TF et DF

Le social et l’artistique en danse forum


Danse forum
Téâtre forum et danse forum

!! Le social et l’artistique en danse forum et théâtre forum – 14 octobre 2006

Nous avons essayé ce 14 octobre 2006 de mettre en pra­tique quelques unes des
sug­ges­tions expo­sées dans le mes­sage ci-des­sous de Guillaume du 8 octobre
2006, tenant compte des remarques de Nadine, sur le sym­bo­lique et sur l’abstrait
ver­sus concret dans la danse. Je pour­suis ici aujourd’hui notre conver­sa­tion.

Les pas­sages écrits par Guillaume sont en ita­liques, mes
réponses sont inter­ca­lées entre ces pas­sages.

Bon­jour à tous,

Pour situer et rela­ti­vi­ser mon point de vue, je rap­pelle qu’il est orien­té par 15 ans de pra­tique pas­sion­née du théâtre-forum. Or, la trans­po­si­tion des prin­cipes du théâtre-forum à la danse néces­site une adap­ta­tion et donc une prise de dis­tance, qui m’est dif­fi­cile.

Peut-être ne faut-il pas cher­cher à « trans­po­ser » le théâtre forum
vers la danse. Il me semble qu’il y a deux dyna­miques simul­ta­nées
par rap­port au « forum » : du théâtre vers la danse et de la danse vers
le théâtre. Je pense que la danse forum pour­ra un jour aus­si appor­ter
quelque chose au théâtre forum, les pré­oc­cu­pa­tions d’Augusto Boal
pour rendre l’art acces­sible à cha­cun en témoigne. En atten­dant, même
si nous nous ins­pi­rons du théâtre forum, il ne peut faire le tra­vail
à notre place !

Néan­moins voi­ci quelques réflexions que m’a ins­pi­ré une année d’expérimentation de la danse-forum, et notam­ment la séance de same­di der­nier.

Concer­nant les pré­li­mi­naires à la séance inter­ac­tive.

A ce sujet, j’aimerais rap­pe­ler qu’il y (au moins) deux types d’approches du théâtre-forum ://

- le spec­tacle inter­ac­tif : des comé­diens ont pré­pa­ré une pièce (pen­dant quelques jours ou quelques mois), et ils la pré­sentent à un public pour l’inviter à l’interactivité, au cours d’une séance qui est ponc­tuelle.

Cela cor­res­pon­drait en DF à une cho­ré­gra­phie pré­pa­rée et fina­li­sée,
pré­sen­tée au public pour l’inviter à l’interactivité. Il n’est pas
exclu que nous y venions un jour. Pour l’instant, cette solu­tion a
été écar­tée car je pense nous tenons à l’improvisation nais­sant de la
sen­sa­tion. C’est notre garde fou contre l’esthétisme, la redon­dance
et le « n’importe quoi qui se veut savant » – même si le garde fou ne
marche pas tou­jours !

Le moyen terme n’a pas été pos­sible concrè­te­ment jusqu’à pré­sent, où
l’improvisation pour­rait s’accomplir mais au sein de grandes lignes
déter­mi­nées. Il fau­drait pour cela que nous accep­tions de refaire en
impro­vi­sa­tion exac­te­ment le même thème et le même scé­na­rio sur
plu­sieurs séances. Peut-être un jour ?

- L’atelier d’exploration interne : un même groupe explore le thème à tra­vers les tech­niques théâ­trales et construit un modèle de situa­tion-pro­blème, puis la phase de recherche de solu­tions a lieu en interne (dans ce groupe), éven­tuel­le­ment entre des sous-groupes. Dans les deux cas, une durée rela­ti­ve­ment longue ( plu­sieurs séances) est consa­crée à la construc­tion de la scène de base.

Cette phase de pré­pa­ra­tion du théâtre forum est un
tra­vail théâ­tral clas­sique, où l’accent est mis sur la
lisi­bi­li­té de la situa­tion et où une part d’improvisation est gar­dée.
Ce qui fait que l’on peut pré­pa­rer en quelques séances ce qui
deman­de­rait au théâtre clas­sique quelques semaines ou mois de tra­vail
achar­né. Le résul­tat n’est pas le même, les moyens non plus, ni le
but.

Les théâtre-forum « impro­vi­sés » sont bien enten­du envi­sa­geables ; ceux que j’ai pu voir ou pra­ti­quer ont don­né des résul­tats par­fois géniaux, mais géné­ra­le­ment beau­coup moins riches que les théâtre-forum pré­pa­rés.

Je n’ai pas vu de théâtre forum impro­vi­sé, mais je peux bien ima­gi­ner
que ce soit très dif­fi­cile, et par­fois seule­ment, génial ! Je ne sais
si l’on peut faire le paral­lèle avec le fait d’improviser la danse
forum, car nous n’avons pas de pos­si­bi­li­té de com­pa­rai­son avec ce que
don­ne­rait une cho­ré­gra­phie non impro­vi­sée.

La danse-forum que nous avons pra­ti­quée same­di (ain­si qu’à d’autres séances pré­cé­dentes) ne cor­res­pon­dait à aucun des deux types évo­qués, mais à un inter­mé­diaire entre ces deux : les spec­ta­dan­seurs ont pris peu de temps pour explo­rer le sujet (cf. type 1), car il n’y a eu qu’ une seule séance de construc­tion du modèle de base, une inter­ac­ti­vi­té interne (cf. type 2).

Il y a donc eu impro­vi­sa­tion du modèle de base et inter­ac­ti­vi­té
interne. Pour­rait-on dire qu’il s’agit d’une impro­vi­sa­tion totale en
inter­ac­ti­vi­té ?

Cela a cepen­dant fonc­tion­né, avec une riche créa­ti­vi­té ; et je tire mon cha­peau aux pro­ta­go­nistes. De mon côté , je ne me suis pas sen­ti suf­fi­sam­ment à l’aise pour « entrer dans la danse », étant don­né une impres­sion de flou, d’une pro­blé­ma­tique insuf­fi­sam­ment posée.

Cette impres­sion de flou, je la res­sens aus­si. Il se peut qu’elle
vienne du fait que tu sou­lignes plus loin, que l’on veuille de suite
poser la pro­blé­ma­tique, avant d’avoir explo­ré les enjeux.

Il m’a sem­blé que si je fran­chis­sais le pas, j’aurais sim­ple­ment assou­vi mon besoin d’expression cor­po­relle, sans objec­tif plus pré­cis ; et, même si toute impro­vi­sa­tion me régale, j’attends mal­gré tout autre chose de la danse-forum.

Oui, tout à fait. De plus, je pense que l’expression cor­po­relle est
une chose, et l’improvisation une autre. Une impro­vi­sa­tion peut tout
à fait deve­nir une expres­sion cor­po­relle et vice ver­sa, et le tout
par­fai­te­ment ennuyeux car on pro­cède par copié col­lé. Pour se
rap­pro­cher de la créa­ti­vi­té, c’est un autre chal­lenge ! Pas éton­nant
que nous tâton­nions.

Il m’a sem­blé aus­si, de même que dans plu­sieurs des séances pré­cé­dentes, que le modèle de base n’étant pas vrai­ment abou­ti, il y avait un mélange constant entre la construc­tion du modèle et sa trans­for­ma­tion par l’interactivité, phases qui sont bien sépa­rées dans le théâtre-forum clas­sique (d’où aus­si mon impres­sion de flou !).

Cela pour­rait-il être inhé­rent à l’improvisation ?

Tout cela pour conduire à la sug­ges­tion sui­vante : ne serait-il pas oppor­tun de prendre plus de temps, éven­tuel­le­ment plu­sieurs séances pour explo­rer un thème (ma pro­po­si­tion de same­di allait dans ce sens), notam­ment à tra­vers la phase d’échauffement, et construire une pro­blé­ma­tique un peu plus éla­bo­rée, un modèle plus struc­tu­ré, de façon à faci­li­ter et enri­chir les inter­ven­tions ensuite dans la phase inter­ac­tive.

Nous avons pris plus de temps cette fois. Mon sen­ti­ment est que nous
n’en sommes qu’au début, que pour éla­bo­rer une pro­blé­ma­tique, il faut
déve­lop­per des stra­té­gies que nous n’avons pas encore en danse forum.

La dif­fi­cul­té réside dans le fait de dis­so­cier le pro­blème de ses
solu­tions. Les corps vont encore plus vite que le lan­gage pour
signi­fier, et il est dif­fi­cile de dis­so­cier l’action de la réac­tion.

Je vois un autre inté­rêt à cette option : le manque de temps pousse à la direc­ti­vi­té (dans le sché­ma pro­po­sé pré­cé­dem­ment, c’est un cho­ré­graphe qui met en scène le modèle de base), alors qu’avec du temps, le groupe peut construire ce modèle de façon coopé­ra­tive, ce qui cor­res­pond davan­tage à l’esprit « d’autogestion » que j’ai per­çu dans la danse forum, comme dans le théâtre-forum.

Oui, c’est à explo­rer encore et encore.

Cette pos­si­bi­li­té d’immédiateté a aus­si son charme, de par sa
ful­gu­rance. Elle reste à rete­nir je pense, pour la danse forum
impro­vi­sée sur le champ et en une séance. Elle a don­né de beaux
mor­ceaux de bra­voure quelques fois.

Dans mon sou­ve­nir, le thème de « la pres­sion » en fait par­tie. Un
dan­seur a pro­po­sé à un autre dan­seur de venir sur scène. L’un s’est
appuyé sur l’autre, et nous avons vu défi­ler toute une his­toire qui se dérou­lait
sous nos yeux, alors que rien n’était pré­vu en amont. Cette his­toire posait le
pro­blème de la pres­sion qui s’exerce au sein d’un couple, quand l’un s’appuie sur
l’autre au point extrême. Celui qui s’est retrou­vé à terre est celui
qui appuyait (alors qu’on s’attendait à ce que ce soit l’inverse), et
il ne s’est pas rele­vé comme on aurait pu l’imaginer, il est res­té à
terre, à cher­cher une main sal­va­trice, qui ne s’est pas don­née (ce
qui aurait inci­té le « pesant » à recom­men­cer). Ceci l’a inci­té à se
rele­ver seul. D’autres essais ont sui­vi, avec une richesse très
grande.

Dans cet exemple, deux choses ont fonc­tion­né :

- la pro­blé­ma­tique a été clai­re­ment posée, de façon simple et
immé­diate : un dan­seur (le plus grand et le plus lourd) s’est appuyé
sur l’autre, à un point qui devienne assez into­lé­rable pour inci­ter
chez l’autre et chez le public plus qu’une réac­tion : une action. La
situa­tion est into­lé­rable, je dois prendre les choses en main.

Je pense que nous avons là une clé : il faut que le dés­équi­libre
devienne assez incon­for­table pour faire sou­hai­ter une réso­lu­tion, un
chan­ge­ment et pas seule­ment une adap­ta­tion et des com­pro­mis. Là se
trouve l’espace pour les essais, les sug­ges­tions.

- Le fait que le pro­blème soit posé sim­ple­ment amène des réponses
pos­si­ble­ment com­plexes. Quand le pro­blème est posé de façon
com­plexe, les réponses deviennent éva­sives : on ne peut répondre sur
tous les plans à la fois et l’action se dilue. On tombe dans
l’improvisation qui se suf­fit à elle-même et n’appelle pas d’actions,
sim­ple­ment des réac­tions, adap­ta­tions et amé­lio­ra­tion qui nour­rissent
l’impro : c’est le beuf d’improvisation. Le but en est
l’improvisation elle-même.

Pour qu’il y ait forum, l’impro n’est pas un but en soi, c’est un
outil, un moyen, pour la danse forum.

Les moda­li­tés de co-construc­tion de ce modèle de base res­tent cepen­dant à éla­bo­rer…

Oui ! Même si les moda­li­tés peuvent être simples et mini­males.

Concer­nant les objec­tifs d’une danse-forum ://

Ma dif­fi­cul­té à inter­ve­nir dans la danse-forum a aus­si été liée à la défi­ni­tion encore impré­cise des objec­tifs de la danse-forum. Dans le théâtre-forum, des situa­tions de la vie quo­ti­dienne sont mises en scène de façon la plus réa­liste pos­sible, de façon à se pré­pa­rer de manière vivante et concrète, à affron­ter des situa­tions équi­va­lentes dans la vie ulté­rieure. Les textes ne sont pas appris et cha­cun parle avec ses propres mots. Cet élé­ment contri­bue à ce que le théâtre-forum s’approche au plus près du quo­ti­dien de cha­cun.

La danse offre la pos­si­bi­li­té du quo­ti­dien réa­liste ou non réa­liste (dans le sens abs­trait).

Cepen­dant, dans un théâtre-forum, même si on pré­sente un pro­blème concret de la vie quo­ti­dienne, le but n’est pas de trou­ver pen­dant le jeu la solu­tion que l’on va appli­quer ensuite dans la vie de tous les jours.

C’est un point impor­tant, que nous par­ta­geons en danse forum.

Le pro­blème per­met d’illustrer et d’explorer une pro­blé­ma­tique et de s’entraîner pour déve­lop­per les capa­ci­tés (écoute, créa­ti­vi­té, adap­ta­tion) qui per­met­tront de trou­ver d’autres solu­tions, cor­res­pon­dant à d’autres situa­tions (liées à la même pro­blé­ma­tique). Cela néces­site donc aus­si une dis­tan­cia­tion. Le théâtre-forum consiste donc en un jeu sub­til entre impli­ca­tion et dis­tan­cia­tion, entre réa­lisme et abs­trac­tion.

Oui. Je pense que Pau­lo Freire, qui a influen­cé Augus­to Boal avec la
« pro­blé­ma­ti­sa­tion », méri­te­rait d’être lu et relu : « Peda­go­gy of the
oppres­sed, Peda­go­gy of indi­gna­tion », et sur­tout « Edu­ca­tion for
cri­ti­cal conscious­ness ».

Du côté de la danse-forum, la dis­tan­cia­tion liée au carac­tère sym­bo­lique de l’expression dan­sée, fait que l’ on montre plus une pro­blé­ma­tique qu’un pro­blème concret.

La place du sym­bo­lique en théâtre est me semble-t-il aus­si impor­tante en théâtre qu’en danse. Mais la danse a un aspect abs­trait qui rend à la fois la pro­blé­ma­tique et le pro­blème concret dif­fi­cile à cer­ner.

Les mou­ve­ments de la danse sont par­fois assez éloi­gnés des gestes du quo­ti­dien (même si la danse peut aus­si les uti­li­ser, et même si j’aimerais bien de temps en temps vivre le quo­ti­dien en dan­sant !).

La danse, au sens géné­ral, peut tout faire. Elle peut intro­duire les
gestes du quo­ti­dien, et cela donne Noces de Pré­j­lo­caj par exemple.
La théâ­tra­li­sa­tion dan­sée du geste quo­ti­dien, Pina Bausch a prou­vé
que cela est pos­sible, sans que la danse n’y perde une seule plume,
au contraire.

On est donc ici davan­tage du côté de l’abstraction.

Dans la théo­rie antique de la danse en Inde, le Natya­shas­tra, il y a
une dis­tinc­tion de faite entre la danse abs­traite (nrit­ta), qui
uti­lise la géo­mé­trie du temps et de l’espace, et la danse nar­ra­tive
(nri­tya), qui raconte une his­toire.

Bien sûr, ce qui est abs­trait peut signi­fier quelque chose, mais de
façon non nar­ra­tive, plus glo­bale et immé­diate, frac­tu­rée, à tra­vers
les signes, les sym­boles et les jeux de cor­res­pon­dance. De l’autre
côté, ce qui est nar­ra­tif peut uti­li­ser la géo­mé­trie du temps et de
l’espace, mais au ser­vice de la nar­ra­tion, struc­tu­rée avec un début,
un déve­lop­pe­ment et une fin.

C’est vrai que le théâtre est plus nar­ra­tif que la danse, de par
l’utilisation du lan­gage. Mais la mise en scène s’appuie sur la
géo­mé­trie du temps et de l’espace. Sans cette abs­trac­tion et les
sym­boles qui sous-tendent la scène, la nar­ra­tion serait réduite à une
lec­ture de texte, qui est en amont de la pièce de théâtre.

Même quand la danse est plus abs­traite que nar­ra­tive, elle met en
mou­ve­ment (donc émeut) le spec­ta­teur par le simple fait qu’il regarde
le mou­ve­ment avec ses cel­lules miroirs (décou­vertes en neu­ro­lo­gie),
et cela est tout à fait concret… Pour le spec­ta­teur, si l’œuvre lui
plaît intui­ti­ve­ment, cela fait sens, même si cela n’a pas de sens
pré­cis. Quand ça ne fait pas sens, et que le cho­ré­graphe lui-même ne
le sou­haite pas, suite à la fami­lia­ri­té avec l’œuvre, les choses
s’ordonnent mal­gré soi, et on y trouve sens. Le même phé­no­mène se
pro­duit avec la poé­sie, et toute œuvre vrai­ment nova­trice.

Tout cela pour dire qu’en danse forum, nous pou­vons allez de
l’abstrait au concret et vice ver­sa.

C’est pour­quoi la trans­po­si­tion des acquis de la scène vers le quo­ti­dien me semble plus dif­fi­cile que dans le théâtre-forum, sur­tout si l’objectif est là aus­si de s’entraîner par le jeu dan­sé, à mieux vivre ensuite son quo­ti­dien.

Ce que tu sou­lignes concerne le but de la danse forum. La plu­part
d’entre nous ont témoi­gné com­bien ces ate­liers nous tra­vaillaient au
quo­ti­dien, chan­geant ceci ou cela de nos per­cep­tions et de nos
com­por­te­ments-inter­ac­tions. Il fau­drait que cha­cun fasse l’effort de
dire quel moment dans tel ou tel ate­lier a joué dans ce chan­ge­ment.
C’est sou­vent assez dif­fi­cile à retra­cer, un ensemble de choses
agissent de concert, et assez rare­ment dans ce qui est expli­cite.

Pour en venir donc à cette ques­tion de l’objectif, si dans le théâtre-forum, le but opé­ra­tion­nel est de cher­cher résoudre un pro­blème, de façon à atteindre un objec­tif plus géné­ral de déve­lop­pe­ment d’une com­pé­tence, dans la danse-forum, n’avons nous pas besoin d’un but opé­ra­tion­nel, pour pou­voir atteindre aus­si un objec­tif d’apprentissage ?

Je vois une com­mu­nau­té de but et d’objectif entre la danse forum et
le théâtre forum, avec, pour la danse forum sur­tout, une
pro­blé­ma­tique qui ne touche pas que le social mais aus­si
l’artistique. Le social comme l’artistique ont besoin de créa­ti­vi­té,
mais avec des spé­ci­fi­ci­tés sociales ou artis­tiques. Ce que je veux
dire, c’est que l’artistique existe au sein du social et le social au
sein de l’artistique. Cela dépend juste de où l’on met l’accent, et
du point de vue.

Par exemple, l’utilisation de l’espace, du temps et de l’énergie,
pro­blème récur­rent et mul­tiple pour la créa­tion artis­tique, est aus­si
un pro­blème social. On peut l’aborder par un angle ou par l’autre en
danse forum.

N’avons-nous pas besoin d’un cadre plus pré­cis, plus for­ma­li­sé, plus opé­ra­tion­nel donc, pour tirer par­ti de l’abstraction et de la sym­bo­li­sa­tion ? Dans les pré­cé­dentes danse-forum, j’ai par­fois eu du mal à y voir un pro­blème ou une ques­tion pré­cise. Et c’est lorsque l’on est par­ti d’une situa­tion concrète et contex­tua­li­sée (cf séance basée sur la visite d’une expo­si­tion de tableaux), que j’ai été le plus à l’aise avec la danse-forum. (NB. Par ailleurs, dans mon expé­rience du théâtre-forum, j’ai pu remar­quer aus­si que construire une scène à par­tir d’un fait vécu pré­cis était beau­coup plus facile qu’à par­tir d’un thème où d’une pro­blé­ma­tique géné­rale, et que le théâtre-forum était d’autant plus riche ensuite.)

Par­tir d’un évé­ne­ment concret et vécu
de la vie sociale donne en effet un espace au forum. J’imagine qu’un évé­ne­ment
concret et vécu de la vie dans ce qu’elle a d’artistique ouvre aus­si
un espace. Sim­ple­ment, on est moins habi­tué à y por­ter atten­tion,
consi­dé­rant que l’art appar­tient (je sché­ma­tise) à une com­mu­nau­té de
doux rêveurs en marge de la socié­té, pas du tout concer­nés par le
concret.

Pour­tant l’esthétique et la créa­ti­vi­té sont impor­tantes pour la
qua­li­té de la vie, et indis­pen­sables, même au pain qui nous nour­rit.

Tout cela pour conduire à la sug­ges­tion sui­vante, liée à la pre­mière : ne serait-il donc pas oppor­tun de fixer davan­tage le modèle de base ? en pre­nant le temps d’explorer le thème, de pré­ci­ser la pro­blé­ma­tique, et éven­tuel­le­ment en s’appuyant sur une situa­tion réelle (contex­tua­li­sée, et non pas seule­ment géné­rale comme ce fût le cas dans la der­nière séance) vécue par un ou plu­sieurs des par­ti­ci­pants, de façon à construire une trame qui res­te­rait souple, mais avec un cer­tain nombre de repères qui seraient for­ma­li­sés ? (NB : Un tel tra­vail de construc­tion est dif­fi­cile à faire à plus de 5 ou 6 per­sonnes, c’est pour­quoi un tra­vail en sous-groupes peut être à pré­voir.) Les prin­ci­pales étapes d’une danse forum pour­rait donc être les sui­vantes ://

1 – échauf­fe­ment indi­vi­duel à par­tir des sen­sa­tions de cha­cun

2 – choix d’un thème à explo­rer

3 – échauf­fe­ment sur le thème choi­si et explo­ra­tion d’une pro­blé­ma­tique cor­res­pon­dant à ce thème pour construire une culture com­mune sur le sujet (cette phase pour­rait éven­tuel­le­ment être reprise sur plu­sieurs séances)

4 – choix d’une situa­tion vécue qui a émer­gé chez un des par­ti­ci­pants suite à la phase d’exploration

5 – mise en danse de cette situa­tion, en for­ma­li­sant quelques repères

6 – phase inter­ac­tive interne pour trans­for­mer la situa­tion (dans un but à pré­ci­ser)

7 – éven­tuel­le­ment phase inter­ac­tive avec public externe ulté­rieu­re­ment.

Nous avons same­di der­nier essayé d’appliquer les points 1, 2, 3,
autour du thème que nous avons gar­dé de l’atelier pré­cé­dent : le
dés­équi­libre. Les points 4, 5, 6 et 7 seront pour l’atelier pro­chain.

Mais bien enten­du, tout dépend des objec­tifs visés par la danse-forum. Sans doute voyez-vous d’autres objec­tifs que ceux que j’ai cités.

La palette est large, mais nous ver­rons ce qui se concré­tise. Démo­cra­ti­ser la danse, la ques­tion­ner, revoir le rap­port au corps…

Et les objec­tifs de la danse-forum ne peuvent être tout à fait les mêmes que ceux du théâtre-forum : celui-ci vise la trans­for­ma­tion sociale à tra­vers la trans­for­ma­tion indi­vi­duelle et la coopé­ra­tion, mais n’a pas vrai­ment d’objectif artis­tique. La part artis­tique y consti­tue davan­tage un moyen qu’un objec­tif. Je ne crois pas qu’il en soit de même pour la danse forum.

C’est un point fon­da­men­tal en danse forum, de ne pas uti­li­ser l’art seule­ment comme outil ou pour un décor, mais de le pla­cer au sein même de la pra­tique, lui don­nant du même coup une pos­si­bi­li­té créa­tive intrin­sèque.

Par ailleurs, ce type de pra­tique peut avoir aus­si pour but le par­tage, la détente et la joie. Tous ces objec­tifs, qui sont à mon sens com­plé­men­taires, peuvent aus­si pré­sen­ter des contra­dic­tions. Ain­si les démarches d’apprentissages, de déve­lop­pe­ment ou de recherche néces­sitent géné­ra­le­ment une conscien­ti­sa­tion de l’action, et donc une for­ma­li­sa­tion, et une réflexion col­lec­tive qui peuvent avoir un coté rébar­ba­tif pour cer­tains. Selon les per­sonnes, le dosage entre ces dif­fé­rents objec­tifs varient. Com­ment trou­ver un consen­sus à ce sujet dans le groupe ? Sans doute aurions-nous inté­rêt à prendre un temps en début d’année pour que cha­cun exprime ce qu’il attend glo­ba­le­ment de l’atelier, et quels objec­tifs il voit dans la danse forum ?

Oui, cela me semble essen­tiel. Je pro­pose que la réunion qui va nous
ras­sem­bler tous les deux mois pour vision­ner le mon­tage vidéo (que
j’aurai fait à par­tir des rushes) et pour faire le point, soit aus­si
l’occasion d’exprimer nos attentes et nos exi­gences inté­rieures, qui
importent par des­sus tout. Il fal­lait que les nou­veaux aient un
aper­çu et vécu de la danse forum avant de pou­voir expri­mer leurs
besoins.

Je serais très heu­reux de lire vos réac­tions à ces quelques réflexions…

A bien­tôt,

Guillaume Tixier

J’espère aus­si que beau­coup d’autres que Nadine et moi réagi­ront au
mes­sage de Guillaume, qui a le mérite de poser, avec beau­coup de
clar­té, des bases d’observation et de pro­po­si­tions.

Ami­tié à tous,

Andréine

Article créé le 16/02/2020

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