CAA de PARIS, 8ème chambre, 07/12/2017, 15PA02819, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :

La société Point d'appui et l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes ont demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 24 juin 2013 par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande de rectification des informations concernant la fasciathérapie contenues dans le guide " Santé et dérives sectaires " publié par la mission interministérielle de vigilance contre les dérives sectaires (MIVILUDES) en avril 2012.

Par un jugement n° 1312211/6-2 du 19 mai 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de la société Point d'appui et de l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes.


Procédure devant la Cour :

Par une requête, des mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 17 juillet 2015, le 25 août 2015, le 26 février 2016 et le 20 mars 2017, la société Point d'appui et l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes, représentées par la SCP Monod-Colin-Stoclet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1312211/6-2 du 19 mai 2015 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 24 juin 2013 du Premier ministre ;

3°) d'enjoindre au Premier ministre de rectifier les informations erronées contenues dans le guide " Santé et dérives sectaires " ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la requête est recevable, la décision attaquée faisant grief ;
- le jugement attaqué n'a pas été rendu aux termes d'une procédure régulière dès lors que le sens des conclusions du rapporteur public n'a pas été mis en ligne dans un délai raisonnable avant l'audience ;
- le signataire de la décision attaquée n'avait pas compétence pour ce faire ;
- c'est à tort que l'exercice de la fasciathérapie, qui ne fait pas courir de risques aux patients, est considérée comme présentant un risque de dérive sectaire, et le guide " Santé et dérives sectaires " contient des informations mensongères et diffamatoires et méconnaît ainsi les obligations d'équilibre et d'impartialité qui s'imposent à la mission interministérielle de vigilance contre les dérives sectaires.


Par un mémoire en défense enregistré le 1er février 2017, le Premier ministre conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la demande devant le tribunal administratif était irrecevable ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lapouzade,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- et les observations de Me Monod, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la société Point d'appui et l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes.


Considérant ce qui suit :

Sur la fin de non recevoir opposée par le Premier ministre :

1. La société Point d'appui, qui dispensait jusqu'en 2012 des formations de fasciathérapie, aux masseurs-kinésithérapeutes et ostéopathes et qui a cessé cette activité après la publication du guide susvisé, et l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes, qui regroupe au sein d'une association de la loi de 1901 les professionnels de la fasciathérapie aux fins de défendre et de promouvoir la qualité de leur exercice, présentent, compte tenu de leurs activités et objet respectifs, un intérêt leur donnant qualité pour agir contre la décision du Premier ministre refusant de procéder à la rectification des informations concernant la fasciathérapie contenues dans le guide " Santé et dérives sectaires " publié par la mission interministérielle de vigilance contre les dérives sectaires (MIVILUDES) en avril 2012, cette décision, nonobstant la circonstance que le guide en cause ne présente aucun caractère décisoire, constituant un acte faisant grief dès lors que le contenu de ce guide est susceptible de léser les intérêts des demandeurs. Par suite, la fin de non recevoir opposée par le Premier ministre tirée de ce que la société Point d'appui et l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes ne présentent pas un intérêt pour agir, faute pour le guide de présenter le caractère d'un acte faisant grief, doit être rejetée.

Sur le bien fondé du jugement attaqué :

2. La MIVILUDES a fait état de la fasciathérapie qui est une technique pratiquée par des masseurs kinésithérapeutes de manipulation des fascias, lesquels sont constitués par les membranes fibreuses superficielles ou profondes enveloppant ou recouvrant une structure anatomique (muscles, organes, tendons...) dans le guide intitulé " Santé et dérives sectaires " qu'elle a publié en avril 2012. Ce guide mentionne, page 26, Fiche 1-4 intitulée " Quelles sont les méthodes les plus répandues ' " - utilisées dans le cadre des dérives sectaires, après " Les méthodes " psychologisantes " " et " " Le décodage biologique " et pratiques assimilées ", " Les méthodes par massage ou apposition des mains " et au premier rang de ces méthodes la fasciathérapie, avec ces observations : " La fasciathérapie est une thérapie manuelle fondée dans les années 80. Ses promoteurs la résument ainsi : - thérapie globale, la fasciathérapie prend en compte le patient dans sa totalité physique, psychique, sociale et culturelle ; - thérapie qui sollicite les forces d'auto-régulation somatique et psychique, la fasciathérapie crée les conditions pour que le corps du patient trouve la réponse à sa problématique ; - thérapie centrée sur la personne, la fasciathérapie s'inscrit dans un modèle global de santé qui ne s'adresse pas seulement à la maladie mais qui rend le patient acteur et auteur de sa santé. ". A la page 89 de ce même guide, dans la fiche 2-6 consacrée aux masseurs kinésithérapeutes, il est fait mention dans le chapitre intitulé " Le comportement du M-A... laisse présumer une dérive sectaire " " La MIVILUDES dans le cadre de sa mission de vigilance a pu identifier les - rares - situations suivantes dans les quelles les MK : (...) - ont appliqué des méthodes non éprouvées telles que ... la fasciathérapie ... en faisant courir des risques à leurs patients (perte de chance notamment) ". Enfin, l'Annexe 1 du rapport " Lexique des méthodes les plus répandues " reprend la définition précédemment donnée de la fasciathérapie.

3. Le président de la MIVILUDES dans son courrier du 24 juin 2013 en réponse à la demande de la société Point d'appui et de l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes de procéder à la rectification des mentions de la fasciathérapie figurant dans le guide précité a motivé son refus d'accéder à la demande des requérantes en faisant état de ce que les résultats de la fasciathérapie n'ont à ce jour reçu aucune validation scientifique, alors même que les fasciathérapeutes " prétendent pouvoir accompagner, après 500 heures de formation, les grossesses et les post-partum, les problèmes pédiatriques, les troubles du sommeil, l'anxiété, les difficultés scolaires...Aucune technique médicale au monde ne peut prétendre prendre en charge autant de pathologies. ".

4. En premier lieu, d'une part, contrairement à ce que soutient le Premier ministre dans ses écritures, le guide dont la rectification a été demandée ne se borne pas à relever l'absence de preuve de l'efficacité de la fasciathérapie et les risques encourus par les patients qui seraient soumis à ses méthodes, notamment en termes de pertes de chance, mais inscrit bien la fasciathérapie au nombre des pratiques susceptibles de générer des dérives sectaires que le guide a pour objet de recenser dans le domaine de la santé. D'autre part, s'agissant des risques encourus par les patients, le guide fait état de rares cas identifiés de situations dans lesquelles des masseurs kinésithérapeutes auraient exposés des patients à de tels risques.

5. En second lieu, d'une part, l'existence ou le risque de dérives sectaires, ainsi qu'une perte de chance pour les patients, ne peut résulter des seules circonstances que la fasciathérapie propose une approche globale du patient. Au demeurant, une telle approche est également préconisée pour l'exercice de la profession de masseurs kinésithérapeutes par les dispositions de l'article R. 4321-2 du code de la santé publique aux termes desquelles " Dans l'exercice de son activité, le masseur-kinésithérapeutes tient compte des caractéristiques psychologiques, sociales, économiques et culturelles de la personnalité de chaque patient, à tous âges de la vie (...) ", et par l'édition du Référentiel 2003 de la profession de masseur-kinésithérapeute. D'autre part, la circonstance que les méthodes de la fasciathérapie ne seraient pas, à ce jour, scientifiquement éprouvées, n'est pas en elle-même de nature à entraîner des risques pour le patient, alors en particulier qu'il n'est pas établi, ni même sérieusement soutenu, que la mise en oeuvre de ces méthodes par des masseurs-kinésithérapeutes, lesquels sont des professionnels de la santé, emporterait intrinsèquement des risques, dont la nature n'est au demeurant pas précisée, pour le patient. D'ailleurs, les requérantes soutiennent sur ce point, sans être contredites, qu'une enquête réalisée en 2003 auprès des masseurs kinésithérapeutes et masseurs khinésitérapeutes ostéopathes fait état de ce que 33% des professionnels interrogés utilisaient la fasciathérapie dans le traitement de leurs patients souffrant de lombalgies. Le Premier ministre ne produit au demeurant aucun des " signalements " invoqués par le président de la MIVILUDES dans son courrier du 24 juin 2013 mentionné ci-dessus qui tendraient à établir la dangerosité pour les patients du recours à la fasciathérapie.

6. Ainsi, en l'état de l'instruction, le Premier ministre n'établit pas l'existence, à la date de la décision attaquée de dérives sectaires, ou de risques de telles dérives, non plus que des patients auraient été exposés ou pourraient être exposés à une perte de chance du fait de l'utilisation des méthodes de la fasciathérapie par des masseurs kinésithérapeutes. Au demeurant si la MIVILUDES mentionnait toujours la fasciathérapie au nombre des pratiques liées à des dérives sectaires dans son rapport annuel de 2013-2014, elle en a abandonné toute mention dans son rapport 2015 alors même que dix pages de ce rapport sont consacrées au recensement des dérives sectaires dans le domaine de la santé et du bien-être.

7. Il résulte de ce qui précède que les requérantes sont fondées à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à ce que soit annulée la décision du Premier ministre. En conséquence, il y a lieu, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et l'autre moyen de la requête dirigé contre la décision du Premier ministre, d'annuler le jugement et la décision attaqués.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

8. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au Premier ministre de publier sur le site internet de la MIVILUDES et par voie de presse dans deux quotidiens nationaux, dans un délai de trois mois à compter de la notification qui lui sera faite du présent arrêt, un communiqué faisant état de ce qu'en exécution du présent arrêt les informations concernant la fasciathérapie ne doivent plus figurer dans le guide " Santé et dérives sectaires " publié par la mission interministérielle de vigilance contre les dérives sectaires (MIVILUDES) en avril 2012. Ce communiqué devra également apparaître, dans un même délai, sur l'ensemble des supports au moyen desquels le gouvernement avait rendu public ce rapport.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat (Premier ministre) le versement de la somme de 1 500 euros à la société Point d'appui et à l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1312211/6-2 du 19 mai 2015 du Tribunal administratif de Paris et la décision du Premier ministre du 24 juin 2013 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de publier sur le site internet de la MIVILUDES et par voie de presse dans deux quotidiens nationaux, dans un délai de trois mois à compter de la notification qui lui sera faite du présent arrêt, un communiqué faisant état de ce qu'en exécution du présent arrêt les informations concernant la fasciathérapie ne doivent plus figurer dans le guide " Santé et dérives sectaires " publié par la mission interministérielle de vigilance contre les dérives sectaires (MIVILUDES) en avril 2012. Ce communiqué devra également apparaître, dans un même délai, sur l'ensemble des supports au moyen desquels le gouvernement avait rendu public ce rapport.
Article 3 : L'Etat (Premier ministre) versera la somme de 1 500 euros à la société Point d'appui et à l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Point d'appui, à l'association nationale des kinésithérapeutes fasciathérapeutes et au Premier ministre.
Copie en sera adressé au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- MmeB..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2017.
Le président rapporteur,
J. LAPOUZADELe président assesseur,
I. LUBEN
Le greffier,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au Premier ministre en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA02819



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