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!!Écritures du corps et signature corporelle, 9 mai 2010, studio Forbin, en préparation du festival de Forcalquier
Nous étions neuf ce dimanche 9 mai 2010 au studio Forbin, autour des « Écritures du corps et signature corporelle ». Nos retours verbaux ont nourri mes notes…
Pour la première fois peut-être, l’éveil des sensations et des muscles nous a parlé distinctement d’écritures du corps.
Les vibrations traçaient des dessins, les tensions s’exerçaient sur des lignes de force, la tonicité des hanches décrivait un 8 en nœud de Mœbius, les points fixés dans l’espace devenaient des repères stables, les quatre points stratégiques (2 omoplates et 2 hanches) voyageaient comme l’on explore un paysage, l’axe du corps traçait des canaux le long de la résistance des os, puis soudain le « corps sans os » libérait les tensions en une douceur chaude qui rendait l’intérieur et l’extérieur interchangeables à souhait.
Ailleurs, les resserrements faisaient leurs lignes le long des émotions lunatiques, les pincements picotaient les omoplates en un jeu ludique, les tensions inscrivaient des courbes le long des pieds, le côté gauche berçait le droit et inversement.
Sensation, émotion, inscription… et « signature », le thème sensitif nous est tombé tout mûr dans le bec.
Le forum pouvait commencer.
La signature corporelle a fait alliance en un premier temps avec le tracé de « Dialogues en sept », une composition musicale contemporaine d’André Mouret. Mais assez vite le sensitif a opéré un décalage des gestes avec la musique, détachant la forme corporelle de la forme musicale. Il nous a fallu aller pêcher l’énergie du mouvement en nous-mêmes.
La signature corporelle nous a parlé de nos habitudes gestuelles non voulues, de nos raideurs enkystées qui, selon où elles se situent, caractérisent un mouvement. Elle nous a parlé aussi du volontaire qui cherche à former un style, puis de la transition du volontaire vers l’involontaire par le laisser-faire.
L’attention portée à la signature d’un geste amène souvent une amplification spontanée des caractéristiques. Balancements, déséquilibres et tournoiements puisaient leur énergie dans la musique corporelle, comme une ritournelle entre mouvements et puissance du corps.
Tracée à la pointe de la sensation, la signature offre une reconnaissance à l’auteur comme au lecteur.
Curieusement, une fois la signature assumée avec toutes ses variations et caractéristiques, une sorte de dépersonnalisation a pu s’accomplir, sortant le sujet danseur de ses peurs et traits de caractère coutumiers. Un peu comme pour aller à l’essentiel, vers un potentiel encore inexploré et des possibilités décuplées.
Les organes se sont mis à participer aux mouvements et à la signature, en tous cas à son esquisse, la rendant inimitable. Le tracé d’une signature n’est pas reproductible sans plagiat, ce fut une évidence.
Une signature-porte-ouverte s’est alors imposée, une évocation en mouvement. A partir de là, la signature est devenue friable, comme un tracé fait de sable.
De la parodie à l’évolution du style, la signature, contre toute attente, nous a permis de ne pas nous sentir emprisonnés : tu fais du untel, c’est bien, et cela veut dire qu’il y a plus à chercher.
Bref, l’écriture s’est mise, par l’entremise de la signature, à des endroits inhabituels.
L’espace scénique s’est fait page blanche, avec frontières, directions, entrée, sortie. Chaque trajectoire était une direction influencée par d’autres directions, chaque tracé influençait les autres tracés. La signature personnelle interagissait avec les influences qu’elle percevait. Lorsqu’un tracé rencontre un autre tracé, il n’est plus le même, son devenir est à découvrir.
Différentes signatures arrivent à former ensemble une métasignature, on croit que c’est fait exprès, mais cela reste de l’ordre de l’incertain.
La cloche se tait -
les fleurs en écho
parfument le soir !
Matsuo Bashô
Ma propre signature cherche ses mots.
Lorsque les émotions nous submergent, laisser passer ce qui vient est le moyen à la fois de signer et d’avoir une réponse : aller et retour instantané à l’envoyeur.
Je ne sais plus très bien comment le chaud est venu dans tout cela. Ah si ! Les émotions de la rencontre, la communication par le chaud… cela a suffi pour que naisse « l’esthétique du chaud », comme une métasignature à plusieurs.
La multiplicité des écritures et leur rencontre synchrone nous ont vite fait voir que les accords ne se font pas quand l’une ou l’autre des signatures est intrusive. C’est la débandade, le sauve qui peut. Tout cela demande de l’attention tranquille.
La signature latine d’un caractère est lourde, je suis têtu à fond ? Deux solutions : j’échappe, ou je reste. A se fuir, on échappe aux rencontres. A rester, les tensions musculaires prennent le risque d’être manipulées. La limite entre volontaire et involontaire est si poreuse !
L’approche d’autres sensibles a emprunté ce jour-là des routes ici et là, avec l’impression de se diriger vers « l’origine de la rencontre », toutes antennes dehors. Alors avons-nous eu la sensation que chaque signature s’apposait dans son intégrité, hors illustration.
Ce fut de courte durée.
Un désir peut en attirer un autre, et les deux ne vont pas forcément ensemble. L’un des désirs peut devenir prédateur et croire être en phase avec l’autre, si le challenge de la rencontre est au rendez-vous avec l’imagination et l’interprétation qui arrange.
Comment se retrouver soi dans la sensation ? Comment est-ce qu’on interprète la rencontre ? Quel est l’espace entre désir et volonté ?
Finalement, nous avons convenu que le contact, cela peut être un bout de phrase écrit à deux…
Le bilan réflexif a été riche aussi.
Nos rencontres nous ont fait penser à celle des mots amis et des mots ennemis. « Aguila o sol ». Sémantique et affectivité : la naissance d’une textuelle des corps tient à celui qui regarde. Il y a une plurivalence des écritures. La sémantique est créée par le spectateur, elle est proche ou éloignée de ce qui se vit sur scène, elle se fait l’écho de ses propres émotions.
Dans l’espace scénique, le danseur expérimente plus ou moins de pression, il est plus ou moins à l’aise. Cela a peut-être à voir avec le degré d’intimité dans la signature, et avec le désir de montrer. Tout cela influence la façon d’être léger ou lourd dans la structure scénique.
Si je me trouve boudeur, je peux chercher à passer outre, et je traîne une lourdeur qui refuse de se montrer. Ou bien je fais le choix d’être en adéquation avec ma bouderie, et curieusement, tout devient moins lourd.
Il y a des signatures personnelles, et impersonnelles. Le moi construit une différence qui surgit dans la gestuelle, traçant une signature. Ce qui nous a surpris, c’est que cette signature permette de glisser hors de la « représentation », par une sorte de découverte que l’on fait de soi-même en se « présentant ».
La main nous est apparue comme un moyen de perception qui prend avantageusement le relais des yeux. Elle perçoit en touchant ou à distance, volumes et textures, températures et consistances, sensations intégrées dans la danse elle-même.
Quand les signatures sont claires, on ne cherche pas à fusionner, le geste se fie à la sensation.
Le squelette de la signature nous est apparu si vaste !
Andréine Bel,
d’après les retours de : Andréine B, Bernard B, Emma G, Ken M, Leonardo C, Maïlys C, Maritza S, Minh N‑G,Véronique B.
Article créé le 16/02/2020