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!!La fatigue – 13 octobre 2007
Nous étions cinq, comme les doigts de la main, avec un petit doigt resté à l’écart, vigilant et observateur…
Ce qui a dominé de suite, c’est la fatigue, et, pour la première fois, nous l’avons prise à bras le corps.
Avec cette première question : si la sensation indique le besoin au point de se confondre avec lui, comme nous en avons fait souvent l’expérience, la fatigue serait-elle un besoin ?
Sans la fatigue, comment percevoir nos limites, et surtout les besoins qu’elle signale ? Sans perception ou écoute des sensations qu’elle procure, la fatigue s’installe et se cache, nous le constatons dans nos vies.
Quelle soit physique, mentale ou émotionnelle, nous avons expérimenté ce soir-là combien la fatigue qui s’exprime nous ralentit, nous tend, nous refroidit, nous met à vif.
« Aller dans » les sensations qu’elle procure, curieusement, a défatigué certains. L’un d’entre nous s’en est étonné : cela ne me fatigue pas d’aller dans ma fatigue, au contraire !
Mais cela peut aussi réveiller une vieille fatigue, comme une participante l’a perçu. Une fatigue enfouie, localisée, qui va et vient au fil des années, et qui à ce moment-là se révèle dans toute sa dimension douloureuse, puis passe de nouveau.
Danser la fatigue telle qu’elle nous habite n’est pas banal : de l’extérieur, on ne voit rien ou presque. Mais de l’intérieur, se mettent en route des frémissements, étirements et contractions involontaires, des prises d’appui, l’apport de chaleur par le contact du corps avec le corps, le recroquevillement, le recentrage et la sensation de se poser. Tout travaille en sourdine, il n’y a qu’à se laisser guider.
Cette découverte des mouvements intérieurs presque invisibles à l’œil extérieur participe de l’infra-technique, qui s’élabore en auto-apprentissage, facilitant l’apprentissage. Il faut d’abord fabriquer la peau pour pouvoir endosser l’habit et qu’il s’ajuste comme si l’on était né dedans.
L’habit, c’est Leonardo qui nous l’a fait découvrir, par un exercice technique de pratique volontaire des appuis. Son choix allait dans le sens de ce que nous avions exploré intuitivement.
Il nous a fait sentir, allongés, les appuis passifs du corps posé sur le sol, puis les appuis légèrement pressés des talons, hanches et épaules, observant ce que cela fait bouger en nous à chaque étape. Puis, une jambe pliée, l’appui de la plante du pied sur le sol et ses répercussions sur la hanche qui se soulève, la colonne, le cou et la tête. Enfin, les deux jambes repliées, l’appui des pieds alterne doucement avec le soulevé minimal des pieds, opérant une bascule bassin-tête.
A la pause, nous avons redéfini la pertinence de cette approche technique dans le contexte de la danse forum. Il s’agit d’une technique non normative, qui propose au corps des mouvements ou postures qu’il s’approprie et qui nourrissent la sensation. Jusqu’à présent, nous allions plus de la sensation vers le mouvement, ici nous allons plus du mouvement vers la sensation. Les deux approches se nourrissent multuellement et affinent conscience et perception, à la fois des mouvements et des sensations.
Que l’on parte du mouvement ou de la sensation, la neutralité est visée, pour justement que puisse spontanément jaillir l’émotion. [C’est ce qu’Eugenio Barba nomme la « pré-expressivité », cette technique gestuelle « d’avant l’expression » que lui ont inspiré certains arts scéniques orientaux, du Japon et de l’Inde surtout.]
Nous nous sommes aussi posés la question du meilleur moment pour cet exercice technique qui nous mène à la pré-expressivité : serait-ce au tout début de l’échauffement, pour faciliter l’accès de la danse forum aux nouveaux ? Un exercice dirigé est toujours plus rassurant qu’une improvisation sans consigne autre que de se relier aux sensations. Nous gardons les deux possibilités, en début ou en fin de première partie, selon qui est présent et ce qui se passe entre nous.
Le forum s’est peu à peu dirigé vers l’interaction de différentes fatigues, la contamination (se sentir fatigué rien que de voir les autres fatigués), ou au contraire l’éveil accéléré des forces de restauration.
Le côté émotionnel de la fatigue a été perceptible. La souffrance de cette fatigue ancienne est venue à la surface, pour refaire place à la « simple » douleur, fusse-t-elle extrême : toucher du dos sa fatigue a fini par la délier, en lui rendant sa neutralité.
C’est sur un chant slave que le forum s’est achevé, entamant la marche de l’humanité, une femme entre deux hommes progressant contre vents et marées, là où seule la voix peut encore s’envoler en liberté.
Andréine Bel
D’après les retours de : Amanda L, Andréine B, Laurent B, Leonardo C, Sabine D.
Article créé le 16/02/2020