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Le corps sans organes et l’inachevé


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!!Le Corps sans organes et l’inachevé – 28 mars 2010, stu­dio For­bin, en pré­pa­ra­tion du fes­ti­val de For­cal­quier


Ce dimanche au stu­dio For­bin, nous étions huit, autour du thème réflexif du « Corps sans Organes », mis en regard avec le sous-thème que nous a appor­té l’échauffement sen­si­tif : « l’inachevé ».

Cette notion du Corps sans organes vient d’Antonin Artaud, et a été reprise par G.Deleuze, com­men­té par R.C.Zamfir.

Dans « Pour­quoi le corps sans organes est-il plein ? », la phi­lo­sophe Ralu­ca Arse­nie Zam­fir parle de « ce qui se trouve der­rière les régu­la­ri­tés visibles du corps, que la science inven­to­rie avec tel­le­ment d’élan », d’un « mou­ve­ment ori­gi­naire, situé au plus pro­fond du vivant, peu­plé uni­que­ment par des inten­si­tés ».

« Le corps sans organes ne conteste pas la réa­li­té de la maté­ria­li­té tan­gible. Pour­tant, si nous y res­tions, cette maté­ria­li­té pour­rait alté­rer et dés­in­car­ner le corps vivant, tout en le rédui­sant à une somme des fonc­tions phy­sio­lo­giques, alors qu’il inclut plus que le méca­nisme bio­lo­gique et qu’il s’en dif­fé­ren­cie pré­ci­sé­ment par sa tex­ture inten­sive. »

« Dès le moment où nous ces­sons de pen­ser par les repré­sen­ta­tions, les vécus du corps deviennent réels et nous pou­vons les consi­dé­rer comme des faits inten­sifs du corps vivant. »

« A la rigueur, chaque vivant com­mence à avoir des organes dès qu’un d’entre eux tombe en panne. »

Pen­dant l’échauffement, il nous est appa­ru que lorsque l’organe n’est plus repré­sen­té men­ta­le­ment (cartes ana­to­miques, méri­diens éner­gé­tiques etc.), le corps sans organes « arrive » avec ses sen­sa­tions de flux qui le tra­versent (dif­fé­rentes tem­pé­ra­tures, consis­tances et mou­ve­ments) et des inten­si­tés dif­fé­rentes. Un peu comme si le che­min qui va de la repré­sen­ta­tion à la sen­sa­tion intro­dui­sait le sub­jec­tif, qui nous rend « la capa­ci­té de se sen­tir soi-même ».

L’éveil des sen­sa­tions s’est impo­sé par crainte de la repré­sen­ta­tion mus­cu­laire de l’éveil des muscles. Pour­tant, l’éveil des muscles est fait de sen­sa­tions et non de repré­sen­ta­tions. Il a sa place dans cette notion du corps sans organes, mais pour un pre­mier jour, nous l’avons lais­sé de côté.

« L’inachevé » est venu tout natu­rel­le­ment à la sur­face de nos sen­sa­tions : l’impossibilité d’aller au bout de telle ou telle ten­sion, d’envisager la fin du mou­ve­ment du corps.
Quoi que l’on fasse, l’œuvre reste inache­vée, comme cette danse forum, mais un inache­vé qui a à voir avec le désir, qui a de l’espérance, une vision loin­taine.

Nous sommes entrés dans la danse forum comme dans du beurre, sans nom­mer quoi que ce soit, elle est deve­nue corps sans organes.

La boîte à outils que sont les règles en danse forum n’a pas eu besoin d’être pré­sen­tée en tant que telle. Chaque outil n’a pas eu néces­si­té que l’on connaisse son his­toire pour que l’on puisse s’en ser­vir !

Aus­si, nous avons pris les outils sans les nom­mer, seule­ment ceux dont nous avions besoin, pour une danse forum qui s’est construite au fur et à mesure, non par rap­port à son image, mais par rap­port à ses inten­si­tés, ses flux sous-jacents, nos dési­rs.

L’inachevé nous a par­lé de deuil (renon­ce­ment), de l’infini, de la mort, de la nais­sance, de l’ombre, de son épais­seur… Il donne des pistes – au risque de s’y perdre, il est source de désir et de vigi­lance – ou de désar­roi.

Bien sûr, il est au cœur de la pro­blé­ma­ti­sa­tion chère à la danse forum, puisque ce n’est pas la solu­tion qui est cher­chée, mais le ques­tion­ne­ment du pro­blème, par la mul­ti­pli­ca­tion des angles de vue.

Il met en ques­tion la dia­lec­tique entre pro­blé­ma­tique et solu­tion à la pro­blé­ma­tique, c’est un rdv sur une ouver­ture. L’inachevé peut être vécu comme une impos­si­bi­li­té d’aller plus loin, une catas­trophe, un deuil, ou comme l’occasion d’une méta­mor­phose : on peut voir plus loin, voir ailleurs, autre­ment.

L’inachevé, c’est la dis­con­ti­nui­té dans l’effort qui tend vers un but, c’est chan­ger le regard. Le réel, c’est tous les regards que l’on porte pour dire que ceci est réel, mais de fait rien n’est jamais défi­ni­tif. C’est une remise en ques­tion constante.

Cer­tains para­mètres sont plus stables que d’autres, mais l’inachevé est bio­lo­gique. Le bio­lo­giste Amzal­lag, dans « L’homme végé­tal », dit que l’être humain est tou­jours un embryon en cours d’achèvement, tout au long de sa vie.

L’exemple des ami­tiés a été aus­si don­né, celles qui se trans­forment d’elles-mêmes, celles que l’on est obli­gé d’arrêter.

La notion d’achèvement est par­fois inévi­table : la danse peut s’arrêter quand le dan­seur ne voit plus la néces­si­té, la per­ti­nence de conti­nuer. C’est un achè­ve­ment pro­vi­soire, une pause, un sou­pir.

Quant aux livres qu’on lit jusqu’au bout, sou­vent en les reli­sant, ce ne sont plus les mêmes…
Et les mots arrivent à chan­ger l’idée même qu’ils sont en train de construire.

Tout influe sur tout, tout est en mou­ve­ment, com­ment se repé­rer ? Aus­si ai-je décré­té que le nord serait tou­jours devant moi, et sous un ciel étoi­lé qui bouge sans cesse, per­sonne n’y a trou­vé à redire.

Andréine Bel,

d’après les retours de : Andréine B, Auré­lie, Ber­nard B, Guillaume T, Jacques H, Laurent B, Leo­nar­do C, Minh N‑G.

Article créé le 16/02/2020

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