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!! Où aller ?, cycle sur le thème de l’errance23/01/11
L’errance comme thème « chapeau », le lien, le chemin, d’ou je viens vers où je vais…, l’ancrage et le flottement, l’assise, le portage, connexion-déconnexion – une multitude de thèmes au lieu d’un seul ont émergé dans l’atelier même.
On était huit (dont quatre nouvelles personnes) et nous avions du mal à nous fixer sur un thème bien défini et cadré. Ça a commencé par des sensations d’un pied trop court, de bulles d’air effervescentes dans le corps – dans plusieurs corps, des pulsations, des lourdeurs s’étalant sur le sol, du moelleux, du tendu, de l’étendu qui tend à s’étendre à l’infini, en grande liberté.… et nous voilà déjà dans le mouvement. Les sensations se transforment ou deviennent plus précises. Ce n’était pas évident pour tous et toutes de nommer des sensations précises du moment. Tout un apprentissage.
Les bulles d’air m’emmènent vers le haut, me font flotter, le moelleux s’étend dans toutes les dimensions, d’autres se lèvent, quittent le support rassurant du sol en bois et du coup se trouvent dans un espace beaucoup moins sûr, déstabilisant, … être à sa place ? Elle est où cette place ?
L’imaginaire, le souvenir, l’histoire du lieu et du vécu dans ce lieu se mêlent aux mouvements, le concert de Cologne de Keith Jarret rajoute une couche pour certains, pour d’autres la musique les porte juste et encore d’autres arrivent à l’ignorer …
Le thème, donc n’en était pas un mais plusieurs, voir plus haut. On n’arrivait pas à se retrouver tous dans un thème précis. Alors au lieu de s’acharner on a laissé oeuvrer toutes ces notions pendant les deux improvisations. Deux impros avec à chaque fois un espace complètement différent, d’une densité, d’une couleur différente.
A la première impro, un début avec chacun‑e encore dans sa bulle, en tâtonnement, en recherche, puis d’un coup une tension s’est créée, une densité, un flux qui a relié des corps. Dans ce balbutiement, ce « vers où je vais ?», dans quelle direction, quel chemin prendre, des points d’accroche se pointent, une femme, un homme croisent mon chemin, on fait un bout de chemin ensemble, s’accroche à des pas, des mots lus, puis se perd. Au loin on voit quelqu’un, veut y aller pour le trouver, se joindre à lui, puis à l’arrivée, le vide, il n’est plus là, parti sans laisser d’adresse, le mur blanc seulement, fissuré en plus … On nage, on marche, on court, sans savoir où aller, et tout d’un coup, une île qui nous accueille, un brin auquel se raccrocher, une pierre sur laquelle se poser, des bras.
Des cloches dans la nuit, un souvenir de solitude et de peur, l’enfant que je fus, terrée dans son lit, peur des fantômes, peur de mourir, libérée par une main maternelle et un corps accueillant.
Deux êtres se trouvent dans le même espace, leurs trajets se croisent, s’entrecroisent, leur rencontre est fragile, jamais acquise, instable, recherchée, reperdue. Et d’un coup ils se trouvent debout, ensemble, côte à côte, sur le point d’entamer un chemin, devant eux, comme tout tracé et incertain à la fois. Le clap du fin les a empêché d’y aller, ou était-ce autre chose ?
Paul Eluard :
De la douce et de l’extrême
toutes étaient inutiles
et nous à quoi servions-nous
Tous et toutes grains de sable
impalpables dans le vent
Tous et toutes étincelles
sous une ombrelle de feu
Sommes-nous hommes et femmes
de ces enfants que nous fûmes
Le vent s’est désorienté
la lumière s’est brouillée
Un rien nous tient immobiles
Réfléchissant dans le noir
La deuxième impro a commencé directement par une grande tension, due grandement – je pense au premier retour verbal sur la 1ère impro.
Grand balayage de l’espace scénique avec les pieds, quadrillant le tout, deux autres s’avancent dans cet espace tracé, immobilité tremblante pour l’une, peur de ce qui va arriver, peut arriver, … « j’ai tout nettoyé », lui dit l’une, et l’autre l’accueille dans ses bras, sur son buste, son ventre, nos mains se joignent, bercement, repos, douceur, chaleur. Soulagement. On flotte ensemble ou on est arrivées quelque part ? Un autre est là, tout d’un coup, à tenir, soutenir, prêter son dos, sa main. Ca se délie, ça part en danse, des couples se forment, se perdent …
Une barque d’ambre à trois rames
creuse la mare du désert
Le vent s’étale sur la mousse
Un soir entier soutient l’aurore
Le mouvement a des racines
L’immobile croît et fleurit.
encore Paul Eluard
Nous avons lu beaucoup de textes, trop peut être – je ne vous en cite que trois. Lire des textes sur l’espace scénique a gêné certains, d’autres pas. Nous avons numéroté les textes lus, par des marque-pages, et Valérie a numéroté les dessins aussi. Au cas où on voudrait construire quelque chose entre textes et images…? Le coin de peinture de Valérie a été pas mal visité par plusieurs, des magnifiques peintures en sont sorties, on a pris des photos.
D’ailleurs, nous avions une photographe parmi nous, elle a pris pas mal d’images. Ca nous a permis aussi d’avoir des échanges sur sa posture dehors-dedans, et on a bien senti, que ce clivage est tout autre sauf simple. Marie s’est sentie par moments complètement dans la sensation et en phase avec les corps qu’elle prenait en photo, avait même envie de venir avec sa caméra sur l’espace scénique … à expérimenter. Nous on la sentait par moments effectivement en dehors, puis par des moments avec nous, on ne se rendait plus compte qu’elle était là. Pas évident la photo, mais intéressant et à poursuivre.
Un atelier difficile mais très riche !
En parlant avec Valérie ce lundi après-midi nous nous sommes dit qu’un diaporama composé par des photos, des textes, des dessins autour du thème de l’errance pourrait être pas mal, et moins coûteux et difficile à réaliser qu’un livret, ou en tout cas quelque chose de fixé sur un papier …?
A creuser.
je veux sortir, mourir debout, dehors, au-dedans de moi, tenir ma canne comme un vieux mari.
Je veux encore saluer les gens du quartier, qu’ils me reconnaissent.… Je n’irai pas loin, je serai raisonnable, si je fatigue, je m’assiérai, sur le muret, un banc, à un arrêt de bus. Je veux sortir. sentir la terre sous le bitume. Tirer derrière moi la lourdeur du ciel.
Je serai raisonnable, je ferai des petits pas, je regarderai bien où je mets les pieds, je marcherai le long du mur, au cas où je perdrai l’équilibre.
Oui, je vais sortir.
Dès que la pluie aura cessé. Entre deux averses. En attendant, je vais reprendre des forces. La pluie va cesser. Il faut que je sois prête. Il est où mon manteau déjà… Ah, oui ! et la canne … sûrement dans l’entrée. Tout à l’heure, je verrai cela tout à l’heure. Avant, je dois prendre des forces. Ne pas trop bouger. Voilà, comme cela. Ne penser à rien. Tout garder pour après la pluie, entre deux averses. Ca va être bien.
Marc Le Piouff, Les silences à venir
Johanna Bouchardeau
Article créé le 16/02/2020