Ateliers Lambesc

Pli, ego, agora (suite)


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!!Le pli, l’ego et l’agora, suite – 14/3/09

Les plis, voi­là un concept autour duquel on peut pas­ser sa vie, voir Gilles Deleuze, et avant lui les phi­lo­sophes baroques. (Deleuze et Leib­niz : dans les plis de la pen­sée baroque)

Et bien, c’est ce thème qui nous est venu, comme par enchan­te­ment.

C’est avec ce regard cri­tique que nous avons com­men­cé, l’une d’entre nous disant com­bien le mot pro­blé­ma­ti­sa­tion lui posait pro­blème.

Déve­lop­per l’esprit cri­tique, apprendre à ne plus en avoir peur, c’est remettre l’esprit en viva­ci­té. L’esprit cri­tique ne cri­tique pas pour mettre en défaut, pour condam­ner. Sinon, il s’agirait seule­ment de por­ter un juge­ment, ce qui n’est pas de mise en danse forum, ni dans toute assem­blée ago­ra qui « réflé­chit » ensemble. Réflé­chir, réflexion, miroirs mul­tiples. L’esprit devient cri­tique pour faire valoir d’autres points de vue, pour enri­chir la réflexion, pour offrir de la résis­tance à ce qui est bien rodé et deve­nu facile. Rien n’est plus pré­cieux, même si c’est sou­vent déran­geant aux entour­nures. La pro­blé­ma­ti­sa­tion a besoin de l’esprit cri­tique comme l’éponge de l’eau. Sans lui (elle), elle (il) reste sèche. Et l’éponge est pleine de plis, alvéoles, nous sommes en plein dans le thème, qui a absor­bé tous nos foi­son­ne­ments pour se gon­fler de vie.

La pro­blé­ma­ti­sa­tion du thème des plis et ago­ra a com­men­cé avec l’espace réduit de la scène, que cha­cun s’est sen­ti d’occuper à sa façon. C’était une pre­mière touche, nous avons conti­nué plus avant sans déve­lop­per. Le haï­ku de l’escargot est venu ren­for­cer cette idée de conti­nui­té qu’il faut gar­der patiente. L’installation de la corde élas­tique avec ses deux bouts repo­sant sur des objets ronds sug­gé­rait peut-être le début et la fin de toute chose, de toute durée. Pro­blé­ma­ti­sa­tion en dou­ceur, par sug­ges­tions, ce qui est au cœur de l’art.

Les plis ont com­men­cé à voir le jour dans les corps, pli, dépli, tas de plis, tiraille­ment vers les coins, pro­tec­tion, ouver­ture, expo­si­tion. Ils ont chan­gé de formes, de droits les plis sont deve­nus courbes, et nous aurions pu entrer dans l’univers de Escher, avec ses des­sins sans début ni fin, une dimen­sion pre­nant le relais de l’autre, nous avons lou­pé le coche. Tou­jours avoir une loupe sur soi.

Le pli nous fait aller vers l’autre d’une façon par­ti­cu­lière : en se dépliant, le pli, et soi, gardent leur inté­rio­ri­té. La ques­tion s’est posée si ce sont les ins­tal­la­tions, poèmes, des­sins qui influent sur la danse ou l’inverse. Même effet que de se deman­der si de l’œuf ou de la poule… Le fil du pli, lui était bien réel, mais tou­jours à plus de dimen­sions que l’esprit ne peut en conce­voir faci­le­ment (voir Escher, de nou­veau, ou Minh).

Tout en nous plon­geant dans nos plis, nous gar­dions un œil sur la forme du forum, et par touches : cette bande large de moins d’un mètre, qui entoure la scène comme la mem­brane entoure la cel­lule, se met à prendre vie avec les objets fabri­qués des­sus. Pou­vons-nous les faire inter­agir entre eux ? Toute inter­ac­tion va les modi­fier, modi­fier leurs plis, les signes qu’ils émettent, leur sens.

Il fal­lait bien essayer d’en sor­tir, des plis, pour mieux les cer­ner. C’est ce qu’a fait le des­sin des points de cou­leur lan­cés, plu­tôt que des­si­nés, avec déter­mi­na­tion contre une feuille blanche. Écla­te­ment de la forme et des plis, ou myriade de plis qui se camouflent der­rière une appa­rente inco­hé­rence ?

« Les gens se sont mis debout, à la suite des points de cou­leur » a dit une spec­ta­dan­seuse. Le point, c’est la façon de le tra­cer qui importe, plus que le des­sin qu’on en fait, a‑t-il été sou­li­gné. Com­men­taire du moment : la pro­blé­ma­ti­sa­tion s’appuie sur des choses intui­tives, pas de cris­tal­li­sa­tion, ça vient comme ça.

Il y a eu alors ce dia­logue de sourd où le joker répon­dait à côté de la plaque, en fait juste à côté. Il a été dit : est-il néces­saire d’articuler en mots la pro­blé­ma­ti­sa­tion intui­tive au risque d’y perdre de sa sub­stance ? J’ai répon­du que le trait iso­lé n’enlève rien à la com­plexi­té de la pro­blé­ma­ti­sa­tion. Comme tou­jours, je saute les étapes. Le trait, c’est pour moi comme le mot, ce qui laisse trace, il révèle la sub­stance, plus qu’il ne la réduit.

De nou­veau, atten­tion por­tée à la forme du forum : le silence qui signale un téles­co­page de pen­sées, puis l’immobilité, un téles­co­page des corps. Le joker a alors recom­man­dé de res­ter tou­jours en éveil par ces mots obs­curs : « res­ter dans le truc ». Res­ter en « sus­pen­sion » a été pro­po­sé, qui m’a sem­blé être « to the point ». Le point des mathé­ma­ti­ciens, ce truc qui les rend dingues.

Coquillages marins, écharpe à proxi­mi­té du galet au bout du fil, et ces petits mor­ceaux de papiers qui volaient dans l’air avant de se poser au sol, bien for­cés, les plis n’allaient pas nous enfer­mer dans leurs replis si faci­le­ment.

Eh bien si. J’ai été lit­té­ra­le­ment absor­bée, et peut-être d’autres avec moi, par ce pli. Il s’annonçait par des cercles concen­triques for­mant un rond humide de gouache beige au milieu d’une feuille blanche. Ce cœur a été aspi­ré dans la feuille d’une main qui s’est pliée, pour deve­nir une fleur au cœur humide que nous ne voyons plus. Ne pas dire la déli­ca­tesse.

Mais si, il a fal­lu la dire après la danse sui­vante. La déli­ca­tesse de dire ce qui a gêné un mou­ve­ment invo­lon­taire du corps : une volon­té ? Une inten­tion ? Non. Un pla­ce­ment du corps, vécu comme une sculp­ture par la sculp­trice, comme une mani­pu­la­tion (au sens pre­mier) par la sculp­tée. Le déca­lage entre l’envoi et le reçu, entre le dire et l’entendu, entre soi et l’autre, est au cœur du pli dans l’agora.

Les grands mots ont été pro­non­cés : liber­té inté­rieure, vol, empiè­te­ment. Une fois que c’est fait, que faire à par­tir de ça, com­ment en faire de la connais­sance ? Les mul­tiples facettes d’une action, ses réper­cus­sions, comme autant de plis, sont des richesses de l’agir. Le pli ultime étant la car­pette, sous laquelle on peut tou­jours glis­ser les pro­blèmes inso­lubles à un moment don­né, en atten­dant d’y voir plus clair.

Mais quand c’est fait, qu’on ne peut reve­nir en arrière, il a été dit qu’on gagne (par­fois) à plon­ger dans ces plis obs­curs, et on découvre le para­dis, puisque les plis sont des portes, des ouver­tures au regard. Mais res­tons vigi­lants, par­fois, c’est vrai­ment la merde, a‑t-il été dit, et on n’en sort pas. Si ! Avec la dévia­tion, la tan­gente… miroir qui ren­voie éven­tuel­le­ment cha­cun à ses actes.

Invo­lon­taire, pas cal­cu­lé, le spon­ta­né demande une ini­tia­tive, sans garan­tie du deve­nir. Cela a été notre défi­ni­tion du spon­ta­né, si je concise le pro­pos.

L’une d’entre nous s’est quand-même trou­vée dou­ce­ment éjec­tée de la scène, de façon inaper­çue, car sous l’angle mort, celui où on ne voit rien venir. Ne serait-ce pas le pli de tous les dan­gers ? Même si inté­res­sée en a fait une « bonne sor­tie ». D’autres sont res­tés pen­dant tout le forum dans « l’antichambre » (l’appellerons-nous ain­si, le lieu de pro­blé­ma­ti­sa­tion autour de la mem­brane qui entoure la scène ?), sans se faire remar­quer, tou­jours dans l’angle mort du joker. Il va fal­loir au joker des rétro­vi­seurs adap­tés : inves­tis­se­ment en vue, comme par exemple un théâtre forum pour jokers et forum­dan­seurs, j’en dirai plus plus tard.

Puis il y a eu cette lumi­neuse affaire de pied en contact avec la tête à la manière d’un ber­ceau, il faut suivre mais ça se tient. Je ne vais quand-même pas faire tout le tra­vail.

Et enfin, une der­nière pour la route, celle où les objets posés sur la fron­tière des espaces (l’appelerons-nous la « mem­brane scé­nique »?), ont été joyeu­se­ment véhi­cu­lés sur scène, détour­nés de leur sens pre­mier pour déplier leurs sens cachés, dans un déchaî­ne­ment de plis et de corps, autant dire de l’esprit, sans fin.

Andréine Bel,

d’après les retours de : Andréine B, Chan­tal T, Elsa B, Emi­lie M, Guillaume T, Ilya G, Jean-Paul T, Johan­na B, Julie A, Muriel B, Muriel M, Nadine G, Nicole H, Sarah B, Syl­via G, Valé­rie N.

Article créé le 16/02/2020

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