Cheminement

Les sensations en danse forum


Danse forum
Che­mi­ne­ment de la danse forum

!!De la dif­fi­cul­té de nom­mer et se relier aux sen­sa­tions – 1/2/11

Nom­mer les sen­sa­tions et s’y relier pen­dant l’échauffement (éveil des muscles et éveil des sen­sa­tions) a fait naître de nom­breuses dif­fi­cul­tés et ques­tions depuis que la danse forum s’élabore. Je les reprends ici et les syn­thé­tise, en don­nant mon point de vue.

1 – par­mi toutes les sen­sa­tions que l’on per­çoit au départ, com­ment nom­mer celle qui est la plus pré­gnante, qui parle le plus ?

Lorsqu’une sen­sa­tion ne se sin­gu­la­rise pas par­mi toutes celles que je per­çois, soit je me donne un peu de temps pour que le men­tal se calme, soit mon besoin est celui de l’éveil des muscles et pas celui de l’éveil des sen­sa­tions, ou vice-ver­sa. Je pense que la pos­si­bi­li­té de choi­sir indi­vi­duel­le­ment ce qui convient le mieux pour soi pen­dant les dif­fé­rentes phases d’échauffement, est pré­cieuse.

2 – com­ment dis­cer­ner sen­sa­tion et ima­gi­na­tion ?

La peau, les os, les organes deviennent sen­sibles s’il y a un tra­vail spé­ci­fique en train de se faire en eux, ou s’ils sont en souf­france. Sinon, objec­ti­ve­ment, en posi­tion immo­bile et dans un envi­ron­ne­ment qui ne les sol­li­cite pas, ils ne sont pas sen­sibles, et c’est la repré­sen­ta­tion men­tale cultu­relle que l’on en a qui est prise pour une sen­sa­tion.

Si je dis : « j’ai la sen­sa­tion de ma peau », je ne peux pas faire la part des choses entre ma sen­sa­tion et ma repré­sen­ta­tion de la peau, ni voir si la sen­sa­tion vient de l’intérieur ou de l’extérieur. Aus­si, je m’efforce de pré­ci­ser de quelle sen­sa­tion de la peau je parle : cha­leur interne (fièvre par exemple) ou rayon du soleil sur ma peau, froid humide interne… Plus je spé­ci­fie la sen­sa­tion, plus la sen­sa­tion que j’en ai se cla­ri­fie, mieux je peux m’y relier.

3 – com­ment obser­ver sans modi­fier ?

La plu­part du temps l’observation entraîne un juge­ment, une éva­lua­tion, un diag­nos­tic de l’état dans lequel je me trouve, et de façon qua­si auto­ma­tique, je vais modi­fier ce que je per­çois pour le faire aller vers ce que je pense être le mieux pour moi : me détendre si je suis ten­due, me res­sai­sir si je me sens molle etc. C’est ce que j’appelle « avoir de bonnes inten­tions envers soi ».

Je pense que c’est dans la mesure où j’observe ma sen­sa­tion, et non ce qu’elle signi­fie pour moi, que je peux l’observer sans la modi­fier, mais au contraire en la lais­sant se modi­fier d’elle-même, quand et com­ment le corps veut. Je me mets à dis­po­si­tion du corps et de la sen­sa­tion qu’il exprime. Cela demande de dis­cer­ner les sen­sa­tions des émo­tions.

4 – com­ment dis­cer­ner sen­sa­tions et émo­tions ?

On pour­rait dire que ce sont les deux aspects d’un même état : si je prends l’exemple de la ten­sion, elle peut être phy­sique ou émo­tion­nelle, ou les deux ensemble, selon l’endroit d’où je la regarde.

En me reliant aux sen­sa­tions phy­siques comme nous le fai­sons dans l’éveil des muscles et l’éveil des sen­sa­tions, ma ten­sion est appré­hen­dée par mon corps, de façon sub­jec­tive et immé­diate. Ceci me relie à mon corps, l’attention est cen­trée dans la matière vivante, dans le pré­sent, même si la sen­sa­tion peut être flot­tante, poly­morphe, étrange voire dou­lou­reuse.

Une ten­sion émo­tion­nelle, elle, peut m’amener à ima­gi­ner le contexte, l’impact, tout l’environnement, le pas­sé et le futur, avec des fluc­tua­tions qui peuvent être variées et rapides. L’attention est dis­tri­buée en autant de sujets qui l’attirent et « l’accrochent ».

C’est cela qui est dif­fi­cile, arri­ver à per­ce­voir clai­re­ment les sen­sa­tions et les émo­tions, qui peuvent être obs­cures, com­plexes, étranges. J’ai même l’impression que plus on les per­çoit clai­re­ment, en les situant, les dif­fé­ren­ciant etc., plus on peut leur rendre leur diver­si­té et com­plexi­té.

Il existe un cer­tain va et vient entre sen­sa­tion et émo­tion, l’une pou­vant faire jaillir l’autre à tout moment. Dans l’éveil des muscles et des sen­sa­tions, c’est l’accueil incon­di­tion­nel des sen­sa­tions et des émo­tions qui les apaise et per­met aux sen­sa­tions de recen­trer le corps et l’échauffer.

5 – com­ment dis­cer­ner l’envie du besoin ?

La sen­sa­tion, par exemple ma ten­sion, indique le besoin de mon corps de se tendre. Je recon­nais le besoin au fait que lorsqu’il est satis­fait, mon corps évo­lue, s’équilibre, s’apaise sur le court et long terme. Alors que si je réponds à mon envie de détente, je vais y arri­ver dans une cer­taine mesure, mais super­fi­ciel­le­ment, car le besoin de ten­sion est encore là, mal­gré moi. Le désir légi­time de détente est mieux atteint lorsqu’on comble le besoin de ten­sion.

6 – qu’elle place don­ner à la dou­leur ?

J’ai sou­vent enten­du dire pen­dant les retours oraux de cet ate­lier : « Je n’ai pas vou­lu entrer dans la dou­leur (déjà pré­sente avant le début de l’atelier), j’en ai fait abs­trac­tion ». Ou bien : « Je suis entrée dans mon mal au dos et j’ai vou­lu aller avec et ça ne m’a pas conve­nu, je m’y suis perdu(e), c’était une souf­france. »

Pour ma part, si la dou­leur domine mes autres sen­sa­tions glo­bales du corps, je ne m’occupe pas de la dou­leur en tant que telle, car imman­qua­ble­ment, je veux alors essayer de la faire pas­ser en bou­geant. Par contre, je nomme les sen­sa­tions de cette dou­leur : pico­te­ments, pin­ce­ments, crampes… et je« pars » de la sen­sa­tion nom­mée. Je découvre ain­si le che­min que le corps a choi­si, non seule­ment par rap­port à cet endroit dou­lou­reux, mais par rap­port à mon corps tout entier.

Si j’arrive à l’atelier avec une souf­france, je me donne le temps de per­ce­voir où elle se situe dans mon corps et quelles sen­sa­tions phy­siques elle mani­feste. Ceci me per­met de la réduire à sa simple expres­sion de dou­leur, à par­tir de laquelle l’éveil des muscles ou des sen­sa­tions va pou­voir se mani­fes­ter.

7 – com­ment dis­cer­ner la sen­sa­tion d’adéquation du mou­ve­ment ?

Je la dis­cerne en fait par rap­port à la sen­sa­tion d’inadéquation. Un froid interne subit, une légère nau­sée et/ou ver­tige m’indiquent sur le champ que mon mou­ve­ment, ou mon immo­bi­li­té, sont inadé­quats pour moi à cet ins­tant. D’autres dan­seurs témoignent de sen­sa­tions intem­pes­tives de vide, ou encore de souf­france. La sen­sa­tion d’inadéquation est pré­cieuse, elle devient un repère sub­til pour lais­ser l’adéquation se déve­lop­per.

8 – com­ment inté­grer l’environnement dans les sen­sa­tions ?

Il y a un envi­ron­ne­ment « inévi­table » : le sol, les murs ou l’espace ouvert, les autres dan­seurs. Pen­dant l’échauffement, on se met dans la posi­tion de départ la plus neutre qui soit, jus­te­ment pour qu’il y ait le moins d’interférences pos­sibles entre soi et nos sen­sa­tions internes. On adopte une posi­tion de confort, ou alors, on part de la posi­tion où l’on est au moment de la déci­sion de com­men­cer. Cha­cun est dans son espace, sans com­mu­ni­ca­tion par­ti­cu­lière avec les autres dan­seurs. C’est un moment pour « se retrou­ver », en silence.

L’impact de l’environnement sur nous est incon­tour­nable : la tem­pé­ra­ture de la pièce, la consis­tance du sol, les bruits que l’on occa­sionne en bou­geant, en vivant, le mot pro­non­cé à haute voix (pour nom­mer la sen­sa­tion), le thème réflexif (même s’il est lais­sé en arrière plan), tout cela nous « influence ».

Inté­grer ces sen­sa­tions ou sol­li­ci­ta­tions externes pour qu’elles ne tirent pas à elles l’attention n’est pas tou­jours évident. Cela invite à tour­ner son regard en soi, mais aus­si en rap­port avec ce qui l’entoure. Pour­rait-on dire que c’est un pre­mier pas vers la danse ?

Par rap­port à la musique, je suis inca­pable moi-même de ne pas entrer en dia­logue avec la musique si je suis en action, volon­tai­re­ment ou invo­lon­tai­re­ment. Et l’échauffement me met en action.

Pour toutes ces rai­sons, lorsque je mène une danse forum, je pro­pose l’échauffement sans mettre de musique – et la musique des corps est si belle !

Je pense que c’est dans la mesure où l’on a cette exi­gence de nom­mer les sen­sa­tions et de les lais­ser œuvrer sans inter­fé­rence, que le thème sen­si­tif, lors des retours ver­baux, a le plus de chance « d’éclore » comme fleur au soleil.

Avec la fric­tion des deux thèmes, réflexif et sen­si­tif, l’imagination, les repré­sen­ta­tions, les émo­tions peuvent alors faire œuvre créa­trice, elles ont un lien sous-jacent qui nous relie à nous-mêmes, sorte de phare ou de bouée en pleine mer, ou en pleine tem­pête !

Andréine Bel

PS : Lettres d’Epicure

par Sophie Van Der Mee­ren, p. 50, Ed. La phi­lo­tèque, 2003

Que la sen­sa­tion soit la base de la connais­sance, sup­pose, en outre, qu’elle soit tou­jours vraie en elle-même. Pour Epi­cure, les sens ne nous trompent pas ; ils nous livrent tou­jours l’objet tel qu’il est, la source de l’erreur étant le juge­ment que nous por­tons sur la sen­sa­tion. En effet, une sen­sa­tion n’existe pas seule, mais dans sa réin­ter­pré­ta­tion par la rai­son, qui sta­tue sur elle : si je me trompe, c’est parce que mon juge­ment a com­mis une erreur d’appréciation. Le par­tage ne se fait donc pas entre sen­sa­tion et véri­té, mais entre deux types de juge­ments sur la sen­sa­tion.

D’un point de vue épis­té­mo­lo­gique, Epi­cure voit juste lorsqu’il pré­tend que la connais­sance est un pro­ces­sus d’élaboration qui part du sen­sible jusqu’à la rai­son, sui­vant diverses étapes inter­ac­tives. Au delà de cette repré­sen­ta­tion, somme toute exacte, de ce qu’est la connais­sance, sa doc­trine a le mérite sup­plé­men­taire de redon­ner à l’homme le monde concret qui l’entoure., de ne plus l’abstraire des réa­li­tés au milieu des­quelles il vit. C’est bien là l’idéal que l’on trouve à la fin de la lettre à Méné­cée : « vivre tel un dieu par­mi les hommes ».

Article créé le 16/02/2020 – modi­fié le 10/06/2020

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