Ateliers Lambesc

Le lien


Danse forum
Comptes-ren­dus des ate­liers
Lam­besc

!!Le lien – 3 juin 2006

Nous étions six.

Ce sont les quatre hommes qui étaient le plus en besoin de déli­ca­tesse. Nous avons donc choi­si des éti­re­ments d’orfèvres, où on laisse le corps éti­rer ses tis­sus avec tact et per­ti­nence. Eti­re­ments actifs et pas­sifs ont alter­né et se sont com­plé­tés. Le contact avec le sol s’en est trou­vé sen­si­bi­li­sé.

Cela nous a ame­nés au contact avec autrui, ses dif­fé­rentes formes : contac­ter en effleu­rant, en don­nant son poids, en étant proche, à par­tir d’un point, d’une sur­face du corps.

Nous avons choi­si, ou lais­sé faire le hasard, la consigne étant d’observer ce qui se passe dès que l’on est en contact, obser­ver les sen­sa­tions, les réac­tions, les ini­tia­tives. Une chaîne s’est for­mée en biais dans la salle, dans une direc­tion par­faite pour nous, capable de nous don­ner la sen­sa­tion de ce qui se pas­sait d’un bout à l’autre de l’espace et du temps. « Ali­na » de Arvo Pärt, et « Jar­din du som­meil d’amour » du Turan­ga­li­la d’Olivier Mes­siaen ont été par­faits…:-)

La pause

Le thème de la danse forum est natu­rel­le­ment allé vers « le lien ». Nous avons choi­si le lien qui relie, plus que celui qui empri­sonne, mais bien­sûr les deux sont inti­me­ment liés…

Ain­si les liens famil­laux. En cher­chant le titre de cette danse forum, nous avons trou­vé celui de l’attention por­tée aux besoins de l’enfant. Ce n’était pas gagné. Attendre que l’enfant mani­feste son désir de soli­tude, de tran­qui­li­té, d’indépendance est dèjà trop tard… Com­ment pres­sen­tir quand on en fait trop ?

Le besoin est venu de sépa­rer pour relier autre­ment, mettre des espaces pour lais­ser l’air entrer et retrou­ver la mobi­li­té auto­nome.

Puis nous nous sommes atta­qués au pro­blème de la « théâ­tra­li­sa­tion » de la danse. Théâ­tra­li­ser la danse n’est pas un pro­blème en soi, si c’est le fruit d’un choix et que l’on s’en donne les moyens. [En intro­dui­sant les mots et le théâtre dans la danse, Pina Bausch a pris le tau­reau par les cornes. Le fait de recon­naître à la danse sa part de lan­gage et la don­ner à entendre, para­doxa­le­ment nous per­met, en tant que spec­ta­teur, de voir la danse. Comme si, ras­su­rés que la par­tie lan­ga­giaire est assu­mée, le spec­ta­teur peut mieux por­ter son atten­tion sur le reste.]

Mais ici je parle de théâ­tra­li­ser la danse sans s’en aper­ce­voir, c’est à dire uti­li­ser la danse comme un lan­gage qui serait pri­vé de parole. [A la dif­fé­rence du mime, qui choi­sit de rem­pla­cer sa voix par ses gestes, ses atti­tudes.]

Cela donne au spec­ta­teur la sen­sa­tion immé­diate de savoir d’avance ce qui va se pro­duire, et l’ennui s’installe. L’ennui, et une sorte de gène devant ce que l’on res­sent de cette pri­va­tion.

Nous nous sommes essayés plu­sieurs fois à ne pas théâ­tra­li­ser.

Ne pas « théâ­tra­li­ser » une impro­vi­sa­tion, c’est faire la place aux sen­sa­tions immé­diates et tan­gibles, et par­tir d’elles plu­tôt que d’essayer de dan­ser nos inten­tions. Si le dan­seur ne sait pas ce qui va se pro­duire à l’instant sui­vant, le spec­ta­teur non plus, tous les deux se trouvent au bord du connu et de l’inconnu. Je n’ai jamais vu per­sonne qui s’ennuie au bord de l’inconnu.

Et c’est venu, petit à petit, cette lisière a été pal­pable. L’ennui a fait place à la vigi­lance, pour ne rien perdre de ce qui était en train de se pas­ser. La maman poule a lâché du leste, comme si elle se recon­nec­tait à ses propres besoins en dia­logue avec les besoins de l’autre. Plus loin sur la scène, le pous­sin qui vou­lait éclore était encore dans son image d’éclosion mais est entré peu à peu dans son inté­rio­ri­té, et plus il y entrait, plus il éclo­sait. Ce qui l’enserrait si fort, il a dû cher­cher vrai­ment com­ment en sor­tir. La coquille de l’œuf s’est ouverte quand les choses ont été mûres, elle est deve­nue le conte­nant, puis l’ami qui laisse l’espace, puis le frère jumeau. Les sté­réo­types tombent, l’illustration fait place à la créa­ti­vi­té, celle que chaque spec­ta­dan­seur recrée selon son vécu, ses dési­rs et ses besoins.

Andréine Bel

Article créé le 16/02/2020

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