Ateliers St-Etienne-les-Orgues

Les chemins


Danse forum
Comptes-ren­dus des ateliers

Nous étions douze. Onze femmes et un homme, dont envi­ron la moi­tié avaient déjà
par­ti­ci­pé à mes ate­liers, le reste étaient des nouveaux/elles. Nous avions la chance
d’avoir Syl­via avec nous, une amie qui filme pro­fes­sion­nel­le­ment des dan­seurs, et
qui a fait plu­sieurs films sur la danse (entre autre un por­trait de Karine Waeh­ner,
grande dan­seuse et cho­ré­graphe alle­mande – l’empreinte du sen­sible.) Syl­via nous a
donc fil­mé pen­dant les impro­vi­sa­tions et les prises de parole. Nous allons vision­ner
les images un jour la semaine pro­chaine.

Pen­dant l’échauffement, les sen­sa­tions d’engourdissement, d’être enfermé(e) dans
un pot, l’appréhension, la ner­vo­si­té, des dou­leurs dans le dos et à dif­fé­rents endroits
du corps, la sépa­ra­tion en deux du corps (droite/gauche), la lour­deur, etc. ont été
nom­mées. (Il y a eu d’ailleurs trop de mots énon­cés, plu­sieurs per­sonnes ont en
énon­cés plu­sieurs et ça a prê­té, à mon avis à confu­sion – je n’arrive d’ailleurs pas à
me sou­ve­nir de plus que celles-ci.) Je pense que c’est mieux qu’on ne nomme sa
sen­sa­tion uni­que­ment avec un seul mot (ou 2) quand on a trou­vé celle qui est
pré­do­mi­nante, quitte à prendre du temps pour la trou­ver – en silence.

A tra­vers les expé­ri­men­ta­tions et les paroles nous en sommes assez rapi­de­ment
arri­vés au thème qui était « le che­min » ou « les che­mins » (du mou­ve­ment dans nos
corps, des corps entre eux, des corps dans l’espace, de moi par rap­port aux autres, les
tra­jec­toires qu’une sen­sa­tion nous fait faire, qu’elle fait, les lieux qu’elle habite, agite
ou crispe, le mou­ve­ment qu’elle génère. Aus­si les che­mins que cette sen­sa­tion
cherche dans notre corps pour s’évacuer, se trans­for­mer, éven­tuel­le­ment pour
s’apaiser ou sim­ple­ment pour « se pro­me­ner ». On a aus­si par­lé de « l’entraide »
d’une par­tie du corps à une autre. Quand je bouge une par­tie, une cas­cade
d’événements se pro­duisent et d’autres par­ties suivent ce mou­ve­ment ini­tié par un
bout. Obser­ver cette chaîne.

Déjà au bout de la pre­mière impro nous sommes arri­vés à une pro­blé­ma­tique, qui
était notam­ment celle de « je suis sur mon che­min, et je ren­contre quelqu’un d’autre,
un autre mou­ve­ment, une autre éner­gie… et j’abandonne immé­dia­te­ment ma
tra­jec­toire pour me caler sur celle que je viens de ren­con­trer. » Com­ment res­ter sur
« son » che­min tout en tenant compte des autres, mais sans se faire bouf­fer ?
Jusqu’où je me laisse nour­rir, influen­cer, détour­ner, où est-ce que je prends juste
plai­sir pour « faire un petit bout de che­min » avec quelqu’un d’autre pour un petit
moment puis retra­cer ma route après ? Qu’est-ce que cette ren­contre ou ce par­tage a
chan­gé, pour moi, pour lui/elle, pour ma tra­jec­toire ? Nous avons expé­ri­men­té le
« je résiste » aux influences des autres ce qui s’est avé­ré une expé­rience très dif­fi­cile
(pour moi en tout cas) mais très béné­fique. D’autres n’éprouvaient aucune dif­fi­cul­té à
res­ter sur leur che­min, dans leur bulle – et beau­coup de plai­sir. Encore d’autres
trou­vaient qu’ils/elles n’arrivaient pas à sor­tir de cette bulle, par le fait que le corps
ne vou­lait ou pou­vait pas suivre le désir de se lais­ser empor­ter par l’énergie des
dan­seurs autour. Manque d’écoute des autres ? Manque de sol­li­ci­ta­tion ? Ou alors,
où se trouve le noeud ? A creu­ser.

Une belle image est appa­rue sou­dai­ne­ment, par­mi des corps plu­tôt ram­pants et
rou­lants au sol (au début), un oiseau pico­rant et bat­tant de ses ailes qui a sur­vo­lé
l’espace. Che­min ter­rien ver­sus che­min aérien. Rien à voir, une toute autre éner­gie.
Un très beau contraste.

Cette ques­tion des éner­gies dif­fé­rentes est appa­ru très clai­re­ment. Une per­sonne a
remar­qué que quand elle sor­tait de scène une autre éner­gie mon­tait en elle, par
rap­port à ce qu’elle voyait se dérou­ler devant elle et lui a per­mis de retour­ner
dif­fé­rem­ment sur scène. Ces rythmes et dyna­miques dif­fé­rentes ont été res­sen­tis
très posi­ti­ve­ment. « – J’avais l’impression de me trou­ver devant un pay­sage vivant :
la terre qui grouille, des arbres, une pierre, des oiseaux, une touffe d’herbe. » Puis le
fait qu’un rythme lent peut appe­ler un rythme accé­lé­ré chez l’autre et vice ver­sa,
plus, qu’un rythme sac­ca­dé peut s’appuyer sur un mou­ve­ment très lent… le plai­sir de
dégus­ter les contraires, s’en nour­rir même. Puis des moments d’osmose ou comme
une vague, pro­vo­quée par un dan­seur debout, et d’autres sont sou­le­vés, juste par
son mou­ve­ment qui tire vers le haut.

Une dan­seuse a subi­te­ment res­sen­ti une grosse colère mon­ter, juste à par­tir d’un
geste répé­ti­tif au sol, sen­sa­tion très rare­ment vécue par elle, d’une inten­si­té énorme
mais sans se lais­ser sub­mer­ger. Elle a pu obser­ver com­ment cette émo­tion l’a enva­hi
mais a su adop­ter une atti­tude d’autonomie (*voir texte ci-après) de son corps envers
ce gros tour­billon. Elle a pu res­ter dans la sen­sa­tion et ne pas se perdre dans
l’émotionnel. L’arrivée et la ren­contre avec une autre per­sonne a apai­sé cette énorme
vague et l’a trans­for­mée en autre chose.

Une autre pro­blé­ma­tique est appa­rue à la deuxième impro, et c’était com­ment res­ter
près de ses sen­sa­tions quand sou­dai­ne­ment on est atti­ré par quelqu’un ou quelque
chose à l’autre bout de la salle. Com­ment par­cou­rir le che­min jusqu’à l’endroit qui
nous appelle sans perdre ce petit fil en soie qui nous relie à la sen­sa­tion et à « la
chose » ou la per­sonne qui nous appelle ? Tout le pro­blème avec le va-et-vient entre
sen­sa­tion et men­tal, inté­rieur et exté­rieur.

Mille che­mins des­si­nés dans la pièce : des lignes droites par­cou­rues à toute vitesse
avec chute au bout, tra­jec­toires en spi­rales, petits pas sau­tillés, grands pas, lents,
espa­cés, rou­lades et tâton­ne­ments, croi­se­ments et ren­contres, sépa­ra­tions… Les
traces ne sont pas les mêmes. L’espace est modi­fié dif­fé­rem­ment, le temps devient
sub­jec­tif. Espace-temps-corps (), les trois notions maî­tresses du mou­ve­ment
se conjuguent en une mul­ti­tude de formes, rythmes et tra­jec­toires.

Puis que se passe-t-il quand deux corps veulent par­tir en direc­tions oppo­sées tout en
étant accro­chés ? Qui cède en pre­mier ? Pour­quoi ? Quel dénoue­ment ? Il arrive
par­fois au moment le plus inat­ten­du, de la manière la plus inat­ten­due.

Quelques moments magni­fiques et intenses.

Pour clore, une longue dis­cus­sion sur la danse forum. Une per­sonne dou­tait que le
thème du « che­min » était res­té pré­sent à tous/toutes tout le long, elle avait
l’impression qu’on fai­sait juste de l’impro libre fina­le­ment. La plu­part répon­daient
qu’elles/ils étaient resté/e/s près du thème, pour d’autres le thème com­men­çait à
s’effacer len­te­ment, et n’était là plus que de façon sous-jacente ou en poin­tillés mais
cela n’enlevait rien à l’ inten­si­té de leurs impros. Est-ce for­cé­ment néces­saire de
res­ter col­lé au thème ? Je ne le pense pas… à revoir.

La ques­tion du pour­quoi nous appe­lons ce tra­vail danse forum a aus­si résur­gi.
Cer­tains pensent que c’est la même chose que ce qui se fait dans des ate­liers de danse
contact ou autres ate­liers d’improvisation. Elles pro­posent d’expérimenter une
variante plus proche du théâtre forum, avec des impros arrê­tées puis re-dan­sées puis
avec des nouveaux/elles spectadanseurs/euses qui entrent en scène… Le grand
dan­ger avec cette démarche est, pour moi, que dès que j’essaie de refaire la même
impro, ce n’est plus une impro, je tombe dans le men­tal et le mou­ve­ment n’est plus
authen­tique… Bien que, fau­drait essayer… On touche à la pro­blé­ma­tique de l’écriture.

En tous les cas, c’était une belle expé­rience et j’espère vous retrou­ver à nou­veau tous
et toutes (et ev. des nouvelles/aux) le 22 mars, de 14h30 à 18h30 dans la même salle.

Pour ceux ou celles qui vou­dront, n’hésitez-pas à écrire vos pen­sées et
expé­ri­men­ta­tions aus­si.

(*) Voi­ci le pre­mier jet des réflexions de Céline autour de la notion de l’autonomie :

« Selon Wiki­pé­dia, l’autonomie est la facul­té d’agir par soi-même en se don­nant sa
propre loi ; l’autonomie est une liber­té inté­rieure, une capa­ci­té à choi­sir de
son propre chef sans se lais­ser domi­ner par ses ten­dances, ni se lais­ser domi­ner de
façon ser­vile par une auto­ri­té exté­rieure.

J’ai un grand besoin d’autonomie et cela s’exprime d’autant plus fort, dans la danse
impro­vi­sée.
J’ai choi­si cette vision en trois pôles : celui des sen­sa­tions phy­siques, celui des
émo­tions, et celui de l’imaginaire.

Com­ment chaque niveau est auto­nome face aux autres et
com­ment chaque niveau peut aus­si s’articuler et nour­rir les autres ?
Com­ment « je » reste auto­nome face à ses trois niveaux ?
Com­ment donc la notion d’autonomie peut exis­ter à l’intérieur de moi ?
Et aus­si dans mon rap­port avec l’extérieur, que com­posent l’environnement et les
autres ?

Dans tout ce mag­ma d’informations qui me par­viennent qu’est ce que je
choi­sis de suivre ? C’est à par­tir du moment où je suis auto­nome que
la notion de choix peut exis­ter. Et aus­si, dès que je choi­sis, je deviens auto­nome.

C’est à dire que je n’ai pas envie d’être sub­mer­gée par une seule chose, sinon c’est
elle qui prend toute la place et je perds d’autres ouver­tures, et la liber­té.
Quand tout se met au ser­vice d’une seule chose, cela crée des dépen­dances et des
subor­di­na­tions… sauf si c’est un choix ?
Encore que… quand le choix n’existe plus, l’autonomie s’écrase ain­si que la liber­té inté­rieure.

Pour essayer d’aller sur ce che­min de l’autonomie,
j’ai sou­vent cette image en tête :
celle d’un per­son­nage à l’intérieur et à l’extérieur
qui observe en même temps que je suis et je fais.

- Avec cette dis­tan­cia­tion, ce recul, j’arrive plus faci­le­ment
à choi­sir, et donc à tendre vers plus d’autonomie.

- Avec une conscience plus glo­bale aus­si,

- soit je danse pour moi et il n’y a pas de pro­jec­tion vers quelqu’un ou quelque chose,

- soit je danse avec cette idée de pro­jec­tion, et là je suis au ser­vice de « l’instant »,
donc dans une vision glo­bale où mon inté­rio­ri­té avec ses trois pôles, qui s’articulent
ensemble à l’intérieur et avec l’extérieur,

- l’environnement et les autres dan­seurs-euses,

- ain­si qu’un espace-temps par­ti­cu­lier

défi­nissent la matière de l’instant d’une impro­vi­sa­tion.

Avec une vision plus glo­bale, je gagne en auto­no­mie.
Bon, ça c’est une autre piste à creu­ser, qui est celle du lien entre conscience glo­bale et
auto­no­mie…

Je m’arrêterai là pour l’instant, sinon je ris­que­rai de m’emballer
les neu­rones un peu trop fort et trop vite.

() Juste au moment où j’étais en train d’écrire ce compte-ren­du d’atelier j’ai reçu un
SMS par un ami qui fait une mini-revue sur SMS – (Jean-Luc Bris­son, un artiste-
pay­sa­giste-peintre-phi­lo­sophe qui est un des rédac­teurs en chef de la revue « Car­nets
de Pay­sages » (Actes Sud) dont les nros. 13 et 14 ont été consa­crés à la danse et qui a
l’air très inté­res­sant !), un SMS donc sur cette ques­tion-là : l’espace-temps. (hasard ou
quoi ?) Je vous reco­pie ces trois petits mes­sages, car ils me plaisent bien :

« Les lieux du monde entier fré­missent et tremblent de tous leurs pos­sibles. Cha­cun
peut le res­sen­tir, en avoir l’intuition, ou bien le véri­fier, l’exprimer en par­ti­ci­pant à la
ren­contre, à l’affrontement des deux notions fon­da­men­tales du temps et de l’espace.
Il s’agit de se repré­sen­ter que ces deux notions ne se mesurent pas l’une à l’autre
comme les termes d’une équa­tion abs­traite mais plu­tôt, tout à la fois, se suc­cèdent et
tiennent ensemble comme le pas­sage de la veille au rêve ou bien de l’expérience au
sou­ve­nir. Lors de la confron­ta­tion entre l’espace et le temps, de leur frot­te­ment
mutuel, appa­raissent les cartes. La carte est le résul­tat de l’érosion de l’espace par le
temps. La car­to­gra­phie est la conscience de cette éro­sion. Les cartes prouvent
et entraînent les modi­fi­ca­tions du monde en mêlant le concret à l’imaginaire, l’avéré
au pré­vi­sible, le pas­sé au deve­nir. Pour com­prendre les fré­mis­se­ments et les
trem­ble­ments du monde, il faut mar­cher, il ne peut pas exis­ter de carte sans marche
à pied, entrée humaine dans la ren­contre de l’espace et du temps et pre­mier outil de
car­to­gra­phie. Issues de deux notions irré­duc­tibles, les cartes peuvent com­por­ter des
élé­ments de nature si dif­fé­rents, voire incon­ci­liables, et se super­po­ser à l’infini, en
cela elle disent la beau­té du monde, elles éclairent le sens et l’origine du mot
com­pré­hen­sion.«

 Des­si­ner revient à rendre pro­por­tion­nel­le­ment dépen­dant l’intérieur et l’extérieur de
nos corps. Le des­sin est l’enregistrement de nos mou­ve­ments, entre équi­libre et
dés­équi­libre, qui se pro­duisent dans l’ajustement de ce rap­port de pro­por­tion entre
l’interne et l’externe. Gestes et pen­sées enre­gistrent ces tres­saille­ments, ces
bas­cu­le­ments, ces glis­se­ments qui ne font qu’une pul­sa­tion irré­gu­lière et conti­nue
pour peu qu’on s’y consacre. »(voi­là. – il y a matière à pen­ser et à débattre ! )



Déso­lée pour la lon­gueur de ce mail, mais c’est comme ça quand on s’y met à plu­sieurs !

Johan­na Bouchardeau

Article créé le 16/02/2020 – modi­fié le 10/06/2020

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