Danse forum
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!!Différents temps – 11 mars 2006
Un rythme et soudain
une brêche
pour un déploiement
hors de l’espace
en dedans
et tout devient dedans
je suis le monde
et le temps est vivant !
Nous avons donc cherché dans cet atelier à ouvrir le temps …
Est-il possible d’initier ces ouvertures ressenties spontanément dans la vie quotidienne, est-il possible d’y amener l’autre ?
Cette problématique est apparue après un travail sur les sauts, les types d’élans. Parfois dans un saut le temps s’arrête, le temps mondain disparaît et autre chose naît. Peut-on provoquer ça ?
Le temps mondain n’est pas forcément ennuyeux, il peut être très drôle même ! Les un-es dansent ainsi, un‑e autre essaye de les déstabiliser, de les faire sortir de leur rythme prévisible. Parfois un bel échange s’installe, deux danses se répondent, s’approfondissent.
On n’est plus dans le temps mondain ; où est-on ? Et la brêche dans le temps s’est-elle faite, ou alors s’agit-il encore de rythme ? Rythme et ouverture du temps s’opposent-ils finalement ?
Cette question du temps est une question profonde, qui n’est pas simplement d’origine intellectuelle ; je ne ressens pas les questions de danse comme abstraites, ou symboliques, mais présentes au plus profond des corps.
La danse-forum pourrait-elle être le lieu où la nécessité de ces questions se dévoile ?
Nadine
— — — –
Le mot exact employé par Eugenio Barba pour opposer au « temps mondain » est « extra-quotidien ». Nos messages jouent en miroir…
Nous avions besoin de mouvement dynamique. La question a été posée de la différence entre la notion de mouvement et celle de dynamique.
Le saut nous est aparu être le mouvement dynamique par excellence. Sur des percussions coréennes, nous avons donc cherché tous les sauts qui nous venaient spontanément.
Puis nous avons essayé de cerner tous les élans à l’origine des sauts : élan sans appel, qui démarre de là où on se trouve ; élan en supprimant soudainement le support (qui demande de développer l’art de tomber) ; l’élan en ouverture ; élan avec appel. Nous avons fini par une impro sur un poème de Rimbaud : « Le ciel est par dessus le toit… »
Ces sauts nous ont fait penser à la sensation fugitive d’être hors du temps, où le temps se supend ? Se retourne ? Et de là nous en sommes arrivés à ce qui fut notre thème de danse forum : les notions de « temps mondain et extra-quotidien ».
Nous avons d’abord essayé de représenter le temps mondain, c’est à dire le temps tel que nous le vivons au quotidien.
La tristesse du « rendu » a fini par nous faire éclater de rire ! C’était dodo-métro-boulot dans toute sa splendeur, et en plus au ralenti…
Nous avons donc approché un temps mondain plus conforme à notre expérience du quotidien : ce qui est ressorti, c’est que nous associons au quotidien un rythme établi, récurrent, la prévisibilité des mouvements, la recherche de facilité, la redondance entre le mouvement et l’environnement (ici musical).
Puis plusieurs d’entre nous, à tour de rôle, sommes entrés en essayant de déranger ce temps mondain, voir si cela avait une influence sur les danseurs et leur sensation du temps.
Nous avons découvert que les deux temps pouvaient très bien coexister, en s’entre-croisant souvent, et s’influençant de maintes façons : changement de rythme, d’attention au mouvement, d’attention à l’autre.
Nous avons eu des lectures à plusieurs niveaux. Le dynamisme propre à un temps extra-quotidien nous a paru plus lourd ? épais ? plus retenu, avec des cassures de rythme et de vitesse, une sensation de gravité imprévisible, ceci alors que nous avions (ou recherchions) la sensation « d’ouvrir le temps ».
Face à ce dynamisme, celui du temps mondain se laissait facilement influencer, l’inverse semblait plus difficile.
En même temps, nous avons observé que le temps extra-quotidien devenait vite routinier, le retournant en un temps mondain.
Nous avons parlé du butô, qui réussit à faire entrer le spectateur dans un autre temps et un autre espace, de la double flèche du temps.… Duke Ellington, Hendel et Bach nous ont accompagné sur ces chemins si délicats…
Andréine Bel
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J’ai l’impression que vous touchez au même sensations que je ressens quand je chante, quand je joue un instrument, quand j’improvise avec les musiciens qui sont à l’écoute avec tout le corps – (la musique est composée des sons égale une danse moléculaire des atomes qui nous composent (?)
Le temps, quand j’improvise, est élastique, expansif, pour devenir un moment après reflux et se replier. J’en ai justement parlé avec le violoniste avec qui je travaille samedi soir – peut-être bientôt un chant forum va naître ! … Est-ce que c’est peut-être le fait d’être à l’écoute de l’instant, l’ici et maintenant, qui nous donne cette impression de l’infini goûté ?
Amanda Loch
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Dans mon précédent message je précisais que les questions de danse sont pour moi des questions concrètes ancrées dans mon vécu quotidien, et non pas des questions symboliques ou abstraites.
Le théatre-forum reproduit des situations concrètes : on rejout le conflit qui oppose l’opprimé et l’oppresseur. Les mots qu’on y dit, les gestes qu’on y fait, sont les mêmes que ceux de la vie quotidienne.
En danse-forum lorsque nous dansons le temps mondain, nous ne reproduisons pas les mouvements du quotidien. On peut donc penser à une symbolisation de problèmes eux-mêmes pas forcément vus comme des problèmes concrets, mais déjà bien abstraits… (« Comment ouvrir le temps ? »)
Je n’arrive pas à bien penser tout ça ; je sais seulement que je n’étais pas dans le symbolique, mais au cœur de vraies questions concrètes, lors de cette danse-forum (et lors d’autres ateliers).
Pourriez-vous m’aider à penser ces questions ?
Nadine
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’« Symbolique, abstrait, concret. »
Pour moi, le symbolique et l’abstrait peuvent toujours être formulés à partir d’une situation concrète. Par exemple, manger ensemble peut être formulé comme : « rompre le pain », au niveau symbolique. Une mosquée peut être présentée comme une figure géométrique.
De la même façon, le concret peut toujours découler de l’abstrait ou du symbolique, il en est l’incarnation.
L’art joue de cette double ou triple lecture.
On pourrait croire que le quotidien a une lecture unique, immédiate : le paysan rompt son pain pour remplir son estomac. Mais même à ce niveau de lecture, tout en faisant cela, il peut avoir une conscience aigüe de puiser dans les bontés de la terre de quoi se nourrir, c’est à dire rendre hommage à son corps, pour lui véhicule de l’âme.
Aussi est-ce bien dans le quotidien que l’art puise son inspiration, et c’est bien dans l’art que le quotidien puise sa force. A la condition que l’art ne pète pas plus haut que son cul, et que le quotidien accepte de lier profondeur et sublimation. Ce qui somme toute les met au même niveau.
Andréine Bel
Article créé le 16/02/2020