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!!La sépa­ra­tion et le poids – 22 avril 2006

Les besoins de cha­cun étaient dif­fé­rents : dou­leurs, ten­sions, sor­tir de l’émotionnel, pres­sions. Ils se situaient à tous les niveaux : phy­sique, men­tal, émo­tion­nel. Nous avons loca­li­sé nos besoins cor­po­rel­le­ment : le bas du dos, la nuque et les épaules, le ventre, la tête. Puis nous avons mis en contact ces par­ties cor­po­relles avec au choix : le sol, les murs, ou l’air. La consigne était de juste voir ce qui se passe au niveau du mou­ve­ment.

Sur la musique Sibe­lius : Pel­léas et Méli­sande, cela a don­né de petits miracles : s’autoriser des mou­ve­ments incon­nus et sur­pre­nants, explo­rer cette liber­té, lais­ser faire les choses qui ne demandent qu’à se mettre en place toutes seules, obser­ver la pré­ci­sion et l’intelligence des mou­ve­ments qui viennent spon­ta­né­ment, sen­tir leur bien­fait pro­fond.

Je pour­rais dire que c’était comme si de répondre aux besoins immé­diats et locaux, don­nait des réponses pour le long terme et la glo­ba­li­té.

Les murs (capi­ton­nés de tata­mis), une fois de plus, nous ont sur­pris. Comme le sol, ils donnent un appui stable et sécu­ri­sant, mais de plus ils sont ver­ti­caux. La ver­ti­ca­li­té est liée à ce qui est construit, se qui pousse, gran­dit et meurt, ce qui ins­pire et aspire. Trou­ver un appui stable sur cette ver­ti­ca­li­té était une émo­tion au sens pre­mier du terme, quelque chose qui « met en mou­ve­ment vers… ».

Quand à trou­ver un appui stable sur deux murs qui se ren­contrent en for­mant un coin, c’est une émo­tion qui sub­merge.

Du sol à un mur, puis à deux murs en angle droit, il y a une liber­té d’amplitude qui se res­treint sur trois dimen­sions. Mais la diver­si­té des mou­ve­ments s’en trouve accrue, nous per­met­tant d’explorer des com­bi­nai­sons ges­tuelles impos­sibles sans ces appuis et cette sécu­ri­té.

Nous étions ici bien loin des murs qui enferment. Cela nous a plu­tôt ren­voyés aux bancs de l’école, où l’on est « puni au coin » : l’humiliation envers les autres enfants, et en même temps le bon­heur de « se retrou­ver avec soi ».

Les limites à l’enfant, ne seraient-elles pas néces­saires parce qu’en fait elles lui donnent des appuis ?

Le thème choi­si pour le forum a été la sépa­ra­tion en liai­son avec le poids. Com­ment deux êtres, qui comptent l’un sur l’autre comme d’un appui stable, se séparent, et qu’est-ce qu’il advient alors ?

Un pre­mier couple s’y est essayé. La sépa­ra­tion a été facile, mais avec son lot de désta­bi­li­sa­tion, qui a repous­sé sou­vent les pro­ta­go­nistes l’un vers l’autre, mais par­fois aus­si leur per­met­tant de s’envoler.

Le deuxième couple s’est mis men­ta­le­ment dans le rôle de la sépa­ra­tion, avec cette part d’enveloppement ou de séduc­tion de l’autre qui per­dure par­fois. Les gestes et atti­tudes illus­traient le pro­pos, comme ceux d’un théâtre nar­ra­tif sans voix. Nous avons tou­ché du doigt cette grande dif­fi­cul­té de ne pas faire de la danse un théâtre muet, quand on « veut » dire quelque chose à tra­vers la danse.

Nous sommes retour­nés à la sen­sa­tion immé­diate, comme guide ges­tuel. [Une sen­sa­tion immé­diate n’est pas une sen­sa­tion venue du ciel, par hasard. C’est qu’elle chose qui s’est construit au fil de notre vie, mais qui s’actualise à un ins­tant T, en fonc­tion de tous les élé­ments en pré­sence.]

Et « cela » a eu lieu. L’un pesait sur l’autre, trop. La sépa­ra­tion a été rapide, l’effondrement de celui qui pesait aus­si. A par­tir de là, les spec­ta­teurs ont vu deux his­toires dif­fé­rentes. Pour les uns, l’homme à terre fai­sait son pos­sible pour retrou­ver le contact, pré­sen­ter des solu­tions, mais était sans cesse re-lâché. Pour les autres, la femme jouis­sait de sa liber­té retrou­vée, mais ne vou­lait pas lui nuire ni se détour­ner de lui. Aus­si, elle pré­sen­tait des appuis l’invitant à se redres­ser seul. Elle se refu­sait à lui « prendre la main ».

Quelque soit l’angle de lec­ture, l’homme a fini par retrou­ver sa ver­ti­ca­li­té seul, en tour­nant le dos à la femme.

Cer­tains spec­ta­dan­seurs étaient prêts à inter­ve­nir, juste avant le dénoue­ment.

Nous avons fait un der­nier essai. Le qua­trième couple était à poids égal, mais s’est sépa­ré. La danse (Fado de Mari­za) était plus forte, le couple se retrou­vait sou­vent. Un pre­mier spec­ta­dan­seur est entré en scène, offrant un appui à celle qui s’était sépa­rée de sa propre volon­té. Un deuxième spec­ta­dan­seur est entré pré­sen­tant son corps comme un appui stable et soli­taire, vienne qui veut. Celle qui était par­tie est venue à lui et a explo­ré dif­fé­rentes formes d’appuis : s’appuyer sur un mou­ve­ment, sur une idée que signi­fie le mou­ve­ment, adhé­rer à cette idée. Modu­ler les appuis, qu’ils cir­culent de l’un à l’autre au fil des besoins. Se mettre au niveau de l’autre mais sans le tou­cher et remon­ter avec lui, sans prendre appui, cha­cun par ses propres forces.

Une chose éton­nante, que nous avons réa­li­sée : même sans vou­loir dire quelque chose, la danse raconte aus­si bien que le théâtre.

Andréine Bel

Article créé le 16/02/2020

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