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Le professeur Raoult sans masque

Dans son bureau de l’IHU, le 21 octobre. Son dernier essai côtoie ses graphiques sur l’évolution du Covid.
Dans son bureau de l’IHU, le 21 octobre. Son dernier essai côtoie ses graphiques sur l’évolution du Covid. © Pascal Rostain / Paris Match
Par Anne Jouan et Grégory Peytavin avec Danièle Georget

Mégalo toxique pour les uns, génie jalousé pour les autres, il est accusé de mettre plus volontiers en lumière ses succès que ses échecs. Alors que la France vit à l’heure des couvre-feux, le cas Raoult continue de faire des étincelles.

La seconde vague à laquelle il ne croyait pas a l’ampleur d’une grande marée. Mais au quatrième étage de son antre de la fondation institut hospitalo-universtaire (IHU) Méditerranée infection, le professeur Didier Raoult reste insubmersible. Il nous reçoit avec une sérénité nonchalante, indifférent à ses échecs comme aux accusations. Imprégné de la maxime latine encadrée derrière son bureau. « Cavete, consules, quod tarpeia rupes proxima est Capitolio » (« Méfie-toi, Consul ! La roche tarpéienne est proche du Capitole »). Didier Raoult connaît ses fragilités même s’il se dit à l’abri de «l’hubris», le péché d’orgueil des anciens Grecs. «Je m’en méfie trop… Cela m’est arrivé quand j’ai réussi le concours d’internat. Je me suis par la suite senti tellement ridicule que j’en ai porté la honte toute ma vie…»

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Pourtant, se jeter sur l’obstacle dont on a si peur… c’est la définition même de la névrose, mal très répandu. Juste en dessous de la locution latine est branché le miniréfrigérateur qui renferme son casse-croûte et un Opinel. Philosophe, certes, mais pratique… Deux méthodes pour affronter la vie. Et la science. Qu’on lui réclame une nouvelle photo, et la colère de Didier Raoult explose: « Je ne suis pas acteur, ça suffit », mais qu’on lui parle de l’anniversaire de Rimbaud et, miraculeusement, il se radoucit. L’entretien peut commencer à visage découvert, dans son bureau climatisé car, contrairement aux prescriptions gouvernementales, personne ne porte le masque dans les bureaux de la fondation. «La transmission du virus est avant tout manuportée », affirme Didier Raoult, envers et contre tous.

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Alors on se désinfecte les mains. Toutes les vingt minutes. Un an avant la crise du Covid, Didier Raoult pouvait afficher un bilan indiscutable : 40% des 2 500 microbes décryptés, 38 brevets déposés, 9 virus géants découverts, 5 634 bactéries stockées… Il revendique une publication tous les quatre jours dans des revues scientifiques plus ou moins prestigieuses. De ces maladies infectieuses qui font 17 millions de morts par an dans le monde, il était le spécialiste français indétrônable et avait obtenu ce dont tout médecin-chercheur rêve: la réunion dans un même pôle multidisciplinaire de laboratoires, de bureaux d’études, d’unités de soins. « Si on m’a confié l’IHU, s’impatiente-t-il, avec le plus gros budget jamais donné dans la recherche, c’est pour le projet scientifique et pour le leadership. Il faut une grande robustesse.» Au nom de quoi, ce rebelle dans l’âme peut se déclarer «totalement dans le système ».

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L’IHU a bénéficié d’une subvention de plus de 72 millions d’euros pour sa création et affiche un bénéfice annuel de 11 millions. Aucune institution n’a pesé aussi lourd dans la lutte contre les microbes. Son statut de fondation permet d’associer les contributions des collectivités, des partenaires institutionnels, mais aussi d’entreprises privées ou d’industries pharmaceutiques. C’est aussi un incubateur de start-up. En contrepartie, ces jeunes entreprises réservent 5% de leur capital à l’IHU. La dernière-née, Techno-Jouvence, utilise les propriétés du ver planaire pour régénérer des cellules souches. Raoult en détient plus de 23%. S’il investit, dit-il, «c’est que c’est sérieux». Avant d’ajouter, amusé : « Il est possible que ça me rapporte de l’argent un jour.» La valorisation de ces activités fait gagner 500000 euros par an à l’institut. Il y a longtemps que Didier Raoult est connu de ses pairs. Le bilan pharaonique qu’il déploie lui a valu d’entrer sur la liste des « Highly Cited Researchers», le classement des 1% de scientifiques les plus cités du monde. Ce que la France entière ignorait… jusqu’à ce qu’une épidémie venue de Chine lui fasse franchir le Rubicon de la célébrité. Enfin, il allait pouvoir mener une guerre sur son terrain. Six mois après, en guise de décorations, sa blouse porte des taches indélébiles, quelque chose comme le sparadrap du capitaine Haddock: comment oublier les affirmations auxquelles tant de Français avaient eu envie de croire ? Le Covid ? une grippette. Sa dangerosité? accessoire. La méthode pour le combattre? l’hydroxychloroquine, ce nom imprononçable sur toutes les lèvres. La preuve? L’épidémie était jugulée à Marseille. 

Sur la Canebière, il reste un héros quoi qu’il fasse. Des fans se sont fait tatouer son portrait, il a même son santon dans la crèche de Noël. Et, consécration suprême, le rap lui rend hommage dans l’album du collectif 13 Organisé : «A Marseille, ça vend du shit et de la chloroquine… » Tant de patients chantent encore ses louanges. Sabrina Agresti, productrice de documentaires et épouse du doyen de la faculté de droit d’Aix-Marseille, en fait partie. Elle le surnomme affectueusement « le Doc ». Quand elle est tombée malade, « les autorités disaient de rester à la maison et de prendre du Doliprane. Je pensais que j’allais mourir et contaminer mes enfants. Mais à l’IHU, on s’est occupé de moi, ils m’ont fait un scanner et un électrocardiogramme. Ils m’ont proposé le protocole avec le Plaquénil et m’ont hospitalisée. Au bout de deux semaines, j’étais négative.» Sabrina Agresti livre le secret de sa guérison à Brigitte Macron avec qui elle s’entretient régulièrement depuis la campagne de 2017. Ainsi le président est-il venu découvrir une fondation qui rayonne partout dans le monde, sauf à Paris. Didier Raoult a l’habitude. « Ils m’ont tous remis une médaille, dit-il en désignant une série de photos avec les chefs d’Etat. Sauf le dernier… Ça viendra peut-être.»

Grâce à cette invention, l’institut high-tech peut tester et diagnostiquer une infection au Covid en vingt minutes. Au total, l’IHU réalise 1 500 tests par jour.
Grâce à cette invention, l’institut high-tech peut tester et diagnostiquer une infection au Covid en vingt minutes. Au total, l’IHU réalise 1 500 tests par jour. © F. Munsch/Sipa

Côté roche tarpéienne, on trouve la Société de pathologie infectieuse, qui porte plainte pour manquement au devoir de confraternité et utilisation de traitements non validés. Cette semaine, Didier Raoult a reçu un courrier recommandé du conseil départemental de l’Ordre des médecins lui signifiant que la plainte serait transmise à la chambre disciplinaire. Cette décision rarissime et inenvisageable il y a deux mois peut aboutir à une radiation. L’accusation de non-confraternité ne l’ébranle guère. Il l’explique aimablement aux ignorants qui l’interrogent: «Vous allez croire que c’est de l’arrogance, mais vous connaissez beaucoup de personnes comme Teddy Riner ? Il paraît que c’est une insulte de dire à quelqu’un que vous pensez plus vite que lui ou que vous écrivez plus vite ! Dans tous les domaines, il y a des écarts. Il faut l’accepter. Prenez Victor Hugo ou Balzac, vous croyez que j’écris plus vite que Balzac ? » Il n’est pas au bout de ses moqueries. Il y a aussi « l’arrogance bureaucratique » qu’il dénonce une fois encore dans son nouveau livre «La Science est un sport de combat », aux éditions HumenSciences.

Pour lui, la recherche scientifique est un sport de combat. En toute modestie, il se compare à Teddy Riner 

Reste son enfant, l’hydroxychloroquine… Il n’est pas près de l’abandonner. Chaque jour, à l’IHU, des confrères de la France entière téléphonent afin d’obtenir des précisions sur le traitement non autorisé. Quoi qu’en pensent l’OMS et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), à l’institut, les cas « sans gravité» sont toujours traités comme au printemps: scanner pour vérifier l’atteinte pulmonaire, électrocardiogramme pour s’assurer de la résistance du cœur, puis prescription de comprimés de Plaquénil (le nom de l’hydroxychloroquine produite par Sanofi) associé à l’antibiotique azithromycine et à du zinc qui facilite l’absorption. Selon Didier Raoult «ça marche» et ça permet de diminuer le nombre de cas graves. «L’alternative, dit-il, c’est du remdesivir en intraveineuse qui file des complications rénales. Entre les deux, qu’est-ce que vous choisissez?» Solidarity, l’étude de l’Organisation mondiale de la santé portant sur plus de 30 pays et 400 hôpitaux, a conclu qu’il n’y avait aucun bénéfice à utiliser son hydroxychloroquine, a porté les mêmes conclusions sur la molécule américaine du laboratoire Gilead, cette grande rivale contre laquelle Raoult n’a cessé de batailler. Et pourtant, l’agence américaine du médicament n’a pas hésité à valider le très onéreux remdesivir dont l’Europe a commandé 500000 doses début octobre.

Cet automne, sur les 7730 patients des hôpitaux marseillais et de l’IHU déclarés positifs, 1 262 ont été traités en hospitalisation de jour avec cette hydroxychloroquine que l’ANSM ne valide pas. Raoult se fiche de l’avis des autorités sanitaires comme de sa première Swatch. Et même, il les défie. Ce qui lui vaut un autre démêlé avec la justice: la plainte déposée pour utilisation de traitement non validé, à laquelle il oppose déjà sa liberté de prescrire et son serment d’Hippocrate. L’institut contourne la réglementation en assumant de délivrer en ambulatoire des prescriptions réservées aux essais cliniques en hospitalisation. La réglementation exige aussi que l’ordonnance prescrite porte la mention «hors autorisation de mise sur le marché » ; celle que nous avons pu consulter, datée d’octobre 2020, ne l’indiquait pas. Dans un signalement au parquet de Marseille, un praticien estime même que l’infectiologue a administré sa molécule sans «accord formel» du patient. L’ANSM a également saisi le parquet, ainsi que l’Ordre des médecins, à propos de l’étude que Didier Raoult présente comme observationnelle, alors que, selon l’autorité de santé, il s’agit d’une étude interventionnelle.

Le professeur Philippe Parola, chef du service des maladies infectieuses de l’institut, et deux internes.
Le professeur Philippe Parola, chef du service des maladies infectieuses de l’institut, et deux internes. © Pascal Rostain / Paris Match

A l’IHU, les cas les plus sérieux sont hospitalisés dans une des trois unités de 25 lits, entièrement consacrées au Covid. On leur administre alors «l’ensemble thérapeutique » comprenant le Plaquénil, l’azithromycine, des anticoagulants, puis l’oxygénothérapie et des corticoïdes, nous explique un médecin. C’est-à-dire, en plus de la potion Raoult, le cocktail adopté dans toute la France. C’est le meilleur moyen, selon les équipes en place, d’éviter l’évolution de la maladie et d’épargner des lits dans les services de réanimation à la Timone et à la Conception, les hôpitaux voisins. Car il n’y a pas de service de réanimation à l’IHU, ce qui explique le faible taux de mortalité. Le professeur Philippe Parola, chef du service des maladies infectieuses de l’institut, fait écho au professeur Raoult: «Mon devoir, c’est de soigner et je le fais comme s’il s’agissait de ma propre famille.» La détermination de ce médecin corse n’a pas changé: «L’hydroxychloroquine et l’azithromycine permettent de diminuer l’effet contagieux, de limiter la “tempête immunologique”, puis d’agir sur la thrombose pulmonaire. Nous soignons, les gens viennent pour cela, et le reste n’est pas notre problème.» 

De l’autre côté de la ville, dans le service de réanimation de l’hôpital Nord, également débordé, le professeur Marc Léone émet des réserves sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine, sans vouloir s’étendre. Il s’inquiète plutôt de voir affluer chez lui des patients qui n’ont pas de comorbidités plus importantes qu’un peu d’hypertension, de diabète ou d’obésité. «Le Covid prend 50% de nos lits, confie-t-il. La seule solution, c’est le report des opérations non urgentes, le respect des gestes barrières ainsi que des mesures gouvernementales.» Au 21 octobre, Santé publique France dénombre, pour une population similaire, 181 patients en réanimation Covid à Paris pour 180 dans les Bouches-duRhône. Alors, y a-t-il un effet Raoult? L’erreur serait de limiter son apport à la seule hydroxychloroquine. Il affirme depuis le début que la bataille sera aussi gagnée par les tests et par l’isolement qui devrait suivre. Du 1er septembre au 22 octobre, 110767 tests ont été réalisés à Marseille grâce à l’IHU. C’est unique. Cette capacité à diagnostiquer massivement en un temps record constitue une victoire pour Raoult.

Les prélèvements d’urgence se déroulent sous les yeux de tous dans une tente hermétique de la start-up Pocramé. Les praticiens sont enfermés sous atmosphère filtrée devant un laboratoire mobile. Le laborantin plonge ses bras dans des gants de plastique fixes et gratte les sinus sans avoir à sortir de sa bulle. Le résultat est disponible en vingt minutes. La start-up, lancée à l’institut en partenariat avec Didier Raoult, affiche un chiffre d’affaires de 1 million d’euros. L’IHU possède deux de ces laboratoires mobiles, les marins-pompiers de Marseille en ont deux également, et la région Sud en a commandé pour une dizaine d’hôpitaux. Ils équipent aussi les navires de la compagnie de transport CMA-CGM ou les bateaux de croisière de Ponant. L’innovation coûte 20 000 euros. L’Espagne en voudrait 200. Mais aucune commande dans le reste de l’Hexagone. Philippe Douste-Blazy, ex-ministre de la Santé et membre du conseil d’administration de l’IHU, n’en revient pas: «Un résultat en vingt minutes! Mais qu’est-ce qu’on attend pour en installer partout?» 

Son bureau, à l’IHU de Marseille, est devenu le plus célèbre de France.
Son bureau, à l’IHU de Marseille, est devenu le plus célèbre de France. © Pascal Rostain / Paris Match

Au nom de l’excellence, Raoult exige l’engagement total, à tous les étages, dans tous les services. Fatigués mais motivés, infirmières et médecins, exclusivement salariés de l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille, ont le sentiment de ne vivre que pour le virus. Comme Raoult. A 68 ans, l’homme qui aurait déjà eu deux incidents cardiaques a réduit ses journées de travail à… dix heures. « J’ai une vie de famille, mais je n’ai pas de vie sociale », avertit-il. Tout a un prix. Un ancien salarié affirme avoir été témoin d’une ambiance toxique et d’« une capacité à accélérer les procédures administratives des chercheurs étrangers jusqu’à contacter la préfecture », mais pour des gens qui acceptent de « travailler soixante-dix heures par semaine ». « Des pratiques destructrices, dit-il. Des étudiants sortent en pleurant de son bureau, d’autres falsifient leurs résultats pour obtenir ses bonnes grâces.»

« Quand vous êtes chez Raoult, vous savez que c’est 24 heures sur 24. Il a un mépris complet pour ceux qui ne travaillent pas, quitte à les humilier », appuie le président de la région Sud et médecin Renaud Muselier. Membre du conseil d’administration de l’institut, il ne soutient pas seulement Raoult contre vents et marées parce qu’il a soigné sa mère de 95 ans. Il connaît le virologue depuis la faculté de médecine. Didier Raoult aime pousser ses interlocuteurs dans leurs retranchements. Il attend de la « créativité », dit-il. « Un bon chercheur doit savoir être un enfant enthousiaste et un sportif de haut niveau. Il y a des gens créatifs qui n’arrivent pas à faire l’effort de la compétition. On ne sait jamais ce dont on est capable tant qu’on n’est pas mis à l’épreuve.» Ici, c’est Jeux olympiques toute l’année, et on ne gagne pas de médailles, juste des parutions dans des revues scientifiques. 

On ne meurt pas à l'IHU. il n’y a pas de service de réanimation

Moyennant quoi un groupe de chercheurs l’a accusé de régner en tyran. En août 2017, Ziena Elsawi, une doctorante soudanaise, écrivait à Frédérique Vidal, ministre de la Recherche, pour dénoncer les conditions « inexpliquées » de suspension de sa thèse et relater « les cris, les insultes, la souffrance ». Elle avait travaillé un an contre une bourse de doctorante de 1 100 euros par mois, dit-elle (soit 300 euros de moins que les rémunérations officielles les plus basses). L’institut paie ainsi ses thésards étrangers avec de simples bourses, sans cotisations, autrement dit au noir. Une pratique qui a valu, en 2006, un redressement Urssaf de 500 000 euros aux écoles des Mines et une nouvelle réglementation. Il en faut plus pour ébranler Raoult : «Tous les ans, on a une inspection des ministères de la Santé et de la Recherche. On ne peut pas faire quelque chose d’illégal; 50% des thésards en France ne sont pas payés du tout. Un thésard, c’est un étudiant. Il ne perçoit pas un salaire mais une gratification, qui n’est pas obligatoire.» Peu lui importe la loi édictant le contraire.

Les conditions dans lesquelles certains chercheurs étrangers auraient fait le déplacement jusqu’à Marseille avec des échantillons sont aussi pointées du doigt. Une étudiante algérienne a témoigné en avril 2018, par écrit, avoir accepté une proposition de recherche sur une bactérie. Alors que le transport de matières biologiques toxiques suppose un cadre strict, elle est arrivée avec ses échantillons. En langage de douaniers, cela équivaudrait à « faire la mule », délit passible d’une sanction pénale. Mais elle nous accueille froidement, « outrée que l’on enquête sur Didier Raoult ». Un revirement à 180 degrés. Elle n’est pourtant pas la seule à s’être inquiétée de « non-respect des règles d’hygiène et de sécurité pour la manipulation de bactéries pathogènes ». C’était le cas du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) de l’IHU, en 2017. Autant d’évocations qui laissent Didier Raoult de marbre : «Aucune erreur ne nous est permise…», lâche-t-il. Il préfère aller vers ceux qui privilégient l’enthousiasme. Comme les Africains… « On se comprend mieux.»

Peut-être parce qu’il est né à Dakar. Sur l’autre rive de la Méditerranée, l’IHU a créé deux unités partenaires, à Dakar et à Alger. En 2015, Raoult a mis en place au Sénégal des laboratoires de brousse pour effectuer des prélèvements de sang ou de salive dans des villages isolés. Cheikh Sokhna, doctorant en maladies tropicales, s’estime « chanceux ». S’il reconnaît avoir « la pression» à l’institut, il se félicite d’avoir pris « la tête du classement des scientifiques au Sénégal ». Grâce à Raoult. 

Tester massivement en un temps record, c’est la force de Raoult

On a pu croire cet ex-« mauvais garnement », rivalisant avec ses aînés depuis sa jeunesse, rentré dans le rang. En fait, sous les diplômes et l’honorabilité continue à se cacher un provocateur. «L’estime de sa généalogie rend complexe l’estime de soi », avoue-t-il dans une rare confidence. Père médecin militaire, arrière-grand-père médecin hygiéniste chef de service de l’hôpital des contagieux de la porte d’Aubervilliers de Paris, il est, après le bac littéraire, marin, garçon de café, colporteur. Deux ans d’errements rebelles, d’où il est revenu « la tête basse » pour commencer des études de médecine. Aujourd’hui, il s’exclame fièrement : « Je suis la quatrième génération d’officiers de la Légion d’honneur.» Cet orgueil qu’il redoute tant le conduit à n’obéir qu’à ses propres règles. Comme les champions, il fait la course contre lui-même. 

Et de se vanter: « J’ai été le plus jeune président d’université à 42 ans, je suis le professeur le plus ancien avec le grade le plus élevé dans tout le pays… Je regrette simplement que les gens ne m’écoutent pas.» On ne lui rappellera pas que Fabrice Lorente a été élu pré-sident de l’université de Perpignan à 35 ans.

Didier Raoult ne regarde pas en arrière. Ni à côté. En ce moment, il scrute le coronavirus qui met le monde occidental à genoux, prétend être le seul en France à en séquencer les génomes, ce qui lui permet d’affirmer qu’il y a eu plusieurs variants depuis l’hiver dernier. «Le premier est venu d’Afrique du Nord, en juillet. Le deuxième, du RoyaumeUni. C’est 75% de nos cas depuis août.» Un médecin, admiratif, qui collabore depuis dix ans à l’IHU, confie sous le sceau de l’anonymat: «Je pense qu’il n’y a pas d’effet de l’hydroxychloroquine Pour s’en sortir, Didier Raoult évoque un variant résistant.» Car le professeur ne veut jamais avoir tort. Il reste le seul maître à bord. Ceux qui ont des doutes se gardent de les afficher. Ce refus de la contradiction, c’est pourtant ce que Didier Raoult reproche à Yves Lévy, ancien président de l’Institut national de la recherche médicale (Inserm) et mari de l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn: «On ne peut pas discuter avec lui. Il se comporte comme un fou… Toujours l’hubris… On faisait 8% de la production scientifique de l’Inserm et ils se sont débarrassés de nous.»

Il a l’air d’un druide gaulois mais son institut est un incubateur de start-up

Au début de la polémique sur la chloroquine, le druide marseillais, qui se passionne pour Nietzsche, a préparé sa défense. Il a notamment pris contact avec Michel Onfray pour organiser une conférence, finalement annulée. Joint, le philosophe ne souhaite plus en parler. Début juillet, Raoult réunit aussi une ribambelle d’experts pour disserter du sujet suivant: « Ethique, médecine et essais cliniques en contexte pandémique.» Traduction : pourquoi veuton lui interdire d’agir et de tout tenter contre l’épidémie? Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, avait été initialement approché puis écarté de ce groupe. « J’avais rencontré la première fois Didier Raoult en 2007 pour une conférence sur la brevetabilité des gènes humains, se souvient-il. J’en garde un très mauvais souvenir. Il était moqueur. Il prétendait que si on ne pouvait pas breveter les gènes humains, il n’y aurait pas d’argent et on ne pourrait pas continuer la recherche. Nous ne pouvions pas avoir d’échange. Je me souviens de sa déclaration: “Je n’aime pas l’éthique, je préfère la morale.”» Dans la même veine, le professeur Emmanuel Hirsch a refusé que son nom soit associé au rapport: «Nous n’avons pas à servir de caution.»

Héros pour les uns, statue à abattre pour les autres, voire imposteur, Didier Raoult n’aime le brillant que dans l’intelligence. Une voiture économique, un simple appartement en rez-de-chaussée du centre-ville, mais une épouse qui fut l’une des plus jeunes psychiatres de France. Et trois enfants, aujourd’hui maître de conférences en droit, psychiatre, et la fille d’une première union, médecin comme lui. Et si on a l’air de plaindre les «fils de », la réponse est cinglante : «Ce n’est compliqué que pour les ratés.» Avant de rappeler: «C’était un défi pour moi d’arriver au niveau de mon père.» Le voilier l’été, la montagne l’hiver. Des réunions de famille en haute Provence où les Raoult ont construit un chalet au milieu des bois, la maison d’un bonheur discret. Gare à celui qui se risque à vouloir faire la lumière. Lui qui donne volontiers les noms des présidents avec qui il est photographié ferme la porte quand on l’interroge sur les portraits dont il s’entoure : «Gardez votre curiosité pour vous », s’offusque-t-il.

Au moment de nous raccompagner, il met son masque pour la première fois. Raoult est pressé. Une collection de 3 000 bactéries l’attend. Faute d’avoir convaincu ses pairs et vaincu le Covid, l’homme qui refuse d’avoir tort passe à autre chose. L’Afrique toujours, comme Rimbaud. Et une nouvelle découverte pour faire trembler le monde: expliquer la résistance aux antibiotiques dans les pays en développement qui en utilisent le moins. Un paradoxe dont il aurait percé le secret: les pesticides. De quoi se faire de nouveaux ennemis. Son idéal pour exister. 

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