Danse forum
→ Cheminement de la danse forum
Festival du PBTM à Arles, 26 et 27 novembre 2011, mois de l’économie sociale et solidaire
Deux ateliers de préparation et une danse forum
Pendant chacun des deux ateliers de préparation à la danse forum, nous étions une bonne quinzaine, d’Arles, Marseille, Aix, Forcalquier, Manosque, Nîmes, Montpellier, et des Cévennes, à nous intéresser au collectif, au tango, à l’improvisation, à la musique traditionnelle, aux cartes postales sonores, à la danse contemporaine, l’écriture, le théâtre, le sort des femmes, la poésie… et la danse forum. La représentation publique a réuni une cinquantaine de personnes.
Je mets entre […] mes annotations à la rédaction de ces lignes. Le reste est une « recréation » de ce qui s’est dit lors de ces trois rencontres, où les mots sont venus se lover comme papillons dans les mailles de mon stylo.
Samedi 26 novembre au matin
Poser des mots sur les sensations, pendant l’échauffement, cela se travaille : aller chercher la sensation à l’origine de ce besoin d’étirement, de ce blocage noué, de cette douceur dans le dos, de cette douleur dans l’épaule.
Le haut du corps peut être léger et le bas lourd, le cœur semble battre dans le ventre, l’électricité est partout, les chatouillis ne laissent pas de répit à la gorge, les extrémités peuvent être froides, les tensions extrêmes…
Ne pas sauter sur les conclusions : la sensation est perçue comme tendue, « donc » je dois me détendre. Avant la détente et le bien-être tant souhaités, le corps a ses stratégies : frottement, bercement, dissociation, mise en tension, secousses, balancement, torsion, affaissement, pression, relâchement… le parcours est singulier pour chacun, rien ne vient souffler de recette reproductible, nous sommes dans l’instant, sans projection mentale de ce qui serait bon pour nous.
Par contre, le corps sait très bien prendre ses sensations en compte :
- pivots sur points d’appui histoire de donner son poids de pression adéquate
- vive respiration, toux à gogo qui échauffent
- torsions adéquates, vrilles qui élongent
- ouverture du buste, bassin ancré
- mouvements contradictoires, dans le temps et dans l’espace, qui dynamisent…
Le corps, c’est à dire le cerveau profond en relation avec le néo-cortex, c’est à dire la tête, qui n’est pas coupée du reste…
Et le tout s’échauffe, de cette chaleur douce et vive que deux d’entre nous ont appelée harmonie, lorsque le sang circule bien et que les membres se délient : tranquillité, légèreté, petit roulis dans le corps, entre éveil et sommeil.
Avec la musique, ce sont l’espace et le temps qui se construisent, l’ouverture se fait sur l’espace des autres, les yeux s’entrouvrent, le corps et l’esprit se déploient alors que l’attachement au sol se fait plus net. Et ce besoin de « forcer à fond », en douceur, dans l’ivresse du corps qui se perçoit et bouge autrement qu’à l’habitude.
Ce fut notre premier thème sensitif : « à fond ».
La première improvisation sur ce thème a évité l’illustration, au point de nous demander si nous n’avions pas laissé tomber le thème, mais l’un d’entre nous a sauvé la situation : « à fond » avec nous-mêmes, pas de représentation, mais une présence intense.
A la deuxième improvisation les gestes ont pris leur amplitude maximale pour certains, d’autres s’essayaient au regard direct entre danseurs, d’autres au mimétisme des gestes entre partenaires : « à fond » nous a amenés au « lien » entre les êtres, donc au regard.
L’espace du regard « dans les yeux » est social, ciblé, contrairement au regard large, périphérique. Nous avons vu qu’il crée une bulle – de hors scène – sur scène, avec jugement, évaluation, peur ou désir d’apprivoisement ou de séduction… Et c’est ainsi que les sensations ont fait place aux émotions – à apaiser diront certains. Le côté pile laisse place à la face d’une même pièce, le temps d’un regard…
Dimanche 27 novembre au matin
Lors du deuxième atelier de préparation, nous avons commencé par choisir un thème réflexif, ce fut « les possibles, ensemble », dans l’optique du festival PBTM lui-même.
Les sensations furent encore plus difficiles à cueillir et accueillir que la veille :
pieds agressés, palpitations, besoin de respirer profondément, douleur, agitation rigide dans le ventre, travail du corps, compression abdominale, ligne de haute tension…
Mais les réponses du corps furent plus immédiates :
- pressions sur points d’appui, appuis de surface, gonfler le ventre pour l’appuyer sur les cuisses
- compressions
- étirement respiré (j’ai demandé, cela veut dire fusion de l’étirement avec des respirations profondes)
- mis en tension des lignes de force du corps
vrille
- essorage
… tout cela demandant des
- points d’appui.
C’est ainsi que nous sommes arrivés à notre deuxième thème sensitif : les « points d’appui », mis en regard avec « les possibles, ensemble ».
Les premières improvisations ont donné beaucoup de possibles, ensemble, en s’appuyant sur des lignes de force qui se tissent de l’un à l’autre des danseurs. Une rencontre même courte peut en amener d’autres.
Les appuis peuvent surprendre : un pied s’appuie sur le dos de la personne accroupie devant soi et c’est l’intensité de l’appui qui la fait se lever.
Une chose est claire, les appuis donnent des directions au corps, et nous avons regardé cela de façon plutôt positive : en rajoutant des points d’appui, on rajoute des possibles.
Certaines forces ainsi créées vont vers l’intérieur de soi [nous incitant à la réflexion ?], ou vers l’extérieur [nous incitant à l’action ?].
Bien sûr la diversité des supports s’est imposée à nous. Les points d’appuis humains nous ont semblé infiniment plus riches au départ, mais en y réfléchissant, le support matériel (un mur, le sol pour exemples) ne fait que révéler l’humain qui est en nous.
Avec la complexité de l’humain, les autres possibles ne sont pas loin.
Les appuis font naître équilibres ou déséquilibres, quitter un appui peut s’apparenter à un deuil. Circulation des flux et de la chaleur [ou du froid] entre les humains lorsqu’ils s’appuient les uns sur les autres.
Bien sûr nous ne pouvions en rester là question supports.
L’impression de pénétrer dans le sol ne nous a pourtant pas fait douter de sa solidité.
Lorsque le tapis sent des pieds, l’images des pas s’impose.
S’appuyer sur un son est possible, même lorsque le son est celui d’un anorak qui frôle le mur à la manière d’une respiration. S’appuyer sur la musique en fait un partenaire, avec en jeu toute la complexité de la relation : acceptation, fusion, rejet, indifférence…
L’appui du regard, l’appui sur l’air sont venus ensemble [dans notre palette des appuis].
Essayer d’être un poids mort n’est pas aussi facile qu’il y paraît, cela demande un sens de l’équilibre et de l’anticipation pour ne pas tomber et faire tomber. Nous avons expérimenté les déséquilibres, les ratés et les limites comme riches d’autant de possibles.
Proposer à l’autre un appui, aller le chercher, le tirer, tout cela se fait au mieux dans la décision immédiate, celle qui évalue la faisabilité, mais sans trop réfléchir [sinon le geste est empesé]. La spontanéité du geste se situerait entre volontaire et involontaire.
Il nous a semblé qu’il fallait accepter parfois le chaos, pour que ce qui vient soit nouveau.
Peut-on être ensemble sans lien ? Cela s’appelle la coexistence, la co-présence. C’est aussi la polychronicité des rythmes que l’on peut observer dans la rue par exemple, où chacun vaque à ses occupations. Personne ne s’occupe d’autrui spécialement, mais chacun fait attention à l’autre sans s’en rendre compte [ne serait-ce que pour se préserver soi].
Le manque de lien ? Lorsqu’il est ressenti comme tel, cela nous travaille, et ce n’est pas forcément pour cela qu’il faut travailler à le créer : laisser le temps et la liberté à autrui est encore le meilleur moyen pour le lien de se créer entre les personnes. Le forçage n’a jamais réussi en la matière.
Et de nouveau le regard nous a interpellés. Capter le regard de l’autre ou le croiser, laisser l’émotionnel agir, avec cette question : qu’est-ce qui est menacé avec le regard ?
Comme le geste ou la parole, le regard peut dire une chose et être ressenti autrement. Nous avons qualifié d’émanation cette chose qui passe à notre insu et qui rend agressive une gentillesse ou joyeuse une rudesse.
En finissant par cette citation dont j’ai oublié l’auteur (si quelqu’un veut bien souffler son nom, je l’inscrirai) :
« La poésie est tout ce qui est sensible dans tout. » Justement, voir l’écrit intempestif de Sébastien Klotz en fin de page.
Dimanche après-midi, danse forum publique
Cela a mal commencé.
Nous, les « vieux de la danse forum », nous n’avons pas l’habitude d’avoir un public qui reste assis lors de l’échauffement. Mais par je ne sais quelle malice j’ai refusé la proposition d’un des « danseurs impromptus » (ayant participé aux deux ateliers précédents) de solliciter le public à venir nous rejoindre sur scène. Car enfin, il nous faut nous coltiner avec cette réalité d’un public qui souhaite rester public.
La migraine atroce qui était la mienne à cette heure du jour et que les médicaments n’ont pas réussi à juguler a fait le reste : je me suis trouvée dans l’incapacité de penser, de m’adapter, de faire des propositions autre que celle que j’avais planifiée ou tout simplement de « savoir l’amener », et l’échauffement du public ne s’est tout bonnement pas fait. Un flop magistral.
C’est la voix assurée et posée de Johanna qui m’a permis de reprendre souffle. Nous nous étions entendues qu’elle me seconde dans mon rôle de meneur/tilteur ces deux jours, ce qu’elle a fait de façon remarquable.
« Ensemble » était notre thème réflexif choisi le matin-même, mais là encore nous aurions dû le proposer au public, pour qu’il en change si cela s’y prêtait. Un thème réflexif choisi par le public lui-même semble quand même plus facile à s’approprier.
La première improvisation a été longue à prendre corps, la deuxième aussi, mais quelque chose était en latence, sensible, les retours verbaux en attestaient : entraide, l’union fait la force, harmonie, tenir le coup, ne pas savoir quoi faire mais être, solidarité…
Les enfants couraient sur scène depuis le début, nous en étions tous d’accord, et lorsque les improvisations ont commencé, ils se sont mis autour des pinceaux, couleurs et feuilles à peindre.
Et chacun sur scène et sur la bordure scénique a pris sa place.
Chaque danseur peut changer la musique à tout moment, et c’est ce qui s’est passé : Bach to Africa, de Lambarena, a été proposé fort à propos par la plus jeune d’entre nous (qui étions sur scène), nous redonnant punch et cœur au ventre m’a‑t-il semblé. De même les poèmes lus sur la bordure scénique.
Le forum a touché aux questions du besoin de solitude, d’ être « ensemble », de la rencontre, du flux qu’elle place entre les êtres. Comment expérimenter la distance, garder la possibilité de revenir ?
Les corps se sont entassés, affrontés, déliés, sculptés, testés… entre force et laisser-faire, équilibres instables et positions assurées.
C’est alors qu’un bout de choux de deux ans et demi a pris les choses en mains. Elle s’est mise à danser, captant les regards, ce qui aurait pu la faire renoncer très vite. Mais les danseurs se sont mis à l’unisson. L’un prêtait son corps et donnait appui aux mouvements de l’enfant, l’autre répondait à ses propositions, le temps s’est suspendu entre douceur et légèreté, le long de quelques minutes de grâce, dira l’une d’entre nous le lendemain.
Le bilan a été dur à démarrer, tant les mots nous semblaient dérisoires dans le silence de traîne de cette comète faite grâce.
Ils sont venus à boulets rouges, les mots, attestant des différences de regard d’un même geste. La force visible (dans les avant-dernières improvisations) a été lue par certains spectateurs comme violente et agressive, alors qu’elle était vécue par les danseurs comme une joyeuse puissance. Il a fallu un « pas de côté » pour expliquer que dans un bilan ne sont pas sollicitées les opinions, mais plus ce qu’elles nous inspirent et dont chacun peut faire quelque chose.
La question de la violence a été forumisée, demandant de préciser de quoi on parle à travers ce mot : lorsque les éléments se déchaînent ils peuvent être violents pour ceux qui sont pris sous ses effets néfastes, ou bénéfiques à ceux qui savent/peuvent les utiliser, ils n’ont pas d’intention en eux-mêmes. Peut-être une des violences les plus communes est celle de prêter des intentions à autrui, c’est un regard violent, jugeant. « L’archétype de la félicité » est aussi une violence ordinaire subie par celui qui ne fait pas consensus. Certaines violences latentes sont plus dévastatrices que la violence physique, qui paraît plus impressionnante.
Les catégories hommes-femmes ont resurgi dans la discussion, comme le lapin du chapeau du magicien, avec cette question : comment se fait-il que les hommes arrivent à la douceur et que les femmes n’arrivent pas à la force ?
Le « poids-mère » fut un lapsus qui remplaça avantageusement le « poids mort ».
Nous avons bien vu que la musique des corps a révélé des tonus différents, des contrastes dynamiques. Les contrepoints féminins ont donné de la force à l’ensemble.
Finalement, nous en sommes venus à un travail de connexion pour illustrer notre thème « ensemble », connexion plus ou moins consciente ou inconscient/involontaire. Et au fait que pour chacun la perception du monde est différente selon son histoire.
Il paraît que la devise Sarah Bernhart était : « quand même ». Tout à fait à propos dans cette danse forum ! … près d’un siècle plus tard.
Andréine Bel
assistée pendant les ateliers par Johanna Bouchardeau et Nadine Gardères.
D’après les retours de : Anaïs, Andréine, Caroline, Christine, Clément, Danièle, Hugues, Ingrid, Jiordi, Johanna, Maïa, Mana, Marion, Nadine, Nicolas, Sébastien, Sébastienne, Thérèse, Violette, Virginie (à compléter…).
Ensemble comme le sable
Cohésion humide
Déliquescence sèche
« Tout est relatif ! » dit Enstein
« Tout est un ! » répond l’autre
Sur les marges de l’ensemble clapote le possible, la peur, la crainte, la haine, la douleur, la souffrance, toutes ces choses si vagues.
« Ensemble dans la résonnance du Christ » dit la sœur
« Ta gueule ! Répond l’évèque, il est seul, seul et cloué sur sa solitude ! »
Ensemble… la solitude est son bourreau et la croyance sa guillotine.
« Mais tout est croyance ! » crie le mendiant
« Tout est éphémère » répond la mémoire
L’ensemble est-il improbable ?
Mourir seul sans la main de son amant mort
Mourir seul dans la main de son mauvais choix
Y‑a-t-il une distance à la solitude ?
Je suis avec vous et je me sens seul, pourquoi ?
L’ensemble est un point d’appui mouvant. On ne tient pas sur du sable mouvant.
Il est seul au milieu de l’océan et pourtant si proche de sa mère
L’ensemble a‑t-il une distance ? Le regard ? La main ?
« Et le sexe ? » demande l’innocent
« C’est le sable humide » répond la mer
Ensemble. Ensable. Assemble. Encense.
En dance
Etre un et plusieurs
Etre absent et présent
Etre ici où ailleurs
Etre mort à vie
« Etre ou ne pas être » dit l’ancêtre
« Etre ET ne pas être » répond le point d’interrogation.
Sébastien Klotz
Article créé le 16/02/2020 – modifié le 19/10/2020