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!! Jusqu’au bout – 29 juin 2014
Nous étions cinq, dont une nouvelle et deux qui étaient venus aux derniers ateliers d’Andréine à Aix-en-Provence. Les sensations du début étaient légereté, mal au pied, sensation de corps en caoutchouc, pression dans la poitrine, densité étirable, sensation d’être englué comme une mouche dans du miel. Lézard au soleil. L’imagination était au rendez-vous. Que faire avec tout ça, ou plutôt que ne pas faire ?
Deux explorations, l’une sans musique, l’autre avec. Mais ça a suffit pour faire émerger le thème très vite, car plusieurs d’entre nous sentaient quelque chose comme des fils, ou de la colle qui tire des fils (faut dire qu’à Forcalquier il y avait ce week-end là un « festival du fil » et plusieurs fois des personnes entraient dans notre espace en demandant où se trouvait le festival du fil. Nous avons fini par leur dire qu’ici on tirait des fils aussi, mais invisibles. Ils ont préféré aller voir les fils visibles.)
On avait envie d’explorer ce que ça pouvait vouloir dire tirer un fil jusqu’au bout : où était ce bout, quel bout et qu’est-ce qui viendrait après ce bout. Quand est-ce que ça casse et comment ? Nous voilà lancé.e.s pour trouver « le bout ». Un thème très intéressant, y compris pour la vie de tous les jours. Sans l’illustrer on a chacun.e observé différentes choses : le côté jouissif d’arriver à pousser un mouvement aussi loin que possible, ne pas s’arrêter au milieu, trouver la limite, sa fin, puis, une fois au bout, il pouvait encore être poursuivi ou accompli par le regard par exemple. Le suspendre là où on l’a porté, le déposer, ou juste lâcher le fil, tout lâcher, s’écrouler, s’enrouler. Ou alors, se rendre compte qu’après chaque « bout » il y a quelque chose de nouveau qui émerge, jeu avec les sens, quand l’oeil n’en peut plus de voir, l’ouïe prend le relai, et quand elle en assez d’entendre, le toucher, l’odorat sont là. Voyage jusqu’au bout des sens.
Des images de mort aussi. Est-ce le bout ? Sans devenir mystique ni religieux, n’est-ce pas le dernier instant de vie qui pourrait être le bout, plutôt que la mort ? Le fil tendu, de la vie toujours. Après, tout lâche, mais c’est le stade d’après, ou pas … ???
En tout cas, ne rien laisser non-tenté, poursuivre ce qui pointe, ne pas abandonner tout de suite une idée, un mouvement, un silence, un cri… sans se laisser déborder pour autant. Se rendre compte qu’une situation, un mouvement, une rencontre peuvent être merveilleux, mais quand ça devient routine, pesanteur, répétition, redondance, trop plein, – bout -, faut lâcher, partir, vadrouiller. Ca a à voir avec la justesse : qu’est-ce qui est juste pour moi ? Où est-ce que je veux être ? Avec qui ? Qu’est-ce que je ne supporte plus ?
D’impros à l’accordéon au chant des canuts, en passant par des poésies à deux voies simultanées ou en alternance de deux textes différents, et aussi des langages inconnus et incongrus, tout était bon à prendre. Le plancher grinçant et tambouriné devint instrument et support de nos ombres dans les carrés ensoleillés que les fenêtres dessinaient au sol. Ombres qui se faisaient happer par de vraies mains, ombres qui caressaient de vraies ombres. Infiniment tendres. Puis se mettre dans cette disposition d’aller au bout des « choses », ça donnait une densité autre, une puissance étonnante. Bel après-midi, plein d’intensités, fragilités et moments forts. Belle fin, « bout » de cycle de l’année dansée !
Johanna Bouchardeau
Article créé le 16/02/2020