Danse forum
→ Cheminement de la danse forum
!!Danse forum et Rentrée Nouvelles, 20 – 23 août 2010, Forcalquier
Présentation (reformulée), rapports d’atelier et réflexions sur la danse forum, à l’occasion de l’atelier du 20 au 23 août 2010 à Forcalquier, lors de la 3e édition du Festival de Rentrée Nouvelles.
La danse forum est un outil qui sert à réfléchir ensemble, coopérativement, aux problèmes que nous nous posons à travers le médium de la danse, sous-tendu par d’autres formes artistiques : poésie, peinture, calligraphie etc.
Cet outil nous sert à penser la danse en tout premier lieu. Où se situe la danse, comment créer un espace où elle puisse éclore en toute liberté, inventer et créer, avec la rigueur propre à chacun ?
Comme les autres arts, la danse oscille entre figuratif et abstraction. Mais une troisième voie, celle de la sensation, a été ouverte par Paul Cézanne puis Francis Bacon en peinture, Robert Bresson pour l’œuvre cinématographique, Henri Cartier-Bresson pour la photographie (« l’instant décisif »), Antonin Artaud pour l’œuvre littéraire et la danse Butô (« le Corps sans organes »)…
La danse contemporaine a été la première danse à s’intéresser à la sensation, mais le chemin est encore long pour dénommer, conceptualiser et surtout danser selon les sensations. Il nous faut apprendre comment danser à l’interface de soi et du monde, entre passé et futur, conscient et inconscient, volontaire et involontaire. L’avantage, c’est que les sensations peuvent être partagées, ou résonner d’une personne à l’autre, le regard s’éduque par le truchement du langage.
Avec les sens vient le langage, qui nourrit les sens. Et la sensation va devenir une prénotion multiforme, appelant émotion, image, archétype, symbole… La danse devient poésie visuelle.
Les écrivains le savent bien, qui ont ensemencé la danse forum du jour nouveau des « Nouvelles de la nouvelle » (François Bouchardeau, HB Editions, 2000) :
— « un seul effet, forme courte, action simple », cela ne nous était jamais arrivé, ou si peu.
— « pas d’effets spéciaux », nous étions d’accord d’emblée ; « rien de superflu, économie narrative » aussi.
— « collisions, rencontres impromptues, non-sens, ruptures », ils se sont produits à la représentation publique du 23 août 2010.
— « travail avec le temps du monde réel », c’est bien de cela qu’il s’agit avec les sensations, et même « fiction bricolée avec du réel », si l’on est d’accord avec le fait que c’est le spectateur qui élabore la fiction in fine.
Le regard de l’écrivain‑e comme lutin malicieux qui souffle aux choses leur débordement, hors du cadre, à leur insu, ce regard-là n’est jamais juge sévère, il sait cueillir dans le moindre frôlement les tentatives, les balbutiements.
Faire forum, avoir une opinion et la problématiser, croiser les angles de vue et rendre à ce qui est ainsi « réfléchi » sa complexité, sa richesse, son « aesthétique », nous nous y sommes exercés.
Les thèmes choisis étaient riches et nombreux :
— La nouvelle, mise à l’honneur, était le thème rassembleur.
— Le thème réflexif a tout fomenté depuis plusieurs mois : « Écritures du corps, corps de l’écriture ». Nous le gardions en filigrane, toujours présent mais en toute inconscience, il nous a guidé comme le filet d’eau souterrain guide le sourcier.
— Le thème immédiat, sensitif, issu du barattage des sensations et de leurs muscles. Nous en tirions une mise en situation, pour rejoindre la nouvelle et faire la boucle.
C’est du frottement de ces trois thèmes que sont nées les trois danses forums, une chaque jour.
Le premier jour, le thème sensitif fut « le corps et le point d’appui ».
Après avoir été onze puis des milliers, le point d’appui est devenu étai qu’on lâche avec bouleversement, comme une chute à l’intérieur de soi, un point de balance, une caryatide, ou alors un contrepoids ; le corps s’est écrit en translation, vibration, rotation hélicoïdale, puis ondulations et arabesques.
L’appui fut une feuille blanche et le mouvement vint en écho.
L’appui fut religieux, inscrit à deux genoux contrits au sol et néanmoins avançant vers leur but, les deux mains en vis-à-vis, ou alors mains jointes et pieds joints : « Épargnez la mouche qui prie », disait le grand Issa.
L’appui solide vint les deux mains sur les hanches pour danser les danses d’antan.
Appui comme répétition.
La fenêtre comme appui donnant sur le dehors ou sur le dedans.
Appuis invisibles et pourtant sûrs, points d’attache acceptés ou subis, supports à tester, en autant de saynètes dansées puis commentées, à leur tour problématisées.
Et cette phrase, comme un clin d’œil à Antonin Artaud (voir plus bas) :
« C’est de la danse à l’envers… comme si ce n’était pas de la danse. »
Le deuxième jour, ce fut « le corps et le contenant ».
Tout avait commencé avec cette histoire d’épaisseur de membrane dure, pas sûr qu’il s’agisse de la peau, qui s’assouplissait en soulevant les épaules et rapprochant les omoplates. Puis une effervescence a pris quelques-uns d’entre nous, remède ou cause d’enfermement, jeu à tensions de toutes les façons, ligne à haute tension, soubresauts, tremblements.
J’y vais, j’y vais pas : le contenant scénique fut fragilisant pour certains, incitant pour d’autres.
Avec la problématisation, le contenant est devenu enfermement répétitif pour le corps, mouvement stérile, lieu de toutes les guerres, ou cocon moelleux et tiède, surtout moelleux, chrysalide à émotions, structure bienfaisante, ou encore membrane cellulaire permettant les échanges entre intérieur et extérieur, objet d’exploration des limites.
Le troisième jour, celui où le public était invité, nous avons forumisé « l’ajustement ».
Cela était parti de mouvements furtifs dans les mâchoires, une lourdeur de la nuque qui entraînait des mouvements latéraux de la tête, la dislocation entre physique et mental, puis une sensation de repos et de réunification en position fœtale, de battements de main gauche qui peu à peu réajustent le corps en entier et le soulagement que cela procure, des battements du cœur et de la tête, bref il a été question de l’ajustement de l’ensemble à une partie, de la partie à l’ensemble nous a‑t-il semblé. Puis la rupture, un nouvel ajustement, l’imprévisibilité de l’ajustement. Et le contexte dans tout ça ? Je m’ajuste à quoi ?
La danse fut juste au bon endroit, car l’espace sur scène fut créé dès les premiers instants, pour ne plus être lâché, même s’il se modifiait allègrement. Ajustement à la musique, à la distance, à la durée.
Ajustement pour adapter, réparer l’hémorragie que peut provoquer le départ d’un être de l’espace commun.
Ajustement à la lenteur pertinente, mais la lenteur insupportable, qu’en faire ?
Les pinceaux dansèrent sur la « feuille blanche, feuille appui ». Ils formèrent des cercles de fulgurance, tant les couleurs étaient vives dans leur mouvement.
« Un ajustement interne au travail pictural calligraphique (au sens où Alechinsky est un calligraphe autant qu’un peintre) eut lieu à travers une multitude de signes épars venus de plusieurs mains, multitude structurée magiquement à la fin par les trois cercles. » Christiane Milekitch, calligraphe.
Les extraits (de textes) d’Eva Almassy, Sébastien Klotz, Marc Le Piouff, la page blanche d’Alain Robbe-Grillet, les lignes de Geneviève Vincent, Stephen Zweig, choisis au hasard puis lus (ou composés puis lus, voir plus bas) sur le fil de la danse, avaient tout calculé : le rythme, le poids et l’espace, pour s’ajuster à la danse qui se passait.
En fin de compte le bilan a gardé ouverte la question de l’ajustement.
Car l’ajustement ne peut être définitif, ce n’est pas un état, mais un cheminement. Est-ce un leurre ? La musique frappe le tympan de l’oreille, et le corps se réajuste grâce à son centre de l’équilibre, situé également dans l’oreille. Ainsi on s’ajuste par l’oreille et à l’oreille, modifiée du fait de ce qu’elle perçoit. Il en va de même de tous les sens, nous a‑t-il semblé.
Inclure le souvenir, qui change la donne d’ajustement, l’influence. Les émotions, en s’exprimant, s’ajustent vers une sorte de neutralité.
Et surtout, l’ajustement intime et inconscient, sublime car inaperçu ou presque, de la bretelle du soutien-gorge.
Nous avons appelé cela la démultiplication kaléidoscopique d’un même angle de vue.
Cela bouleverse les cloisonnements, les enfermements, c’est la démocratisation de la danse, de l’espace et du temps, par le travail des questionnements, des allers-retours entre scène et hors scène, danse et verbe, interne et externe.
Tout cela n’est pas allé sans mal. Des retenues de danse ont pris le dessus, de celles qui rendent triste : autocensure, jugement de valeur de soi, de sa danse, ou sentiment d’exhibition. De quelle façon se regarder, intervenir par rapport à ce regard ? Renoncer à s’exposer et plutôt s’imprégner, se nourrir, laisser de côté ce qui fatigue ? Regarder cette fatigue quand elle est là ? Se laisser toucher par son regard ? Par quel regard ?
S’ajuster à soi, à l’autre, à nos opinions et les problématiser, c’est très différent que d’essayer de tirer des solutions immédiates. Une démocratisation est à l’œuvre, l’opinion est assumée et dépassée. Le frottement d’opinions, cela fait processus…
Ce sont les mots qui ont été prononcés, je les ai retranscrits ici d’après mes notes prises sur le vif, non exhaustives, à ma façon mais pas trop.
Andréine Bel
Écrit et lu par Sébastien Klotz, sur la bordure scénique de la danse forum
Les cris du corps
Extrait 1
Un bras ondule
Secouant des effluves de sexe et de honte
Au dessus nage le plaisir
Le corps meurt d’un claquement de cil
Et renaît d’une sueur
Extrait 2
Où sont les limites de ton corps ?
Touche-les avant de te pendre au bras d’un regard
Plonge ta main dans ta bouche
Passe l’envie de vomir
Etreins tes viscères
Serre les vies noyées dans tes entrailles.
Le mouvement est un enchevêtrement d’incertains oublié sur le fondement de ton corps.
« Pour en finir avec le jugement de Dieu » Antonin Artaud
L’homme est malade parce qu’il est mal construit.
Il faut se décider à le mettre à nu pour lui gratter cet animalcule
qui le démange mortellement, dieu, et avec dieu ses organes.
Car liez-moi si vous voulez, mais il n’y a rien de plus inutile qu’un organe.
Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organes,
alors vous l’aurez délivré de tous ses automatismes et rendu à sa véritable liberté.
Alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers
comme dans le délire des bals musette
et cet envers sera son véritable endroit.
Article créé le 16/02/2020 – modifié le 10/06/2020