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!!Rapports à la musique – 27 mai 2006
Nous étions sept, avec une petite fille qui a bien joué son rôle.
Les besoins étaient divers, nous avons pris le temps de les écouter
et d’y répondre.
La question a été effleurée, entre le mouvement spontané et le
mouvement régénérateur, les deux étant proches de l’involontaire et
répondant aux besoins. [Je pourrais dire la différence dans ce qui
s’exprime : le mouvement régénérateur est en deçà de la forme, n’a
aucune intention ni but ni technique. Le mouvement spontané est au
delà de la forme, dépassant toute intention, but ou technique.]
Une autre question est venue à la surface, celle de la place du
mental dans la relation aux sensations. La sensation indique si l’on
se sent lourd ou léger, par exemple, et simultanément, indique notre
besoin par rapport à elle (mouvement, immobilité, de quelle sorte etc.).
De la même façon, quand j’ai soif, je sais si j’ai besoin de chaud ou de froid, de sucré ou de salé etc. Cette simultanéité, si on y est attentif, ne laisse pas de place au mental
pour interférer, seulement pour observer.
Si je suis la sensation de mes besoins, ils sont réévalués à chaque
instant, puisqu’en les comblant ils se modifient et se déplacent. La
sensation va donc m’amener à ce que je ne peux prévoir.
Nous avons essayé, un par un, de faire le mouvement qui corresponde à
cette instantanéité du senti, sans prévoir ce qui va se faire à
l’avance. Nous nous sommes placés en situation d’improvisation
réelle, et non un assemblage improvisé de mouvements connus et pensés
en avance du geste.
De nous tous, la petite fille de cinq ans a été de loin la plus
experte ! Elle a amené sur le tapis un ballon rouge presque aussi haut
qu’elle, et s’est contentée de le pousser, le retenir, le diriger, se
laisser surprendre par lui, le laisser partir, le rattraper, d’abord
dans tous les sens, puis le long des carrés de tapis, et ce ballon
est devenu son partenaire vivant, semblant lui répondre et jouer avec
elle. Ceci sur la musique de Sibellius : « The maiden in the tower ».
Puis nous les adultes avons essayé. A tour de rôle, l’une a laissé
son corps l’emmener là où il le voulait, pour une autre, l’enfant de
cinq ans a été sa musique, une autre a laissé l’espace la
structurer, un autre est allé là où la musique le voulait, une autre
a laisser venir ce qui voulait venir, un autre a goûté le besoin de
détente.
Courte pause
Le thème est venu de suite : le rapport à la musique. Quelle danse
naît selon son lien à la musique ? Nos expériences allaient de la
symbiose avec la musique à l’indépendance presque totale. Il n’avait
échappé à personne que la petite fille était parfaitement
indépendante de la musique et pourtant synchrone à certains moments,
comme lors de retrouvailles fortuites. Cela nous a fait penser à
Merce Cunningham et John Cage qui exploraient cette indépendance et
son incidence sur leur rencontre par le jeu du hasard.
Se distancier de la musique peut prendre plusieurs formes. Comme la
danse, la musique a trois paramètres : le temps, l’espace et
l’énergie. En faisant varier l’un d’eux, on s’éloigne de la symbiose
avec la musique.
Nous avons mis en présence deux danseurs : un qui colle à la musique,
un qui s’en éloigne, histoire de voir ce qu’il advient d’eux.
Le premier couple s’est ignoré mutuellement. Sur Chris Barber et son
jazz, l’une a pris ses distance avec le tempo, faisant des gestes
très lents sur un tempo médium. Par contre, ses gestes étaient ronds
et amples comme la mélodie, et la sensualité était son type d’énergie.
Celle qui collait à la musique l’a illustrée en mime de la « mama
noire », qui joue des casseroles dans sa cuisine en préparant le
repas. Ici, l’illustration se prêtait volontiers à cette musique
fortement connotée et reliée à l’imaginaire culturel de la danseuse.
Le fait que les deux danseuses s’ignorent nous rendait la scène
lisible sur deux niveaux, l’une étant dans le vécu, l’autre dans la
représentation. J’ai réalisé que c’était l’exemple parfait où
l’illustration, que d’habitude je redoute tant, est bienvenue !
La danseuse qui mimait la musique a été remplacée, l’autre est restée
sur place, le contact s’est instauré entre les deux danseuses.
Il s’est accentué avec un troisième danseur, qui voyant que la
danseuse avait épousé la musique, s’est mis à faire des gestes
saccadés et angulaires. Les deux cohabitaient plutôt bien.
Dans les trois cas, la danseuse qui dansait en lenteur « contre » la
musique est devenue la lumière qui attire les papillons. Qu’elle
reste sur scène pour les trois essais a été ressenti comme très
judicieux.
Puis nous avons tenté un dernier essai, avec un danseur et une
danseuse, sur la chanson la plus sensuelle que je connaisse :
« Unchained melody », des Righteous brothers.
La danseuse allait « contre » la musique, le danseur « avec ». Pour
aller contre, la danseuse a accéléré le rythme, le danseur, lui, se
laissait porter par le tempo. Les deux ont fait un mélange détonnant,
et d’une drôlerie sans limite, à nous secouer les tripes. Un morceau
d’ontologie dans nos mémoires !
Andréine Bel
Article créé le 16/02/2020