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!!Extérieur-intérieur, cycle sur le thème de l’errance – 1er mai 2011, Forcalquier
Cet atelier s’inscrivait toujours dans le cycle sur le thème de l’errance.
Nous étions six et voulions initialement monter sur les hauteurs de Forcalquier pour danser entre rochers, herbes folles et vent, mais justement ce dernier nous en a découragé, car trop fort, des nuages noirs-gris menaçants de se décharger sur nous et nous avons donc opté pour la salle de danse de Forcalquier. Mais oh surprise, devant la salle, dans la cours qui normalement est peuplée de pépères joueurs de boules, se trouvait un cirque équestre, Romano Graï, un petit cirque gitan de Volx. Notre ami Boï, ses chevaliers, acrobates et danseuses commençaient leur spectacle exactement en même temps que nous commencions notre échauffement « sensible », séparés par un seul mur de pierres et quelques fenêtres. Eux sur un manège de sable, entouré de bottes de paille autour desquelles des tables et chaises avec un public nombreux de grands et petits en effervescence et nous sur notre sol en bois, étendus, un peu dubitatifs sur ce que ça pouvait bien donner.
La musique flamenca et tzigane surpuissantes et les paroles bien amplifiées de l’animateur qui chauffe l’ambiance au micro, les encouragements et applaudissements du public et les tremblements du sol de par la musique et le trot des chevaux envahissent la place, la salle de danse, l’aire, la ville entière. Une kermesse gitane comme on en trouve rarement. Comment se concentrer sur ses sensations toutes fines et intimes de notre fort intérieur quand il y a un tourbillon extérieur qui nous aspire, nous happe avec cette puissance ? Bel exercice ! De taille !
Certains ont même réussi à s’endormir ! D’autres ont fait des voyages constants entre dehors-dedans, ont intégré certaines vibrations, des rythmes ou ont répondu avec des bâillements hauts-et-forts à la musique extérieure. D’autres avaient clairement du mal à ne pas juste céder au désir d’aller voir (ou ont d’ailleurs cédé par moments), ce qui était donné à voir et à entendre, ou même de partir dans la virevolte proposée par la musique. Retenue jusqu’à presqu’explosion, lutte, lacher-prise…
Le thème sensitif s’imposait de lui même : intérieur-extérieur, interface entre les deux, filtre – qu’est-ce que je laisse entrer, qu’est-ce qui reste dehors… c’est quoi le dehors, le dedans… comment ça se mélange, se départage. Comment l’extérieur me transforme, ou pas.
Pile au moment où nous terminions l’échauffement, le spectacle fou derrière le mur-bordure s’arrête, et nous on commence la danse. Paradoxe. Plein-dehors, vide-dedans, vide-dehors, plein-dedans, ou pas … en tous les cas, la danse est parti de suite, tellement nous avions emmagasiné de rythmes, de vibrations, de joie. Pour, à d’autre moments devenir toute intérieure, individuelle, tendue, puis se tramer vers des rencontres fortuites, sur des niveaux différents d’extériorité. Deux personnes ne se lâchent plus des yeux, jouent avec, rient, tout en ne pas perdant leur lien aux sensations, se trouvent presque dans un état « mondain » (de rencontre dans la rue) mais pas complètement, puis d’autres les tournent vers un autre état, les détournent de leur jeu. On découvre qu’il y a plusieurs extérieurs : celui juste de l’autre côté de ma peau, celui qu’on peut atteindre avec notre regard, celui qui rentre par mes oreilles dans mon intérieur, celui sur la scène, un peu plus loin, celui de l’autre côté de la scène, de la bordure, celui derrière le mur de la salle, dans la cour où les gitans plient des tables, rangent leur marmite gigantesque et ça sent le crottin de cheval. Un oignon avec des peaux multiples, du coup un extérieur peut en cacher un autre, plus extérieur… du coup où ça commence, où ça s’arrête ? La frontière bouge, se transforme, danse, les extérieurs plus proches se transforment en intérieurs et vice-versa. Et pourtant, je sens un noyau pulser, un mouvement naître qui vient de tout dedans, il s’échappe prend la route, est attrapé par mon voisin qui le transforme, le décore d’un mot, le lâche dans l’espace et hop, il se perd dans le sable du manège … Chemins, croisements, verrous, portes, fenêtres qui s’ouvrent, se ferment, s’ouvrent, se ferment… murs qui deviennent poreux, vitres qui laissent passer non seulement la lumière, corps qui n’ont plus leur limite de peaux, … touchés au fond…
Trois magnifiques improvisations, très différentes les unes des autres, avec beaucoup de poésie, lue et dansée, de la musique faites par nos bouches, nos souffles, nos pieds sur le sol, le grincement du dernier, nos cris, nos mains, un tambour, des chuchotements, Maria Callas, Ghost Dog, Corsica Sacra … une pure joie de se trouver à danser pour noyer cet océan de larmes qu’est le monde des sirènes et bombardements, au moment où les cerisiers sont en train de passer des fleurs aux fruits ici et au Japon aussi. Merci à la vie, à tous et toutes, à Boï, ses artistes et ses chevaux…
Johanna Bouchardeau
Article créé le 16/02/2020