Danse forum
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!!Le contact – 18 mars 2006
Après les superbes témoignages sur les derniers ateliers, je me lance pour celui du 18 mars. Nous étions 12…
C’est parti de ce scoop : « La danse ne s’apprend pas ». Ce qui s’apprend, c’est la technique, un style. La danse, elle, se découvre et se développe à partir de cette découverte. Nous avons donc voulu expérimenter ce qu’il se passe lorsqu’il n’y a aucun support prévu : consigne, thème, musique ou autre. Cela a duré quelques minutes, trop courtes pour certains, infiniment trop longues pour d’autres.
Le même exercice sur L’Ave Maria prenait tout son sens, intime.
De là, les besoins se sont exprimés : rythme, dynamique de groupe, contact.
Nous nous sommes donc assis en cercle, et avons clapé des mains une fois, à tour de rôle, pour voir quel rythme se dégageait de l’ensemble, sans aucune consigne de départ sauf celle d’observer. Le rythme était irrégulier, suivant l’humeur de chacun et sa dynamique, et selon ce que chacun écoutait dans le frappé précédant [le temps, la force ou l’espace (l’amplitude du frappé)], et voulait transmettre au suivant en frappant lui-même.
[Moi qui ai passé ma vie à essayer d’obtenir de moi ou des autres un rythme linéaire, régulier, où le passage de l’un à l’autre se fait à l’identique, en gommant les différences pour se mettre à l’unisson, j’ai enfin découvert l’incroyable diversité du rythme intérieur de chacun en relation avec autrui. Je crois bien que c’est la première fois de ma vie que j’ai été capable de l’apprécier dans toute sa richesse.]
De là, nous avons adressé notre « clapé de mains » non pas à la personne assise juste à côté de nous, mais à une personne que nous choisissions dans le cercle. Puis, sans s’interrompre, nous avons introduit peu à peu, sans paroles, en les mettant en œuvre, de nouvelles propositions, chacun à son tour quand il le souhaitait : remplacer le clapé par un bruit, un geste, un mouvement, un son vocal, se déplacer dans l’espace, amorcer le contact entre deux personnes, se rapprocher. Nous avons fini sur des vocalises, des cris dans une belle et joyeuse anarchie !
Nous avons observé des baisses d’énergie (repérable au manque d’intérêt ressenti), que nous avons associées à des moments où nous nous installions dans la détente et la facilité. Mais nous avons convenu qu’après tout, c’est le cycle spontané de la vie, on ne peut pas être toujours au top ! (cet atelier était sous le signe de l’optimisme résolu…)
« In an autumn Garden », de Takemitsu, nous a incité à tous entrer en mouvement simultanément, nous faisant perdre l’intensité de la danse. Au second essai, nous avons été mieux à même d’écouter le mouvement des autres, de chacun trouver sa place, son rythme. La tension ajustée, seule à permettre à la flèche d’atteindre son but, était par moments palpable. La musique de Takemitsu, ce compositeur contemporain japonais, nous donnait l’espace pour l’habiter, l’ignorer, l’adopter, la refuser.
Dans notre dernière tentative, nous avons introduit une difficulté supplémentaire : « Rock in Rythm » est tellement entrainant qu’il est difficile d’y résister. Mais le résultat fût assez satisfaisant il me semble, avec une bonne énergie de dialogue avec la musique, et peu d’illustration (ma bête noire : la redondance, entre ce qui est montré et ce qui est entendu, entre le sens et la forme etc.).
Nous avons profité de la pause pour nous présenter chacun. Il y avait parmi nous : une chanteuse, un musicien qui fait du théâtre forum, une écrivaine, un concepteur de lieux de vie (que nous avons revu le soir même sur Arte, à propos de la mosquée de Tournon…), deux aéronauticiens (tous deux surveillent les avions, elle au ciel, l’autre au sol), un danseur professionnel, une peintre, une sculptrice sur étain, un bien vivant, une travailleuse sociale (je ne suis plus sûre, confirme ?) et moi qui ai passé mon tour car sinon nous n’aurions pas eu assez de temps pour la danse forum.
C’est l’expérience de l’un d’entre nous qui a été choisie comme mise en scène dansée de départ, puisqu’elle correspondait à notre constatation générale : ce n’est pas parce qu’il y a toucher qu’il y a automatiquement contact, difficulté de la communiquation. Pendant la première partie de cet atelier, nous avions expérimenté combien le fait de peu se connaître (beaucoup de tout nouveaux à l’atelier) établissait une distance physique (normale et saine), et comment le contact pouvait se faire malgré cette distance, dans un évitement fait d’adoption du mouvement de l’autre.
Ceci a rappelé à l’un dentre nous une situation où il s’est trouvé à accepter d’aider une personne en donnant de son temps et de son talent, parce qu’il sentait un contact réel dans l’appel à l’aide émis par cette personne. Or, une fois l’aide acceptée, le contact n’était plus là. Y était-il au départ et il s’est évanoui dès que le demandeur a eu ce qu’il voulait ? Etait-il feint au départ pour obtenir l’aide et utiliser celui à qui l’aide avait été demandée ? Dans les deux cas, l’expérience restait en travers de la gorge de notre danseur, aujourd’hui propulsé « metteur en scène » pour la cause de la danse forum.
Il a choisi deux d’entre nous pour danser sa mise en scène : « une danseuse » et sa « chorégraphe ». Il les a fait se placer en fond jardin, [ce qui était un choix judicieux : côté jardin, il suggérait le passé, et en fond, l’incertitude, l’obscur, le mal connu]. La danseuse était placée assise devant sa chorégraphe, toutes les deux face à nous le public. Les consignes données aux protagonistes par le metteur en scène : la danseuse est à l’écoute sans voir son interlocutrice (coup de fil téléphonique donné dans la réalité), la chorégraphe est persuasive mais gênée, elle essaie d’établir un contact assez puissant pour obtenir l’accord de l’aide.
[En théâtre forum, le metteur en scène n’intervient jamais sur scène. Ici, il est intervenu de sa propre initiative, pour préciser les consignes à la chorégraphe. Il souhaitait qu’elle ait des gestes plus ronds, moins saccadés, pour arriver à mettre en confiance la danseuse. Se faisant, leur trio avait quelque chose de touchant, et m’émerveillait, sans que je puisse dire tout à fait pourquoi. Peut-être le fait de rendre visble la mise en scène sur scène, qui se fond à la scène, sans l’arrêter, et par ailleurs sans arriver à communiquer les nouvelles consignes. Avec la possibilité, pour les spectadanseurs que nous étions, de construire d’autres scénarios : un troisième personnage, tout peut basculer entre l’équilibre fragile de deux personnes…]
Le public a précisé alors ce qu’il avait vu : dans sa tentative de persuasion, beaucoup de gène chez la chorégraphe. Elle confirme que c’est ce qu’elle souhaitait exprimer. Le problème a ainsi été ciblé : qu’est-ce qui empêche de fait le contact réel ?
La danseuse a alors demandé au metteur en scène de se mettre à la place de la chorégraphe, ce qu’il a fait. [Là, nous sommes en accord avec le théâtre forum : l’acteur ne doit pas jouer son propre rôle qui inspire la pièce, plutôt celui de l’autre principal protagoniste. La scène a repris du début.]
Les mouvements du chorégraphe étaient doux, enveloppant et attentifs. La danseuse répondait extraordinairement bien à ses mouvements, alors que, de dos, elle ne pouvait le voir. Sur l’adaggietto de Malher, la danseuse et le chorégraphe se sont testés, dominés et soumis tour à tour, ont gagné leur confiance réciproque millimètres par millimètres. Ils ont joué sur la hiérarchie des plans (étendu sur le sol ou droit à la verticale), celle des directions qui soulignaient leurs états intérieurs et leurs intentions (face, biais, profils), pour finir par s’apprivoiser réciproquement et danser, en communion ?
Ne vous avais-je pas dit que le paradis est définitivement optimiste ? Un bonheur !
Andréine Bel
d’après les retours de : Amanda L, Andréine B, Guillaume T, Guy M, Hélène D, Leonardo C, Marie B, Maurice M, Mireille M,X, X, X.
Article créé le 16/02/2020