Danse forum
→ Cheminement de la danse forum
!!DF 4/11/09, festival du PBTM
Danse forum du 4 novembre 2009, en clôture du festival du PBTM, à Cadenet
La danse forum a eu lieu en finale du festival du PBTM, le mercredi après-midi 4 novembre 2009, à Cadenet. Les trois matinées précédentes nous ont permis de nous préparer, Johanna et moi, et une douzaine de participants nouveaux à la DF. Voici le récit de cet événement, d’après mes notes, et à la vision de la vidéo qui a été prise ce jour-là. Ce récit est pour moi l’occasion de faire le point sur les avancées, concepts et questionnements de la DF.
TROIS MATINÉES
Ces matinées, sous forme d’ateliers menés par Johanna et moi, se sont articulées autour de trois concepts : la présentation, la situation et la relation. Ces concepts ont été abordés par des « mises en situation » plutôt que par des « exercices ».
Je vois la différence dans la dynamique que ces approches mettent en place.
Les exercices ont une dynamique centripète : je pars d’un exercice fruit d’une expérience partagée de plusieurs personnes parfois sur des générations, exercice que je répète pour m’améliorer et apprendre de lui, réfléchir à partir de lui. Le résultat change de qualité (qui normalement s’améliore) en essayant de ne pas changer de forme, ou alors en toute connaissance de cause. On est dans l’apprentissage guidé, de l’intérieur ou de l’extérieur.
Les mises en situation ont une dynamique centrifuge : je pars d’une situation (par exemple se présenter) et je crée des savoir-faire et connaissances réflexifs en la développant. Le résultat change de forme et de qualité d’une fois sur l’autre. Il est partagé avec les autres participants. On est dans l’auto-apprentissage coopératif.
Les jeux (de dynamique de groupe, de synchronisation, d’imagination, de mémoire etc.) et l’adoption des contraintes (ne danser qu’avec les yeux, ou le buste pour exemple) se situeraient entre l’exercice et la mise en situation. Le curseur semble pourvoir se déplacer plus vers l’exercice, ou plus vers la mise en situation, selon ce que l’on recherche.
1- Présentation : se présenter et présenter l’autre
Mises en situation autour de « la présentation »
- tous en cercle, se présenter, un par un, de la façon que l’on souhaite : geste ou poème
- à tous, simultanément : partir de là où l’on est, de comme on est, et laisser venir le mouvement
- deux par deux, l’un se présente à l’autre, retour verbal de l’autre
- puis l’autre se présente à l’un, retour verbal de l’un
- se présenter à tous simultanément, musique des corps.
Quelques traits se sont dégagés lors des retours.
Nous avons été amenés à :
- voir ce que je choisis de donner à voir… de moi, de ma vie, qui n’est pas « la » réalité, mais ma réalité
- sentir le croisement des regards en miroir, les influences mutuelles et constantes
- déconstruire l’habitude du regard, le déformater, en multipliant les points de vue, et accéder ou donner accès à ce qui nous concerne vraiment.
L’espace de la présentation nous a semblé un espace déstabilisant au début, mais à la fois protégé et intimiste, où le danseur se trouve et donne à trouver…
2- Situation : situer ce que l’on danse et ce que l’on voit danser
« Il y a deux manières de dépasser la figuration (c’est à dire à la fois l’illustratif et le narratif) : ou bien vers la forme abstraite, ou bien vers la Figure. Cette voie de la Figure, Cézanne lui donne un nom simple : la sensation. » (Gilles Deleuze : Francis Bacon, logique de la sensation, p. 39)
- Situer le geste, le verbe, la danse, le trait, pour ne plus juger :
Discerner et expérimenter dans la danse ses composantes et dominantes illustratives ou narratives, figuratives ou abstraites, de façon à pouvoir toutes les accueillir, et les utiliser avec pertinence.
Voir venir la sensation comme troisième voie, où la structure n’est pas projetée en amont du geste, mais se découvre de l’intérieur du geste, dans son immédiateté. Laisser la sensation nous mouvoir, puis nous émouvoir selon la Figure.
- Se situer dans l’espace-temps-poids
Nous avons expérimenté le temps mondain/quotidien, extra-mondain/extra-quotidien, … avec des « poches » ou des « plis » de l’un dans l’autre, à volonté.
Danser avec l’espace : ses zones, ses directions, ses lignes de force.
Danser avec le poids, à travers le type d’énergie donnée au mouvement.
3- Relation
La relation au partenaire est complexe, foisonnante d’imprévus, spontanée ou calculée, inconsciente ou conscientisée…
Elle induit fusion, distance, abandon, négociation, dépendance, résistance, autonomie…
que le partenaire soit temps, espace, poids
soi
l’autre
la musique
le thème ?
le public
Les problèmes commencent avec la relation…
problèmes qui amènent des questionnements…
questionnements qui amènent la problématisation…
ET UNE DANSE FORUM PUBLIQUE
Tout était en place, nous avons sauté dans la danse forum comme dans un bain chaud et bouillonnant
- avec pour thème, choisi le matin-même pendant l’atelier d’Elsa, de façon réflexive :
« (le sentiment d’)impuissance »
- et pour sous-thème – qui sous-tend le thème – choisi à la fin de l’échauffement, de façon sensitive :
« la transformation »
L’échauffement
La particularité de l’échauffement en danse forum est qu’il redonne voix à l’involontaire et au spontané. En suspendant la volonté, nous découvrons que le geste n’est pas aléatoire ni cahotique, il est au contraire construit et rigoureux, il est structurant. Nous avons fait, avec la partie du public qui le souhaitait, « l’éveil des sensations », puis « l’éveil des muscles », en un temps record de 30 minutes… Bien sûr le volontaire était présent par moments, surtout sous le regard d’une partie du public, mais il a souvent laissé la place à quelque chose « qui venait plus des tripes », a dit l’un de nous.
La structure profonde qu’on découvre donne de l’espace à l’imaginaire, avec ses polarités :
sensation – imagination, senti – ressenti, perception – interprétation.
Revenir toujours vers la sensation, le senti, la perception première, comme après un long voyage, lorsqu’on revient à ses racines.
Le forum
De l’impuissance, nous en avons vu et donné à voir !
A tous les niveaux : dynamique, gestuel, artistique, relationnel.
Isolement, désir individuel de rencontre…
Le constat premier était à la fois sévère et jouissif : pour une fois que l’on ne se voilait pas la face !
L’imperfection humaine une fois révélée, la transformation a opéré son travail infinitésimal, de longue haleine, transmutation à résurgences impromptues, le regard qui se décille, la beauté de ce qui est…
Questions multiples, à partir de vécus singuliers articulés lors des retours verbaux :
- qu’est-ce qui donne ce sentiment d’ impuissance ? La solitude ? La consigne d’être ensemble ?
- dans un même espace, la relation entre les personnes présentes n’est-elle pas déjà en place, d’une façon ou d’une autre ?
- la relation peut-elle se concevoir comme sentiment de rencontrer d’autres énergies ?
- la sensation de « justesse » est-elle l’antidote du sentiment d’impuissance ?
- être seul avec les autres à côté de soi… prendre appui sur l’autre permet-il de se transformer ?
- ne plus reconnaître les autres en sortant de scène tant ils ont évolué gestuellement : est-ce que cela tient à une liberté plus grande, à l’acceptation de se transformer, à une transfiguration, à des désirs d’approche, une expérience esthétique ?
- aller au collectif : est-ce que cela libère ? Les allures sont différentes, les rythmes, les sensibilités : faut-il passer par l’individuel auparavant ?
- avant même le sentiment d’impuissance, il y a parfois la sensation de vide : le sentiment d’impuissance est-il déjà une densification, avec les relations qui commencent à se tricoter ?
- sentiment que ça « grouillait » partout : comment percevoir l’espace, pour jouer avec les lignes de force, les distances ?
- supporter des rencontres, porter des personnes, n’est-ce pas une façon de sortir de ce sentiment d’impuissance ?
- être prisonnier de la musique, cet environnement qui bouge : comment être avec soi-même malgré la musique ? Faire la musique/des sons tout en dansant ?
- au cœur de la puissance, l’impuissance ne prend-elle pas sa source ?
- comment s’apercevoir, prendre conscience, être plus à l’écoute de l’autre, au regard de l’autre ?
Le bilan
Après avoir visionné des passages choisis de la vidéo qui venait d’être faite, nous avons essayé de dégager les problématiques que généraient les danses et les retours parlés, avec leur lot de questions.
La problématique questionne la question, en ouvrant d’autres questions. Elle va du particulier au général, pour faire cheminer à la fois l’individu et le groupe.
- Problématique de la relation
Avant d’être avec les autres, faut-il commencer par être avec soi-même ? C’est une problématique de micropolitique des groupes. Retours et perceptions s’appliquent à la vie du groupe : pas de slogans dans ce cas de figure, mais des perceptions qui enrichissent la vie. Il s’agit plus de politique de la vie, du quotidien.
Derrière la qualité d’une relation, quels sont les choix : affinité ? hasard ?
Chercher le lien, c’est la problématique de la rencontre, de la séparation, du volontaire. Il y a cette idée de la transformation face aux autres, en quoi l’autre me fait me transformer ? Serait-ce de sa volonté, de la mienne ?
La danse comme corps en mouvement, sans passer par le filtre du psychisme :
les rencontres fortuites semblent plus justes que si elles sont volontaristes. Comment ne pas séparer corps et esprit, comment ne pas se couper la tête ?
L’intention comme élan, flux, écoute de ce qui vient. Sans intention, y a‑t-il immobilité ?
Le mental est là même quand on ne bouge pas. Y a‑t-il un va et vient entre la tête et ce qui vient spontanément ?
Besoin de préciser les mots et de discerner ce que veulent dire : volontaire, involontaire, spontané, intention, initiative, décision.
- Problématique du thème
Le thème rassemble les participants, qui le choisissent en fonction de leur vie, intérêts, questionnements. Sans thème, on ne peut pas forumiser, sans forum, pas de danse forum. Impuissance envers le thème ?
Sans le thème et le sous-thème : la danse n’aurait-elle pas été la même ? Comment savoir ?
Est-ce que le thème est influent sur la danse ?
Est-ce qu’en voyant une danse, je ne peux pas voir n’importe quel thème ?
Est-ce qu’avec un autre thème, on aurait fait d’autres mouvements ?
Peut-être la problématique se pose ainsi : le fait d’avoir dansé sur ce thème, qu’est-ce que cela change dans notre perception de l’impuissance et de la transformation ?
Pas de réponse immédiate
mais
accepter son impuissance, sa fragilité, cela devenait drôle et très beau
transformation dans la beauté, dans ce que ça a développé, ça commençait à prendre un sens, on ne sentait pas l’impuissance.
Une remarque : ce n’est pas important de savoir si on a dansé le thème. Après, le thème « pousse », nous mobilise dans la vie quotidienne. Le thème affine l’observation de ce que je fais. Petit à petit, par petits morceaux, on ouvre des choses…
Improvisation et thème, est-ce que les deux vont ensemble ? L’improvisation sans thème, n’est-ce pas mieux ? Est-ce que l’intérêt de la danse, avec thème ou sans thème, dépend du type d’improvisation ?
Le thème comme un fil rouge ? comme un partenaire ?
Peut-on sentir le thème comme source de mouvement, qui jaillit en permanence, qui nourrit ?
Comment danser « l’impuissance », sans être dans le représentatif, ni dans l’illustration ? Essayer que le thème soit la source ?
Comment trouver le moment juste pour arrêter la danse, la musique, les questions, la DF, cet écrit ? Faut-il attendre que l’intérêt retombe ? Faut-il prévenir cette baisse d’intérêt au risque de frustrer les participants ? Il y a sûrement un point stratégique, imprévisible et pourtant adéquat, un point juste avant mais pas trop avant, ni après, un point sensible comme duvet se mirant au soleil, étonné de son bruit…
Andréine Bel
Article créé le 16/02/2020 – modifié le 10/06/2020