1. 40 ans de mensonges, 10 kilos de surpoids, c’était le sous-titre de mon premier livre : « Tous gros demain ? » paru en 2007. J’y dénonçais (entre autres) la chasse généralisée aux graisses saturées et au cholestérol.

    La diabolisation des graisses animales a commencé dans les années 60.

    A cette époque, le magazine « Times » fait sa une sur Ancel Keys, l’épidémiologiste surnommé « Monsieur Cholestérol » qui annonce fièrement qu’il a trouvé la cause de l’infarctus : Les « Graisses saturées » et le cholestérol.

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    Ancel Keys s’appuie sur son interprétation de la fameuse « étude des 7 pays » qu’il a dirigé et qui compare la mortalité cardiovasculaire dans 7 pays, de la Grèce à la Finlande et met en évidence un lien statistique entre graisses saturées dans l’assiette, cholestérol dans le sang et accidents cardiaques. Sa conclusion est sans appel : Plus il y a de beurre et de graisses animales dans les régimes et plus le cholestérol monte et la mortalité cardiovasculaire suit.

    Mais aujourd’hui, il est avéré que M Ancel Keys avait triché et avait simplement enlevé de l’analyse les pays qui ne collaient pas avec sa théorie !

    Les études mises en place chez l’homme aux USA pour valider la théorie du cholestérol (l’étude du Minnesota etc..) n’étaient pas plus honnêtes. Elles montraient que quand on remplaçait le beurre par des huiles végétales (surtout soja et maïs), le cholestérol baissait… mais elles oubliaient de dire que la mortalité cardiovasculaire, elle ne baissait pas !

    Pourquoi trichait-il ?

    On ne le saura jamais. Les complotistes diront que c’était sous l’influence des lobbys du sucre, du soja, des huiles végétales, voire de l’industrie pharmaceutique…. Peut-être, mais, je pense qu’il s’agissait plus d’un conflit d’opinion que d’un conflit d’intérêt.

    M Keys qui n’était pas un nutritionniste, mais un physiologiste animal était imprégné sur les idées de l’époque sur les péchés de gourmandise et/ou les bienfaits du végétarianisme. D’ailleurs sur la fin de sa vie, Ancel Keys admit qu’il s’était trompé, (mais pas qu’il avait manipulé les chiffres pour les faire coller à ses théories).

    Les théories étaient séduisantes sur le plan scientifique, il faut le reconnaitre et tellement belles côté philosophique qu’elles étaient faciles à vulgariser : « Nous nous comportons mal, nous pêchons par gourmandise, nous mangeons des animaux, Dieu nous a puni en nous envoyons le fléau du cholestérol qui bouche vos artères »

    20 ans plus tard, une autre une du même magazine « Times » met en scène ce propos :

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    « Vous avez pêché (par les graisses saturées) … et bien vous allez être punis… (par le cholestérol) » !

    Dès les années 90, les épidémiologistes se sont aperçus que ce remplacement massif du beurre par des huiles industrielles solidifiées, et la diabolisation des graisses au profit des sucres augmentait la mortalité au lieu de la diminuer. Petit à petit, les acides gras trans industriels produits lors de la fabrication des premières margarines ont été mis en accusation car très corrélés à la mortalité (ces acides gras n’existent pas dans la nature).

    Dans le même temps, les travaux des prix Nobel de 1982 qui avaient mis en évidence le rôle des acides gras Omega 3 et Omega 6 dans la synthèse des médiateurs cellulaires se sont diffusés pour faire comprendre que la théorie des « mauvaises graisses animales saturées » versus « les bonnes huiles végétales poly-insaturées » était non seulement fausse, mais dangereuse. Dans ces années-là, un des prix Nobel de 1982, Sir John Vane rencontre les dirigeants de grandes firmes agroalimentaires et leur explique que le ratio Omega 6 / Omega 3 est beaucoup plus importante que le ratio graisses saturées / graisses poly insaturées. Il est poliment écouté et… éconduit.

    Au tournant du siècle, la plupart des scientifiques étaient convaincus que la théorie était fausse. Les comités d’experts, les sociétés savantes, les avis consensuels étaient tous d’accord : Le remplacement des graisses animales par des huiles poly-insaturées de type Omega 6 (soja, maïs, tournesol …), voire par ces mêmes huiles solidifiées dans les margarines industrielles bourrées à l’époque d’acides gras trans avaient causé des millions de drames et de morts.

    Des centaines d’articles scientifiques ont construit un nouveau consensus qui contredisait complètement la séduisante théorie d’Ancel Keys. Le revirement a d’abord été porté par quelques scientifiques courageux (parmi eux, notre ami William Lands, cf autre article de blog) qui depuis des décennies ont contesté doucement, puis de plus en plus fort la « théorie du cholestérol et des graisses saturées ».

    Mais le conflit d’opinion était devenu un puissant conflit d’intérêt. La moralité et l’honnêteté des adventistes végétariens avaient fait le lit du développement des profits des grandes compagnies du « big food » puis du « big pharma ».

    La diabolisation du beurre a ouvert une place énorme pour les industriels du végétal. Dans leurs usines et leurs laboratoires, les chimistes ont essayé de copier les vaches qui mangent de l’huile végétale (des fourrages) pour fabriquer du beurre. Ils ont saturé, estérifié… des huiles liquides pour en faire des margarines industrielles solides. Evidemment, c’est un business juteux de « faire son beurre » avec des huiles. A leur décharge, on ne savait pas les effets terribles qu’allaient produire les excès d’Omega 6 et l’apport massif d’acides gras trans industriels. Ces margarines et autres corps gras industriels ont généré des profits énormes puisque le « beurre du pauvre » (c’était l’appellation de la margarine inventée par concours sous Napoléon III par un chimiste Français) ne coûtait pas grand-chose et se vendait dans ces années-là plus cher que le beurre avec un super argument « sans graisses animales saturées ».

    Le train était parti.  Les cultures de palmier à huile ont envahi les forêts du Pacifique. Des géants de l’agroalimentaire comme Unilever ou Kraft ont connu des croissances incroyables. Le sucre a remplacé le gras, le monde s’est « poly-insaturé » à coup d’huile de maïs et de soja. Les monocultures de maïs, soja et palme ont envahi la planète, tandis que l’on retournait les prairies et que l’on dévastait les forêts primaires.

    On peut consulter les avis d’experts : Dès 2001, en France, les ANC* de l’ANSES** (AFSSA*** à l’époque) écrivaient tout à fait officiellement que « la baisse du cholestérol dans la population générale n’est pas un objectif de santé publique » ****

    Il faudra pourtant attendre encore 20 ans pour que le même magazine Times change son message de couverture :

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    « Mangez du beurre… Les scientifiques se sont trompés d’ennemi. Pourquoi avaient-ils torts ? ».

    Il a fallu plus de 40 ans au final avant de révéler l’erreur et ses conséquences : Les excès de sucre dans l’assiette quand le gras disparait ont fait de terribles dégâts. Les médicaments anti-cholestérol ont fait leur apparition dans le quotidien de nos repas et les médicaments anti-inflammatoires ont saturé nos armoires à pharmacie. Des champs d’Omega 6 (maïs, soja, tournesol) aux déficits de la sécu et à l’émergence des « maladies de civilisation », tout s’est mis en place avec de terribles désordres en matière de santé des sols, des animaux, des hommes et même de la planète, privée d’une part de ses prairies et de ses forêts « puits de Carbone » au profit des monocultures intensives.

    Il y a un an, en 2016, un article sortait dans la presse scientifique qui donnait (enfin) les vrais résultats de la fameuse étude du Minnesota (voir plus haut) des années soixante : Plus les graisses saturées baissent et plus le cholestérol baisse (jusque-là, ça marche)… mais plus la mortalité augmente (j’en parle en détail dans un autre article de blog). Il y a quelque mois, une formidable méta-analyse ***** du fameux journal Lancet******* démontre sans aucune ambiguïté qu’il n’y a aucun lien entre consommation de graisses saturées et mortalité.

    Tout récemment, j’ai eu l’occasion de rencontrer les auteurs de ces articles. Je leur demandé pourquoi à leurs yeux une théorie scientifique, séduisante au départ, mais aussi rapidement controversée a pu tenir aussi longtemps, causer autant de drames, coûté autant d’argent, inspirer autant de politiques de santé publique contreproductives, etc….

    Leur réponse est claire : 40 ans…c’est l’espérance de vie d’un leader d’opinion au summum de sa gloire et de sa reconnaissance…. Les grands journalistes qui inspiraient la une du Times des années 60 et 80, les grands profs de médecine de ces mêmes années pour qui la théorie des « graisses saturées » était si séduisante…. n’ont pas admis facilement qu’ils s’étaient tout simplement trompé. Mon interlocuteur appelait ça un « conflit d’ego ».

    Un « Conflit d’opinion », relayé par pas mal de « Conflits d’intérêt » et pérennisé par de puissants « Conflits d’ego » et voilà comment on ruine la santé d’une population. Il suffit d’ouvrir les yeux dans les rues de New York ou de regarder les statistiques de la Sécurité Sociale Française pour voir que la chasse aux graisses saturées qui a permis l’arrivée massive dans les assiettes de graisses Oméga 6 et de sucres sous toutes ses formes n’a pas produit que des bonnes choses !

    Il y a 25 ans, grâce à Ancel Keys, l’Europe croulait sous les stocks de beurre et mettait en place des « quotas de matières grasses » chez les producteurs de lait. Côté consommateurs, industriels ou restaurateurs, l’usage du beurre était honteux et laissait la place aux bonnes huiles végétales : huiles de palme et matières grasses « hydrogénées ». Aujourd’hui, les recommandations nutritionnelles des autorités ont changé.  Le beurre a retrouvé ses lettres de noblesse.  Le « pur beurre » s’affiche à nouveau fièrement, la consommation mondiale augmente et son prix s’envole influencant les marchés et…. La « crise du beurre » arrive… comme une preuve que le bon sens et la bonne science finissent toujours par triompher… mais que de temps perdu, de dégâts environnementaux et de drames humains….

    Epilogue

    On peut rêver à présent que les prairies, les champs de lupin, de lin, de féverole, de lin reprennent leur place dans nos paysage… que le maïs, le blé et le soja leur laissent un peu plus de place et que nos racines biologiques plongent à nouveau dans des chaînes alimentaires qu’elles connaissent et qu’elles nourriront de bonne (bio) diversité… mais…

    Alors que la margarine redevient le « beurre du pauvre » qu’elle n’aurait dû jamais cesser d’être, la ligne de front s’est déplacée vers les viandes et les charcuteries. Les mêmes causes produisent les mêmes effets :

    1- OPINION : Un fort courant éthique se met en place autour de problématiques justifiées de bien-être animal : Il faut arrêter de manger de la viande dit-on.

    L’opinion est respectable en tant que telle, mais ce « conflit d’opinion » déclenche une forte propagande sur les bienfaits supposés du véganisme sur l’environnement et la santé humaine.

    2- INTERETS : Tout une économie « végan » se met en place : magazines, restaurants, compléments alimentaires, industrie agro-alimentaire… les lobbys du soja et du palme exultent à nouveau. Dans les usines, les labos, les starts-up de Californie, on rêve à nouveau de viandes artificielles, de charcuteries végétales. Les futurs géants de l’agro-alimentaire sont sans doute en train d’émerger là-bas. Il y aura toujours une tentation économique à remplacer une vache par une machine et un paysan lié à sa terre par un ouvrier peu qualifié ou un ordinateur.

    3- EGO : Des leaders d’opinion convaincu par la justesse de l’opinion se font les relais de la propagande….et nous font croire qu’un steak de soja/palme, bourré d’additifs de toutes sortes et complémenté par quelques gélules bien choisies, c’est quand même mieux qu’une cuisse de poulet fermier !

    Et… dans quelques décennies, on comptabilisera les dégâts de désastres à venir.

    Dans quelques décennies ? Peut-être pas. A l’heure des réseaux sociaux et de la propagation rapide de l’information, on devrait pouvoir se faire une opinion soit même et ne pas gober la propagande de ceux qui veulent nous imposer la leur…. En tous les cas… c’est pour ça que j’écris.

    Pierre Weill.


    *ANC : Apports Nutritionnels Conseillés

    ** ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

    *** AFSSA : Agence française de sécurité sanitaire des aliments

    **** « Dans la population générale », car bien sûr les « hypercholestérolémies familiales » existent mais touchent moins de 1% de la population.

    ***** Méta-analyse : Analyse statistique de l’ensemble de la littérature scientifique pré-existante.

    ******* Lancet : Plus grand journal scientifique en matière de nutrition et de médecine

Pierre Weill

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