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!!Désintégration et recomposition Circulation de forces et vibration – 15/1/17
https://collectifsanstete.wordpress.com/desintegration-suite-15 – 01-17/
Les participants : Christian, Eléonora, Hervé, Kristell, Lise, Louis, Nico.
Rédaction du CR : Hervé Marongiu et Nicolas.
Le groupe a fait le choix de retravailler sur le thème réflexif expérimenté lors de la précédente DF :
De la désintégration à la recomposition.
MATIN
Hervé mène l’échauffement
Retours
- mouvements rotatifs buste et bassin, pivots, étirements bras/jambes/colonne vertébrale.
- faire circuler la boule entre bassin et tête, vagues du haut du corps, circulation.
- changements d’appuis statiques dans la marche, étirements, assouplissements, rotations en toupie, appuis sur mur et scène, mouvements saccadés puis amples, déplacements.
- tirer des bouts du corps, concentrer la force avec le poids, jouer sur l’équilibre.
- au sol, accroupie, force d’attraction, le corps fait le pont entre deux points d’attraction.
- marche, appuis au mur.
Choix du thème sensitif : circulation de force
Temps de danse 1 : Hervé tilte
Retours
Hervé : C’était très riche. Une chose m’a marqué, c’est une chose à laquelle je ne croyais pas jusqu’à aujourd’hui, c’est que le corps ne laisse pas de traces dans l’espace mais là j’ai eu l’impression que l’espace se remplissait des forces et d’énergies qui étaient dans les corps et que cela changeait quelque chose et du coup laissait une certaine forme de trace, comme une perception nouvelle !
Nico : La bouche est un super endroit de décomposition-recomposition, on prend et on formule des sons et cela construit du langage, par l’articulation. Cest aussi l’endroit où l’on mange, où l’on désintègre des aliments pour recomposer notre corps et nos forces vitales. Les mouvements de ta bouche (Kristell) m’ont fait penser à : mordre pour se défendre, manger, parler et ces mouvements d’ouverture et fermeture résumaient beaucoup de choses.
Kristell : En fait j’ai essayé de sentir où je suis dans l’espace avec la bouche et les yeux fermés. Je me voyais comme un nouveau-né ou un pantin, et je l’ai vécu en phase d’expérimentation scientifique sans aucune émotion.
Nico : Je me posais la question de cette dualité corps-esprit. Et il y a des échanges permanents entre ces deux, par rapport au thème de la désintégration à la recomposition. C’est ce que l’on disait à propos de ce qui ne se reprend pas et de ce qui s’échange entre deux états. Il y a toujours des correspondances entre un état plus mental ou plus physique, mais en même temps ce n’est pas tout à fait pareil non plus. C’est plus la composition que la désintégration entre le corps et l’esprit. Lorsque tu dansais et parlais en même temps, il y avait des mouvements plus fluides, en fait quand tu parles, ça change les mouvements du corps.
Eléonora : Je suis d’accord, lorsque tu as dit certaines phrases, ça a imprimé des chose dans mon corps. J’ai en fait commencé par cette phrase sur les affrontements que j’ai trouvée par hasard dans un bouquin, et j’ai l’impression que je l’ai vécue. Comment transformer les affrontements ? Au début il y a eu une force qui se trainait pour faire contre-poids, et permettre le déplacement qui était difficile. Je m’appuyais sur le peu d’endroits que je trouvais. Il y avait cette notion de force pour s’opposer à quelque chose, se décoller de quelque chose corporellement. Besoin de concentrer cette force pour la ressentir dans un endroit, mais c’est là que je sentais le risque le plus fort de désintégration. Puis grâce à la respiration, la légèreté est venue. Du coup cette force s’est transformée et m’a aidée à tenir certaines positions, sur la pointe des pieds par exemple. L’équilibre n’est pas une constance, c’est prendre des risques.
Christian : Le fait de danser avec le corps en jouant (de la batterie) c’est une façon de mieux sentir l’espace de la danse, je ne sais pas comment dire cela, mais c’est ça qui me vient. Et même à un moment donné je ne faisais pas beaucoup de sons, mais je bougeais dans le silence sur l’instrument. Cela permet de faire le lien avec autre chose, à propos de la circulation de forces et des traces dans l’espace, beaucoup de choses se passent avec les sons dans l’espace, d’où un besoin de jouer avec l’espace du son. Jouer aussi avec les mouvements des danseurs génère presque des contrepoints rythmiques. En tant que musicien, je suis obligé d’étirer mon oreille dans l’espace, d’élargir mon écoute, ce qui permet de travailler des choses très fines. J’ai senti des fluides dans l’espace, des liens entre les personnes. Je jouais des silences et j’ai remarqué que les silences permettaient de désintégrer quelque chose et en même temps cela recomposait autre chose. La désintégration et la recomposition ont les mêmes forces. Il y a une infinité d’influences qu’on ne perçoit pas sur le moment, mais cela donne une force !
Eleonora : Est-ce que ce sont les mêmes forces qui permettent de désintégrer et de recomposer ?
Christian : Oui, je pense, car si l’on n’accepte pas la désintégration, il ne peut pas y avoir de transformation.
Kristell : Je n’ai pas senti de chemin entre la désintégration et la recomposition. Je me suis laissée porter par tout ce qui se passait autour, corps et musique.
Nico : Je fais un lien avec l’idée qu’en psychanalyse, il n’y a jamais rien qui se détruit mais plutôt se transforme en nous, soit ça se refoule, soit on transforme consciemment. Quand on fait un geste, il revient ensuite sous une autre forme, d’où l’idée que la désintégration n’est jamais une annihilation totale. Rien n’est jamais mis de côté, il y a toujours circulation.
APRÈS-MIDI
Hervé mène l’échauffement
Retours
Les mots qui reviennent le plus sont : ’’hors-contrôle, perdu’’ et ’’vibrer’’, puis il y a ’’énerige’’, ’’mains’’, ’’marche’’, ’’dissocier’’, ’’balancier’’. (Ont aussi été évoqués ’’rotations’’, ’’lancer’’, ’’saut’’, ’’aller-retour’’, ’’reconnecter’’, ’’ouvrir’’, ’’libérer’’, ’’sans force’’)
On a tenté de faire le lien entre l’idée de vibration, de mouvement répétitif, de contrôle, de se perdre, et de s’ancrer. Propositions : vibration et perte, fréquences, vibration entre ancrage et égarement …
Thème sensitif : ’’vibration ?’’.
Dès le choix du thème, des participant.e.s ont fait remarquer les liens que l’on peut faire avec le thème réflexif.
Temps de danse 2 : Nico tilte
- La mécanique rythmique, les mouvements, oscillations et vibrations permettent un vécu du corps, une présence au monde.
- La vibration secoue tout, c’est un mouvement énergisant qui allume ce qui sommeille et compose un état corporel frais : dans le vibratoire, le corps se débarasse des énergies, des pulsions. L’énergie de la création se dégage de ce mouvement d’abandon.
- Comme la voiture, le corps avance car le moteur vibre.
- Dans la progression de la plupart des danseurs, il m’a semblé que la vibration peut être une réjouissance, s’identifiant à la force vitale, comme dans une transe (d’abord corporelle) ou une célébration.
- Les danses ont pu faire penser à des cérémonies tribales, des danses de célébration, avec un feu, celui que dégagent les corps et qui anime le groupe. Les danseurs sont en cohésion, voire en fusion.
- Envie irrépressible d’y aller, la force motrice est grande et jubilatoire.
- Imposer : comment faire avec, quand on a pas envie de quelque chose, mais que ça nous affecte quand-même ? Comment faire avec les propositions des autres ?
- Est-ce qu’on peut créer de l’harmonie et s’y réfugier quand il y a trop de mouvements, de force ?
- Quand faut-il plutôt jouer le jeu du groupe ou son propre jeu ? Est-ce qu’on peut choisir consciemment ?
- Est-ce que, à augmenter trop le mouvement, on peut se perdre, se désintégrer ?
- Est-ce le même type de contrôle quand on tient, raide, en tension, et quand on avance, qu’on laisse aller ? Non, mais bien deux types de contrôle.
- De même, deux types de vie quand on tient et quand on laisse aller. Est-ce qu’on contrôle mieux ? Ça vit quand on tient, quand on maintient des choses stables ?
- Tenir dans un groupe donne de l’influence, parfois du pouvoir.
- La vibration peut se voir comme communication, et la contamination du mouvement vibratoire c’est la cohésion.
- La circulation des énergies donne des chances d’explorer.
Temps de danse 3
Écritures automatiques
Temps de danse 4 : Eléonora tilte
Ecriture de la tilteuse pendant l’improvisation :
saturation, onduler, désarticuler, nager, rentrer, s’immerger, hésiter, (se) balancer, ouvrir, fermer, tester, lancer, jouer, rouler, dégringoler, s’accrocher, sautiller, retomber, se reléver, lâcher, saturation, crier, adoucir la colère, revenir, élargir, équilibre, serpenter, essayer, tester, avoir le courage, excès, emmagasiner l’énergie et boum, glisser, descendre, se liquéfier, se sentir, repartir, se donner une impulsion, on ne lâche pas, on abandonne pas, être tiré, tiraillé, la chair, être pendu, suspendu, se suspendre, se bloquer, se retenir, composer, proposer, inviter, se relever, attraper, être guidés par une idée, l’équilibre n’est pas une constance, besoin de rythme, s’accrocher, réveiller, recevoir.
Texte composé pendant l’impro par une participante qui a « chopé des bouts et composé un texte avec ce que je sens » :
Ne pas avoir envie. arrête.chut. à terre.en silence. en respiration lente. envie de coton.lentement.attends.perdue.qui.coton en lenteur.en travers. en traverse.à travers mon plexus.à travers ma moelle. ça sécoue l’intérieur. pendant ce temps ça s’arrete toujours pas. ça s’emballe sous la cymballe. moi. mon corps et ma. oh merci pour les navets.oui merci pour cette tempete de grimaces. ta mère oui elle te connait.une étoile sur la couette que je découvre au matin. je dècide alors de chier l’orage pour fertiliser la terre et bien pour arreter cette tempete interne. balancement contrebalancé de l’autre coté pour mieux se retrouver dans son verdoyant miracle, de son pieds reparti en sandalette. ça se secoue sous les guiboles, sous les jupes de ta mère, sous les parapluie d’pute. roulement de tambour sous tes talons. une trace est restée accrochée à ton tibia entre ta chaussette et ton noir volant au parquet. un excès de danse. pour enfin un repos du corps. une grimace du genou. une phrase sussurée par mon oreille. une pluie de regards sur mon fessier. une averse, oui une averse de bruits sur mon cul. sur ma main vers tes orgasmes refoulés. arrête.merci. agréable. douce. picotement sur ma joue. ça chauffe. non. arrete. rien. c’est ça oui, tombe. c’est bien. traverse plutôt les autres pour le changer. pour les animer. relation par les bouts des bras. force tendue vers le haut, oui de la lenteur pour perdre pour perdre pour perdre pour perdre ma perte. au sol ça vibre, ça vit, ça veut se lever, grimper par dessus. pour voir ce qu’il y a de l’autre coté du mur. un chant. un homme. oui un homme derrière ce mur m’appelle en chantant. des paires de corps s’assemblent en puissance. harmonie des formes, harmonie de la vie. sors. sors.non. arrête.rien. c’est bien rien. juste être là. pourquoi pas. arrête. t’entends. tu t’arrêtes. tu te puise. tu t’alimentes. tu deviens boulimique. obsédée. tu regardes plus. tu continues. l’équilibre n’est pas une constance. non l’équilibre. ça roule. ça s’entortille.
ça veut lui aussi grandir et voir par dessus ton épaule. et encore ce son revient. lenteur. lancinant ce son. soulève sa voix. sa soucoupe de bassin en sourdine. non pas envie. alors. oui. dire oui au rien.
Echange en forum :
- Est-ce qu’il faut être extérieur pour pouvoir recomposer (du texte qui recompose avec ce qui se passe, des bouts et des sensations de la personne)
Je me suis laissée perdre… Est-ce qu’il y a un contrôle dans la perte ? Dans la perdition ?
- Revenir au chaos en ayant le contrôle et pas le contrôle à la fois. Et là retrouver le chaos comme les courants de l’eau, suivre sans essayer [de guider], sans être volontaire, pas vraiment choisir.
- J’ai essayé de me défaire des boulets pour m’échapper symboliquement, donc j’étais d’une certaine manière, volontaire, mais ça n’a pas pris.
- Désintégrer et recomposer : s’il y a quelqu’un qui arrive… est-ce avec l’autre ?
- Impression d’avoir essayé de me servir de la vibration pour lâcher quelque chose à l’intérieur de moi, ça crée de la tension : est-ce que se mettre en tension comme ça, ça libère l’énergie ?
- Est-ce qu’on était ensemble ? 1+1 ou 1+1 plus un duo, deux personnes qui fonctionnent ensemble ? Tension individu-collectif, je ne sais pas d’où vient l’impulsion, ça dépend aussi de ce que tu donnes de toi dans le groupe. Etre avec les autres : à quoi on renonce, qu’est-ce qu’on utilise pour faire un groupe, pour créer quelque chose « d’autre », de nouveau ? Me recomposer avec d’autres, identités multiples, le texte sur la créolité a permis de créer des liens entre les personnes (ou les liens ont appelé le texte ?)
- La relation à l’autre pose toujours question, quand et comment rentrer dans la sphère de l’autre ? Quand es-tu légitime à le faire ? Comment après la rencontre ça se modifie en toi, et ce quelque chose de différent continue à faire partie de ce qui s’est passé…
- Ce n’est pas possible de s’échapper de son corps, on est tout le temps avec ce corps (Foucault le corps utopique).
- Idée d’extase, par le collectif sortir de soi, entrer en transe, sortir de son corps, tu ne deviens plus qu’un seul corps avec les autres. Il n’y a plus de séparation corps-esprit, quelque chose d’organique, être porté par le milieu, par l’autre…
- Dans les duos pas de groupe, sans le soutien du texte il est plus difficile de se trouver, tu croises quelqu’un, il se passe quelque chose et puis tu t’en vas, sans l’intention qu’il se passe quelque chose, comme un passant qui te bouscule.
Bilan
- Le problème des claps des danseurs et artistes pour suspendre le temps de danse : ils ne s’entendent pas toujours suivant le volume sonore de la musique ou des voix disant de textes.
- Proposition de tester plusieurs objets sonores, la cloche par exemple.
- Les claps posent la question d’obliger les autres à faire une parenthèse dans leur improvisation. Proposition que ce soit le tilteur qui fasse aussi les claps pour les danseurs et artistes.
- Je trouve que d’arrêter l’improvisation par les claps est un peu contradictoire avec le principe de l’improvisation, car elle est une dynamique, un processus. Je suis d’accord quand le tilteur stoppe l’improvisation, mais là on s’arrête pour repartir…
- Mais cela peut aussi apporter autre chose, une autre idée peut surgir pendant l’arrêt et relancer l’improvisation dans une nouvelle direction ou pas. On peut se demander qu’est-ce que ça questionne en nous d’être arrêtés en plein mouvement alors qu’on en a pas forcément envie ?
- Question de l’interaction entre danse et musique, les deux s’influencent-t-elles vraiment ?
- Question de la domination d’un texte sur la danse.
- La lecture d’un texte redistribue l’espace de la danse.
- Déroulement de la journée : les quatre temps de danse, c’est bien. Commencer le matin, c’est mieux.
- Question : l’improvisation après les éveils est-elle un temps d’ouverture aux autres et à l’espace ? Ou juste une improvisation ? Car c’est difficile d’aller chercher le contact avec les autres. Eléonora dit ne pas avoir envie d’aller vers les autres pendant cette improvisation car les éveils mènent à de l’intériorité et la danse improvisée qui s’en suit devient aussi intérieure. Est ‑ce que chacun est libre de faire ce qu’il veut pendant l’improvisation après les éveils ?
Photos :
Marie Buard, mise en abîme / Francis Bacon, Trois figures et portrait / Emil Nolde, Candle Dancers / Guy, Sans un souffle de vie.
Nicolas, et Hervé Marongiu, pour le CR.
Article créé le 16/02/2020