un an de prison assortie d’une amende de 150.000 euros. Après
2 Dans ma propre expérience, le dossier médical ne fait pas partie des éléments les plus précieux de la vie privée en Corée, et la protection dont il fait
l’objet me semble très relative.
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vérification et apport de compléments subjectifs à l’enquête automatique, l’ensemble des informations est renvoyé dans
la base de données, via le KCDC. De nouveaux algorithmes sont alors mis en œuvre pour dresser la chaine complète de
tous les lieux visités, et de toutes les personnes potentiellement contaminées, et croiser ces données dans l’espace et le
temps avec l’ensemble des informations de la base. Ne laissant rien au hasard, le KCDC procède également à des tests PCR
post-mortem. Malgré les problèmes posés par ces conditions particulières, une réponse positive conduit aussi à une
enquête de traçage.
3Voici le témoignage reçu le 13 avril d’un homme d’affaire français installé depuis trente ans au Vietnam : « Depuis la seconde semaine
d’avril, toutes les entreprises de plus de dix salariés doivent remplir un formulaire d’auto-évaluation du risque épidémique. Des équipes
de toutes les agences de l’État (police, armée, services vétérinaires et de sécurité alimentaire, douanes…) ont rencontré
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1.4 Diffusion des données de traçage
Une obligation de transparence et de publicité a aussi été inscrite aux articles 6 et 34-2 de la loi, pour que le public
dans son ensemble puisse suivre l’évolution de l’épidémie. Ces dispositions répondent au droit de savoir, pour lequel la
Corée est souvent classée en première position au niveau international, avec son concept de « gouvernement ouvert ».
L’obligation de publicité impose aux autorités locales de diffuser publiquement les informations utiles au citoyen.
Beaucoup plus qu’une opération de transparence, il s’agit là d’un des buts même des enquêtes du KCDC : protéger les
citoyens.
Des messages d’alerte sont ainsi diffusés, par SMS et éventuellement par mail permettant à chacun de se
positionner dans l’espace et dans le temps par rapport à l’itinéraire d’une personne porteuse du virus. Le rayon de diffusion
est d’environ cinq à dix kilomètres ici, mais beaucoup plus resserré en milieu urbain dense. Par exemple, le document ci-
dessous a été transmis par courrier électronique de la cellule Covid de l’Université. Chacun reçoit également un SMS moins
détaillé, destiné à la population générale locale. Dans tous les lieux vraiment très proches de l’itinéraire du sujet positif,
l’information est diffusée par voie d’affichage. J’ai ainsi été averti, le dimanche matin 16 février, par une affiche dans
l’ascenseur de ma résidence, du passage à proximité de la fameuse patiente 31, probablement à l’origine de la contagion
explosive par la secte secrète Shincheonji. J’ai ainsi vérifié que je n’avais pas pris le même TGV qu’elle ! Précisions ici que
l’annonce concernant un sujet positif ne donne que deux informations personnelles : l’âge et le sexe. Il est dès lors
relativement difficile d’identifier le porteur du virus.
Cette stratégie de publication est à double tranchant, car il peut provoquer l’anxiété ou entretenir la peur. La
transparence a été choisie, bien que la peur engendrée puisse être mauvaise conseillère. L’expérience prouve le contraire,
et personne ne m’a rapporté le moindre mouvement de panique. Le conditionnement entretenu par ces informations,
contribue au contraire à rendre visible une menace dont la nature invisible explique peut-être en partie les conséquences
catastrophiques du virus en Occident.
Dans le droit fil de la politique de transparence, en dehors du ministère de la Santé et du KCDC, le gouvernement
a ouvert un accès libre à toutes les informations anonymisées de la base de données. Cette initiative permet le travail des
chercheurs, mais aussi celui de développeurs capables dès lors de proposer très rapidement des applications pour
différents objectifs. Un groupe d’étudiants de mon université propose désormais un outil pour le suivi en temps réel de
l’épidémie dans ma région, et l’ensemble des chercheurs est désormais en mesure d’étudier cette épidémie, avec toute la
finesse des informations recueillies. Depuis le 16 mars, un lien a été mis en service entre la base de données
épidémiologique et une initiative plus large baptisée « Smart City Data Hub », portée par le ministère des Transports et
des Infrastructures, et celui des Sciences et des Technologies. Le but est de renforcer plus encore la numérisation de la
ville. À titre d’exemple, il existe désormais une application permettant de savoir quelle pharmacie de son quartier possède
encore des masques en stock4.
personnellement tous les chefs d’entreprise pour les aider à remplir un formulaire d’auto-évaluation et calculer leur score de risque :
au-dessus de 80% l’entreprise est fermée séance tenante ; de 50 à 80%, trois jours sont accordés pour descendre en dessous de 50%
avant fermeture. Entre 30 et 50%, l’entreprise reste ouverte mais sous surveillance. Le risque est accepté sous le seuil de 20%, et bon
sous 10%. En fin de formulaire le chef d’entreprise signe et reconnait sa responsabilité légale et pénale au cas où des salariés seraient
victime du Covid-19 parce que les moyens n’auraient pas été mis en œuvre. L’entreprise est fermée sans la signature de cette clause de
reconnaissance d’une obligation de moyens. » Covid a été très bien contenu au Vietnam, et le PIB reste en croissance.
https://en.wikipedia.org/wiki/2020_coronavirus_pandemic_in_Vietnam
4 La distribution des masques est aujourd’hui réglementée, avec deux masques par semaine par personne pour le public, les achats se
faisant selon un jour dans la semaine selon l’année de naissance. Nous développerons la question des masques dans la seconde partie
du rapport.
5 https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Shincheonji_de_J%C3%A9sus
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L’attitude visant à chercher un consentement plutôt qu’un passage en force a retardé les opérations, et conduit le
gouvernement à autoriser le 4 mars des poursuites judiciaires vigoureuses. Ces poursuites ont par la suite révélé une
activité à Wuhan que la secte avait dissumulée. Après cet épisode, 60% de cas positifs ont été détectés sur 210.000
membres testés, et le cluster « Shincheonji » à Daegu représente 80% des cas positifs en Corée. Ces évènements, et le fait
que l’épidémie ait pu être majoritairement circonscrite à cette secte, ont probablement contribué à démontrer le bénéfice
de mesures légales d’intrusion exceptionnelle dans la vie privée, et renforcé l’adhésion massive de la population.
Pour chaque cas nouveau confirmé COVID positif, cette information fait l’objet d’une diffusion, ici avec une traduction en anglais pour
le personnel international de mon université, UNIST.
Pour conclure sur le traçage, il faut redire qu’il est strictement rétrospectif, avec destruction des données.
Dans le débat public européen sur ce problème, il me semble indispensable de réaliser que les mots sont ambigus,
et que leurs traductions rendent la chose plus confuse encore : traçage, pistage, tracking, tracing. Aucun de ces mots ne
fait sens si il n’est pas précisé. Rien n’est plus faux que de dire que les Coréens ont accepté d’être « suivis », au présent,
par leur GPS, leur téléphone ou leurs factures bancaires. La seule chose à laquelle ils ont démocratiquement consenti, est
une enquête « rétrospective », portant sur leurs déplacements passés pendant les deux semaines précédant la découverte
de leur statut de porteur. J’ai donc appelé cette mesure « traçage rétrospectif », pour bien la distinguer de tous les
dispositifs mis en place pour surveiller les actions « à venir ». Pendant l’isolement obligatoire, le suivi sanitaire deux fois
par jour avec un questionnaire, est conduit avec une conversation téléphonique ou une application mobile, à l’exclusion
de tout outil obligatoire de localisation GPS. À la sortie de l’isolement ou de l’hôpital, les sujets positifs sont reputés guéris,
et plus aucune obligation ne pèse sur eux, ni la moindre menace sur leur vie privée. Il n’y a d’intrusion dans la vie privée
que rétrospectivement, et seulement pendant l’enquête de recherche de contacts.
Le second élément du débat est le suivant. La base de données est non seulement temporaire, avec une obligation
légale de destruction, mais elle est hébergée à l’extérieur de l’Etat, avec un contrôle et un traçage des accès.
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2. Réponse médicale : isoler, protéger, et soigner
La population coréenne n’a fait l’objet d’aucune mesure collective de confinement, ni d’aucune obligation
générale de port du masque, pas plus que de restriction de déplacement. Même au pic épidémique, la ville de Daegu,
épicentre de la maladie, n’a pas été confinée. En revanche, toutes les personnes testées positives, sont soumises sans
exception à des mesures d’isolement, et hospitalisées dès l’apparition des premiers symptômes, comme nous le décrivons
ici.
1. légère : asymptomatique
2. modérée
3. grave
4. critique
Par comparaison, selon les recommandations françaises actuelles, la présentation paucisymptomatique évocatrice en
phase épidémique n’est plus une indication pour réaliser un diagnostic. Sur la base de cette suspicion, une surveillance
syndromique peut avoir lieu en ville, et conduire à un diagnostic clinique sans PCR, qui échappe aux statistiques.
Hospitalisation : concerne la totalité des personnes à l’exception de celle présentant une atteinte jugée légère. La prise en
charge se fait obligatoirement dans l’un des 69 hôpitaux désignés Covid-positifs, via un transport sanitaire spécial
sous pression négative. Comme cela sera précisé plus bas, le système hospitalier est partitionné avec des
établissements Covid et une majorité de Covid-négatifs.
Non-hospitalisation : Cette voie concerne tous les cas légers ou asymptomatiques sans facteur de risque ; ce qui
représente la majorité des patients Covid+. Ils sont orientés selon deux voies :
- entrée dans un living treatment center ou centre d’isolement
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- mise en quarantaine et surveillance à domicile : auto-isolement
Le tableau suivant détaille l’orientation entre les deux voies et leurs modalités respectives.
Mode d’isolement
living treatment center ou centre d’isolement auto-isolement à domicile
Après une hospitalisation initiale Après une hospitalisation initiale
- patient sortant d’une hospitalisation après amélioration des - patient sortant d’une hospitalisation après amélioration des
symptômes mais non-négativation des tests PCR symptômes mais non-négativation des tests PCR
En admission directe si Après une hospitalisation initiale si
- maintien à domicile difficile : impossibilité d’être isolé des - isolement à domicile possible (chambre seule, toilette et salle
autres occupants du domicile, pas de domicile fixe, présence de bain spécifiques)
d’un occupant présentant des facteurs de risque de forme grave - approvisionnement possible en nourriture et produits de
(voir plus haut) première nécessité
- décision du médecin responsable, par exemple face à un risque - foyer sans autre occupant présentant des facteurs de risque de
de non-respect de l’isolement à domicile forme grave
Suivi du patient
- surveillance 2 fois/j par le personnel soignant - surveillance 2 fois/j par une application mobile dédiée ou par
- traitement symptomatique une conversation téléphonique avec le personnel soignant
- en cas d ‘évolution péjorative, une radio pulmonaire est faite, (température et symptômes, besoins divers) avec l’hôpital
en général dans un dispensaire ambulatoire dédié, et le patient référent local.
est conduit si nécessaire vers l’hôpital en ambulance à pression - traitement symptomatique
négative. - transfert vers l’hôpital référent si aggravation symptomatique
Notons ici que les personnes faisant l’objet d’un confinement à domicile, par le contact biquotidien avec leur
correspondant du KCDC (epidemiology officer), peuvent recevoir si nécessaire une aide matérielle (courses, besoins
divers…).
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d’intervalle, comme pour les patients asymptomatiques. Nous devons mentionner ici ce qui pourrait s’apparenter à une
seconde ligne, à savoir l’administration intraveineuse de plasma de patients Covid en convalescence. Après respectivement
dix jours et six jours sous hydroxychloroquine, puis Lopinavir/Ritonavir, avec une dégradation critique de leur état, deux
patients (respectivement 71 et 67 ans) ont vu leur tableau clinique s’améliorer très nettement en 1 à 3 jours, par
transfusion de plasma de patients immunisés6. Ces deux patients sont désormais guéris.
Devant l’absence de preuves thérapeutiques, qui prévaut aujourd’hui dans tous les pays au sujet de
l’hydroxychloroquine, l’attitude des autorités de santé coréennes repose sur la confiance envers les prescripteurs. En tout
état de cause, aucune polémique ne s’est développée ici sur le sujet, et chacun est à l’œuvre, du bas vers le haut, des
praticiens vers les autorités, pour trouver au plus vite un consensus thérapeutique face à la maladie. La médecine coréenne,
se livre là à des essais cliniques grandeur nature, sous haute surveillance collective. Pour atteindre ce but le plus
rapidement possible, aucune molécule n’est interdite, et toutes les restrictions sont levées sur les remboursements des
médicaments. Cette situation d’exception est à l’opposé de la pratique habituelle, qui repose sur un encadrement
extrêmement strict du volume des prescriptions, et des prix conclus avec les sociétés pharmaceutiques. Des essais
thérapeutiques bona fide ont été lancés en parallèle, selon les règles de l’art. Mais les règles de l’art elles-mêmes semblent
faire débat, et le corps médical devra vivre avec la frustration de controverses difficiles à trancher.
La position des autorités de santé coréenne soulève plusieurs questions, dont celle de savoir s’il est dangereux de
faire confiance aux médecins sur le front. Dans l’urgence de devoir agir sans savoir, est-il éthique d’agir sans la preuve
qu’on fera plus de bien que de mal ?
Au foyer principal de l’épidémie sur le sol coréen, la ville de Daegu et ses 2,5 millions d’habitants représente plus
de 80% des personnes atteintes de SARS-Cov2 en Corée, et une bonne partie des personnes ont été hospitalisées dans un
triangle de trois hôpitaux très importants. Une publication rendra très bientôt compte de façon relativement complète de
l’expérience clinique sur les 10.000 cas symptomatiques suivis localement.
Sources : communications personnelles, Pr Oka- MD-PhD – interniste et médecine respiratoire. Kosmin
University.
http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7359
http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7506
http://www.koreabiomed.com/news/articleView.html?idxno=7522
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mais sans l’analyse PCR elle-même. En cas de surcharge hospitalière, ils peuvent accueillir un personnel médical, à
proprement parler, et du matériel médical plus lourd (appareil pour radiographie de thorax, etc.).
Cette notion de « centre d’isolement » est une nouveauté introduite par la loi née de la crise de MERS 2015. Elle
représente un élément essentiel du dispositif d’urgence mis en œuvre par le KCDC, qui permet de :
- délester les hôpitaux Covid+, tout en gardant la majorité du réseau hospitalier en mode Covid-negatif
- garantir des conditions strictes d’isolement pour les patients n’ayant pas besoin de soins, pour limiter la propagation de
la maladie
- exercer une surveillance paramédicale active permettant de transférer sans délai un patient nécessitant une surveillance
rapprochée voire des soins intensifs
Kit fourni au premier jour des quatorze jours d’isolement (Mme SungSoon Kim)
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même surveillance sanitaire biquotidienne est exercée par un fonctionnaire attitré du service de santé, avec
transfert vers l’hôpital référent local dès le moindre symptôme.
Dans cet exemple que j’ai reçu le 13 avril, ce voyageur provenant d’une zone de non-risque a été testé positif près de la gare TGV
proche de mon domicile. Comme pour toute personne testée positive, son itinéraire est rendu public dans la zone concernée.
Pour les arrivants de zones à risque, la procédure est la suivante : les passagers sont mis à l’écart avant la récupération
des bagages, puis testés. Que la personne soit négative, ou positive mais asymptomatique, le service de santé (bus) ou un
taxi volontaire et équipé spécialement (désinfecté à chaque rotation) conduira gratuitement la personne dans son lieu
d’isolement, où elle recevra gratuitement tout un nécessaire d’isolement (quinze masques, thermomètre, deux boîtes de
gel sanitaire, sac-poubelle spécial pour séparer des autres, gants...). Pour toutes ces personnes arrivant de l’étranger,
l’ensemble de la prise en charge est gratuit, y compris les besoins d’approvisionnements de la vie de tous les jours.
La maladie étant encore mal connue, aucun risque n’est pris de libérer un patient potentiellement contagieux.
Notons ici que la négativation de l’excrétion virale prouvée par PCR est aussi exigée pour la sortie d’hôpital en
Allemagne. En France, elle ne l’est pas, à ce jour, du fait de la pénurie de tests (source : https://solidarites-
sante.gouv.fr/IMG/pdf/covid-19__rt-pcr-ambulatoire-fiche-ars.pdf).
En France, les critères de guérison requis pour la sortie de l’hôpital et a fortiori pour la levée de l’isolement
sont : être à au moins huit jours après le début des symptômes, la disparition de la fièvre (T rectale < 37.8°C) sans prise
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de médicaments antipyrétiques, et être à 48 heures après la disparition d’une éventuelle dyspnée. Aucune
recommandation n’est faite pour vérifier la négativation de l‘excrétion virale par PCR.
Source : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/arbre-simplifie-pec-patient-covid-19.pdf
Un point très important dans le suivi des patients coréens est d’avoir deux interlocuteurs privilégiés. La première
personne est un fonctionnaire du KCDC, chargé du suivi du patient en isolement par deux conversations quotidiennes
(surveillance, relevé de température, besoin d’aide…). La seconde personne est un médecin référent Covid, qui n’est pas
le médecin traitant habituel. En France, aucune surveillance n’est en général exercée de façon systématique, et
l’interlocuteur fut d’abord le 15 pour tout le monde, avant d’être complété par un numéro vert pour les cas sans gravité.
Certaines villes se sont dotées d’un dispositif de suivi des patients à domicile, avec une application mobile (Covidom avec
l’APHP à Paris) ou par appels téléphoniques (d’externes de médecine à Dijon). Ces dispositifs ne concernent hélas que le
petit nombre des personnes dépistées.
Le souvenir traumatisant de l’épidémie de MERS-2015, dont la majorité des 186 cas d’infection ont été contractés
en milieu hospitalier, a conduit la Corée du Sud à concevoir un dispositif strict de cloisonnement de ses infrastructures
hospitalières. Cette expérience malheureuse du MERS s’est répétée de façon plus catastrophique en Italie, au mois de
février, où le maire de Bergame, par exemple, a constaté, avant même l’introduction plus massive des test PCR, que
beaucoup de patients et de membres du personnel avaient contracté Covid par transmission nosocomiale croisée, et
disséminé ensuite le virus hors de l’hôpital dans la population locale7. Et l’expérience italienne n’a pas non plus servi à
prévenir le même phénomène en Espagne, quelques semaines plus tard, où l’hôpital a parfois servi de relais à la
propagation du virus.
En Corée, le traitement hospitalier de patients Covid est strictement accompli par l’un des 69 hôpitaux désignés
à cet effet. À la date du 27 mars, la Corée disposait ainsi de 337 hôpitaux Covid-free. Pour renforcer plus encore la sécurité
des patients, les hôpitaux ont eu l’obligation d’isoler le circuit des patients « habituels » – de pneumologie et ORL – de
celui suivi par les autres patients. Cette obligation concerne les hôpitaux Covid+, mais surtout les 337 hôpitaux Covid-free.
En outre, le gouvernement a autorisé tous les patients ne présentant pas de symptomatologie respiratoire à consulter leur
médecin par téléphone et à recevoir leurs ordonnances par voie électronique. Tous les patients souffrant de symptômes
respiratoires doivent systématiquement se soumettre à un test PCR SARS-CoV2 avant toute admission hospitalière. Aux
urgences, toute suspicion de Covid conduit le patient vers un circuit particulier. Pour tous les hôpitaux, l’accès des patients
et du public requiert un contrôle de température et le port d’un masque chirurgical, fourni si nécessaire. Tout membre du
personnel soignant présentant des symptômes évocateurs, tels que fièvre ou toux, est renvoyé à domicile pour quatorze
jours, et bien sûr soumis au test PCR. Chaque hôpital doit désigner une personne responsable de la mise en œuvre et du
respect de l’ensemble des consignes de sécurité (masque, gels…). Dans le même esprit de protection des infrastructures
hospitalières, les opérations de prélèvement pour dépistage ont presque systématiquement lieu dans des lieux autonomes,
ou dans des installations attenantes aux hôpitaux et dotées de sas d’isolement, de sorte que les personnes potentiellement
contaminées n’ont pas à entrer dans les bâtiments hospitaliers.
Source: document “ Tackling Covid-19 – Health Quarantine and economic measures” – 31 mars 2020 – KCDC and MOHW8
Source: document “Tackling Covid-19 – Health Quarantine and economic measures” – 31 Mars 2020 – KCDC and MOHW
7 https://www.statnews.com/2020/03/21/coronavirus-plea-from-italy-treat-patients-at-home/
8 Ministry of Health and Welfare
16
2.7 Protection des personnes âgées
Même si la pratique des maisons de retraite est moins étendue qu’en France, la Corée aussi a fait face à une
difficulté de maîtrise du COVID dans les établissements pour personnes âgées, et un foyer important de l’épidémie à Daegu
était précisément un établissement de ce type. Les règles de protection édictées dès le début de la crise portaient sur :
- pour le personnel :
obligation de quarantaine de quatorze jours au retour de zones à risque
interdiction de venir travailler si fièvre ou symptômes respiratoires
obligation de dépistage en cas de symptômes
- pour les résidents :
isolement et dépistage en cas de fièvre ou de symptômes respiratoires
- pour les visiteurs :
interdits dans les mêmes cas que pour le personnel
port du masque obligatoire
limitation à une visite par personne par jour
enregistrement des visiteurs (nom, coordonnées).
Dans sa note du 20 mars, la Société coréenne de gériatrie a renforcé encore ses recommandations :
- visites limitées au maximum
- les visites ne sont autorisées que dans des espaces spécifiques et isolés
- port de masque obligatoire, désinfection des mains et vérification de la température à l’entrée pour tout visiteur
- contrôle quotidien de température de tous les employés et du personnel soignant
- arrêt de travail et dépistage du personnel dès l’apparition de fièvre ou de symptômes respiratoires
Chaque établissement reste libre de décider ou pas une interdiction totale des visites, en cas de COVID+ déclaré
par exemple. Grâce au lien avec le KCDC dès le début de la crise, le personnel et les résidents ont fait l’objet de la même
surveillance étroite que l’ensemble de la population, avec un dépistage massif dès la moindre suspicion, et le dépistage de
toutes les personnes contactées. Les personnes âgées ont été prises en charge en milieu hospitalier, et les décès suspicieux
dans ces établissements ont également fait l’objet de tests Covid9.
9 Cette situation tranche avec la France, où les victimes Covid dans les EPHAD n’ont été prises en compte tardivement.
17
aucune part aux décisions sanitaires ni aux débats médicaux, mais il est en première ligne pour toute critique d’inefficacité
sur les sujets de son ressort 10.
Deux semaines après la naissance du cluster de Daegu, le nombre de cas quotidiens a atteint un pic d’environ 1000 individus, très
rapidement maitrisé, et redescendu environ une semaine plus tard vers un plateau durable d’environs 100 cas par jour.
Étant donné l’étendue considérable de la population testée, cette dynamique traduit l’extrême efficacité de la méthode pour limiter la
contagion. La figure ci-dessous représente l’accumulation des cas au cours du temps, combinée à la dynamique de guérison.
Deux semaines après la naissance du cluster de Daegu, le nombre de cas quotidiens a atteint un pic d’environ 1000 individus, très
rapidement maitrisé, et redescendu en une semaine environ vers un plateau durable d’environs 100 cas par jour.
Cette dynamique traduit l’extrême efficacité de la méthode pour limiter la contagion.
10Nous montrerons dans la seconde partie de ce rapport à quel point la démocratie est restée très vivante, et les affrontements
politiques très vifs tout au long de cette crise, sans moindrement affecter le système sanitaire, dont le commandement relève
uniquement des professionnels de la santé, sans intervention politique des ministres ni du président.
18
Un bon nombre de pistes thérapeutiques ont été suggérées, dès le 24 février, dans le rapport de l’OMS, quant aux
molécules qu’il serait judicieux de réutiliser ou de repositionner contre Covid-19, ou de nouvelles approches à explorer.
Source : Tableau 1, p.35, Report of the WHO-China Joint Mission on Coronavirus Disease 2019 (Covid-19)
11 https://presse.inserm.fr/lancement-dun-essai-clinique-europeen-contre-le-covid-19/38737/
12 Cao et al. le 18 Mars 2020 : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2001282
13 3 mars 2020 https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acsinfecdis.0c00052
19
Le niclosamide (nom commercial Nicoline) est un antihelminthique déjà connu pour ses propriétés antivirales, et
très puissant in vitro contre SARS-CoV2 (IC50=0.28 µM, résultats Institut Pasteur). Le ciclesonide (Alvesco) est un
corticostéroïde utilisé contre l’asthme et les rhinites allergiques, et ses propriétés anti-inflammatoires sont
potentiellement utiles contre Covid-19. Son activité antivirale in vitro est en revanche beaucoup moins puissante
(IC50=4.33 µM), mais passe par une cible directe, une RIB endonucléase virale. Ces deux propriétés, anti-inflammatoire et
antiviral direct, avec un mécanisme d’action connu, font a priori du ciclesonide le meilleur candidat dans cette étude. Sans
attendre la preuve d’une efficacité chez l’animal, car la tolérance est réputée bonne, une demande d’autorisation d’essai
clinique a été déposée le vendredi 27 mars par l’Institut Pasteur de Séoul, et acceptée le samedi 28 dans la soirée par le
KCDC et le MOHW. Cet essai ciclesonide est multicentrique, avec 141 patients sur 11 centres et groupe contrôle. Des
résultats semblables ont été obtenus au Japon, avec semble-t-il un essai clinique parallèle.
Source : https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.03.20.999730v3
20
4. Que faire une fois la courbe infléchie ?
Bilan numérique cumulé et distribution géographique de Covid-19 le 15 avril 2020, pour 51 millions d’habitants.
Sources : Dr Masy et https://ourworldindata.org
14 https://coronaboard.kr/en/
21
Un tel bilan est remarquable à maints égards, quand on sait qu’il a été obtenu sans aucune privation des libertés
pour 99,98% de la population, dans un contexte politique initialement peu favorable au président, et avec une contestation
qui n’a jamais cessé. Il s’explique par la conjugaison de plusieurs facteurs :
- le respect de la nation pour la savoir des médecins, scientifiques, et des industriels ;
- une organisation politique et administrative forte, basée sur une base législative adaptée ;
- le rôle central du KCDC et ses pouvoirs exécutifs d’exception ;
- le respect du rôle spécifique de chacun dans l’ensemble de la manœuvre.
Je reviendrai en détail sur tous ces facteurs dans la seconde partie de ce rapport, pour ne citer ici qu’un seul point.
Dès le 10 janvier, jour de la publication non-officielle du génome viral par le Shanghai Public Heath Clinicat Center, la
société Kogene s’est engagée de sa propre initiative dans la conception d’un test RT-PCR pour détecter le virus SARS-CoV2.
Le 16 janvier, jour de la validation du test PCR développé à Berlin par le Pr Torsten, la société Seegen se lance à la suite de
sa concurrente. Grâce à un protocole d’agrément accéléré prévu par la loi, les deux sociétés reçoivent le 4 février, du KCDC
et du ministère de la Santé, l’autorisation de commercialiser leur test. Tout est donc prêt pour une réponse massive, quand
l’accident inattendu et malheureux arrive avec la contagion explosive provoquée par la secte Shincheonji, le 18 février.
La figure ci-dessus et la suivante montrent respectivement les flux quotidiens du nombre de décès et du nombre de tests PCR
pratiqués.
22
Les courbes ci-dessus15 montrent l’ampleur de la pratique des tests PCR avec plus de 100.000 personnes testées
dans les deux premières semaines. Le nombre de nouveaux cas quotidiens a atteint un pic de 1000 individus, deux
semaines seulement après la naissance du cluster de Daegu, très rapidement maitrisé et redescendu moins de deux
semaines plus tard vers un plateau d’environ 100 cas par jour. On est en droit de considérer que cette dynamique est le
résultat très probable de la stratégie de test, de traçage et d’isolement systématique. Le nombre cumulé de cas actifs, en
majorité pas ou peu symptomatiques, a commencé à décroitre dès la troisième semaine, sans jamais remonter non plus.
Le nombre de décès quotidiens de Covid n’a jamais excédé dix par jour. Une raison possible à cette faible mortalité est que
la secte dont est issue la majorité des patients recrute principalement ses adeptes parmi les étudiants et les jeunes, mais
le nombre total de décès à ce jour, soit 225, est trop faible pour tirer une conclusion significative. Une autre explication
plus simple, surtout en comparaison de la mortalité élevée en France (≈13-14%) est que le nombre de cas positifs auquel
est rapporté le nombre de décès est considérablement plus élevé dans un pays qui a testé massivement. À cet égard, on
peut noter que l’Islande a une mortalité plus basse encore que la Corée. Doit-on en déduire que les filets du KCDC n’ont
pas identifié tous les cas positifs ? Une autre caractéristique de la pandémie Covid-19 ici, est que l’effort national a permis
de fortement circonscrire le virus à la ville de Daegu, sans mettre la cité en quarantaine ni confiner ses habitants, comme
ce fut le cas à Wuhan, et aujourd’hui dans beaucoup de pays d’Europe.
Malgré ce succès apparent, le dispositif d’exception du KCDC n’a pas encore baissé la garde, et il considère ne pas
être sorti de la crise, car la menace reste bien présente. Les données montrent en effet un nombre résiduel de décès
quotidiens de l’ordre de trois à quatre personnes, et un nombre de nouveaux cas quotidiens qui est resté pendant deux
ou trois semaines au niveau de cent personnes par jour, pour tomber récemment au niveau d’une cinquantaine. Ce niveau
résiduel est alimenté ces jours-ci à 50% par les voyageurs provenant de l’étranger, dont nous avons vu plus haut qu’ils sont
tous sans exception soumis au test PCR, et à quatorze jours d’isolement. L’entrée sur le territoire est à ce jour le point de
vigilance le plus important, car la menace est désormais largement extérieure. La question est politiquement sensible, car
le président actuel a fait face à une très vive opposition sur ce point. Sa décision de garder les frontières ouvertes a été
très vivement critiquée, et certains l’accusent même aujourd’hui encore d’être responsable de l’épidémie. Les urnes ne lui
en ont cependant pas tenu rigueur, et le poids de son parti au parlement est passé de 44% a 60%.
15 https://coronaboard.kr/en/ ; https://en.wikipedia.org/wiki/2020_coronavirus_pandemic_in_South_Korea
23
port du masque n’a jamais fait l’objet d’une obligation dans l’espace public, mais seulement en milieu professionnel, et
c’est une simple recommandation en situation de contacts denses.
En ce 15 avril, comment mieux illustrer l’esprit et la méthode coréens que par l’exemple des élections législatives
organisées aujourd’hui, à mi-mandat du président Moon ? Ce pays s’étant battu dans les années 90 pour instaurer une
démocratie, avec de nombreuses victimes notamment dans le monde étudiant, l’annulation d’une élection a une forte
valeur symbolique, et représente un enjeu sans commune mesure avec le cas de la France. Le président a donc hésité,
mais la décision a été prise d’organiser ces élections, moyennant un dispositif extrêmement contrôlé, en lien étroit avec
le KCDC. Le vote a été étalé sur trois journées. Les deux premières, combinées avec un vote par correspondance, ont
permis dans un premier temps la participation de 30% des 44 millions d’électeurs. Pour que les personnes en centre
d’isolement puissent voter, une partie des 14.000 bureaux de vote ont été installés dans ces lieux, tandis que les personnes
en isolement à domicile ont été individuellement accompagnées vers leur bureau de vote par des volontaires, avec toutes
les précautions sanitaires nécessaires. Rappelons encore que toutes les personnes en isolement sont asymptomatiques !
Enfin, les personnels des bureaux de vote sont en tenue de protection, avec la charge de nettoyer continûment les isoloirs,
de prendre la température de chacun, et de contrôler le flux des votants et le respect des mesures de sécurité (masque,
distance, gel). La démocratie est bien vivante, grâce à un remarquable effort d’organisation, même si les meetings de
campagne avaient tous été interdits.
Le 2 avril, soit cinq semaines après le pic du nombre de cas quotidiens, le Premier ministre a clairement annoncé
qu’il n’était pas à l’ordre du jour de modifier le dispositif de surveillance ni les règles d’exception. Par un amendement à la
loi, les sanctions ont même été alourdies à partir du 5 avril pour les personnes ne respectant pas une mesure d’isolement.
Ces règles n’ont toutefois qu’un impact très limité, et l’économie coréenne est majoritairement fonctionnelle. Elle pourrait
cependant bientôt faire face aux conséquences sérieuses du ralentissement du commerce mondial sur ses exportations.
La vie universitaire s’est, elle, organisée dans la durée, sur la base de cours en ligne, avec une rentrée du premier cycle
repoussée en septembre. La question se pose de remplacer le dispositif actuel par un dispositif allégé et durable. Cette
question fait l’objet d’une démarche démocratique originale, et le gouvernement annoncera les mesures et leur calendrier,
une fois que le plan sera établi en détail. La veille se manifeste aussi par une grande prudence, avec le maintien d’un haut
niveau de stocks pour parer à toute éventualité, en case de reprise accidentelle. Ainsi, il a été prévu de commander,
jusqu’en juin, 2 millions par mois d’équipements de protection complets (masques FFP2/N95, lunettes, blouses), et la
moitié les mois suivants.
24
gouvernent de faire revenir en classe qui que ce soit avant l’été ou le mois de septembre. Après la suspension de la rentrée
scolaire qui a lieu ici début mars, tous les acteurs du système se sont mobilisés pour organiser la continuité du service. Dès
la mi-mars, professeurs et étudiants ont commencé à communiquer par des cours en ligne. En ce mois d’avril, les
enseignements primaire et secondaire passent en ligne. Pour lutter contre les injustices liées à une fracture numérique
également présente en Corée, le gouvernement a tout simplement décidé de doter chaque écolier ou lycéen qui en a
besoin d’une tablette numérique16 , ainsi que d’organiser des cours d’école à la télévision. Dans une société dominée par
une compétition scolaire féroce, reste toutefois l’épineuse question des examens, dont l’équité est un point très sensible.
Nous devons mentionner ici le rôle des grand-parents dans la famille coréenne, qui offrent en général à leur enfants un
soutien plus actif qu’en France pour la garde des petits enfants. Il semblerait que ce rôle se soit renforcé pendant cette
crise pour attenuer les effets de la fermeture des ecoles sur l’activite des parents.
Quel modus vivendi adopter, qui soit plus compatible avec la vie normale des citoyens, des institutions et de
l’économie, sans rien compromettre de la santé de tous et de chacun ? Il n’est pas dans les missions du KCDC de faire de
la modélisation épidémiologique ou des études prospectives, contrairement par exemple au Robert Koch Institute
allemand. Élaborer un mode de vie temporaire sort donc du champ des missions propres du KCDC, dont le rôle et les
pouvoirs d’exception ne seront très vraisemblablement pas modifiés avant l’arrivée d’un vaccin ou d’un traitement. Le
KCDC est malgré tout intimement lié à la réflexion en cours, pour laquelle le Premier ministre, Chung Sekyun, a mis sur
pied une agence dite de consensus social17 (social consensus agency).
Cette agence nouvelle n’a semble-t-il pas été prévue par la loi, et sa mission durera beaucoup plus longtemps que
la phase initiale de l’épidémie. Elle a pour mission de s’occuper, en lien avec le KCDC, de tous les aspects de la vie sociale
et économique dans la période transitoire qui s’annonce. Étant données la complexité technique, sociale, économique, et
sanitaire du problème posé, et la nécessité absolue d’un consensus largement accepté, cette agence fera largement appel
à des sondages d’opinion. Elle se devait donc impérieusement de réunir une large palette de compétences de terrain, avec
des personnes issues du monde de la médecine et de l’épidémiologie, de l’éducation, de la sociologie et de l’économie,
ainsi que des représentants de la société civile. Sa composition a été publiée le 10 avril18, avec dix-huit membres dont trois
du KCDC, sous la coprésidence du ministre de la Santé et du président du Centre national de gestion des concours et
examens. Une première consultation populaire a été lancée sans tarder 19. La première tâche de ce comité est d’élaborer
un modus vivendi consensuel pour l’ensemble de la société, au mieux de l’intérêt général et des impératifs sanitaires, avant
de le traduire sous la forme d’un calendrier d’exécution. Dans un second temps, cette agence sera chargée du suivi du
dispositif, et d’éventuels ajustements, toujours en lien organique avec le KCDC.
16 Pour commencer 36.000 tablettes numériques ont été distribuées aux enfants des familles les plus pauvres.
17
http://ncov.mohw.go.kr/en/tcmBoardView.do?brdId=12&brdGubun=125&dataGubun=&ncvContSeq=353817&contSeq=353817&board_id=1365&gub
un=
18 Composition du comité de réflexion (agence de consensus social) ayant charge d’organiser la société en attendant un vaccin ou une
thérapie :
- 3 membres du KCDC (incluant le ministre de la Santé, co-président)
- le président du Centre national de gestion des examens et concours (co-président)
- 7 médecins : 3 infectiologues (pédiatrie, adulte, infections nosocomiales), 2 de santé publique, 2 de médecine du travail
- 2 spécialistes en économie : KDI (= think tank pour l’économie) + 1 spécialiste en économie de la santé
- 2 spécialistes en sociologie : 1 sociologue + 1 spécialiste dans la communication de la santé
- 1 membre de KIHASA : think tank pour la santé
- 2 représentants de sociétés civiles : association de consommateurs et YWCA (organisation féminine)
19 https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSeo5ghParzqRXjhHk6TCrRuilzCeuBLYE-u8neZFiZGfeBWmw/viewform
25
Conclusion
Ces lignes sont le fruit d’une enquête déclenchée dans l’urgence et accomplie grâce à de nombreux
encouragements, avis et contributions : l’Institut français de Séoul, ChooYoung Baek, Guillaume Graciani et Dahye Lee,
Spencer Shorte, Tobias Martin, HeeYoung Chae, Jong Bhak, Antoine Bondaz, Corinne Bernardeau, Benjamin Joineau, Yves
Charpak, Jean-Christophe Thalabard, Christian Bréchot, Jean-Jacques Grauhaar, et Frédéric Ojardias, Pierre Léna. Chacun
dans un rôle particulier a contribué, mais aucun n’est moindrement responsable des erreurs contenues dans ce rapport,
ni des avis personnels explicites ou implicites qu’il contient.
J’espère avoir livré une matière qui permettra au lecteur de neutraliser beaucoup d’idées fausses sur la Corée, et
de préjugés qui éteignent souvent notre curiosité. Le succès coréen dans la lutte contre la pandémie ne s’explique pas par
les particularismes culturels ou politiques de ce pays lointain, mais par le fait qu’il était prêt à répondre, avec des lois
adaptées à une action cohérente et très rapide, avec une infrastructure sanitaire solide, et avec une industrie puissante.
Mais ce n’est pas tout, car la mise en œuvre pratique de ces outils n’a réussi que par l’adhésion et la coopération massive
de la société civile à l’ensemble des mesures sanitaires d’exception. Conformément à l’esprit démocratique, cette adhésion
populaire et transpartisane fut d’autant plus naturelle et efficace que l’action pour l’intérêt général a été guidée par la
connaissance médicale et scientifique, avec un cap fixe, et sous le commandement des professionnels de la santé. Les
acteurs politiques ont également joué un rôle très important, qui sera analysé dans la seconde partie de ce rapport, à
paraître sous peu. Les éléments de la solution coréenne sont parfaitement conformes à l’esprit originel de nos démocraties
occidentales et au respect de la connaissance scientifique qui a porté le développement économique de l’Occident.
Comment donc penser un instant qu’ils ne pourraient pas être transposés en France ? Pourquoi attendre plus
longtemps pour mieux faire ?
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