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!!Comment s’en sortir sans sortir Flottement – 5/3/17
https://collectifsanstete.wordpress.com/sen-sortir-05 – 03-17/
Présents : Christian, Hervé, Kristell, Lise, Louis, Nico
Rédaction du CR : Hervé
Réflexions et discussion à propos du choix du thème réflexif : comment s’en sortir sans sortir ?
– les propositions de chacun : l’absence, l’épuisement et épuiser, l’enfermement, le piège.
Nous avons eu une discussion passionnante autour de l’épuisement (physique et mental). Epuisement aussi par le biais du politique et du social et toutes les résonances que peut engendrer ce thème. Egalement, l’épuisement peut permettre l’épure afin de laisser sortir quelque chose de plus essentiel, d’où une autre approche du thème avec cette formule : « épuiser pour puiser » l’essentiel. Nous étions aussi très intéressés par les thématiques de l’enfermement et du piège : dans nos corps, dans la salle où nous étions qui était très petite, dans la sphère politique et sociale… D’où la proposition de Louis qui résume bien tous nos questionnements : comment s’en sortir sans sortir ?
Hervé mène l’échauffement
Retours
Hervé : transport du poids, appui fléchi et appui tout court, marche, mouvement dans les profondeurs avant/arrière, mouvements de buste latéraux, tremblements.
Lise : lenteur, immobilisme, respiration, étirements, relâchements, appuis, massage, pression, au sol.
Louis : flottement, entre deux, repli, étirements, vivre le flottement = flottant, appui, rebonds, balancier.
Christian : immobile debout, appui au sol, rotation bassin, très lent.
Kristell : respiration suspendue, petits mouvements de massage de tête.
Nico : appuis, respiration forte.
Aujourd’hui nous avons rencontré des difficultés face au choix du thème sensitif, difficulté pour le préciser.
Choix du thème sensitif : flottement
Temps de danse 1 : Lise tilte
Forum :
Observation du tilteur :
– corps isolés, état interne, recherche intérieure puis une symbiose de recherche s’amorce. Je vois deux corps isolés mais unis dans une même expérimentation.
– hésitation à être ou à faire, accélération jusqu’à la décélération, mouvements qui se répètent . On en arrive à un point figé pourtant mouvant. Je me demande si le flottement ne se trouve pas dans une certaine lenteur qui se répète.
– les mouvements brusques (bruits sur le sol, cris) me font violence, cassent l’arrondi. L’harmonie ne se veut-elle pas constitutive du flottement ?
– à un moment la musique s’emballe, les corps suivent et se brisent (présence de nombreuses cassures dans la gestuelle), se cherchent. Puis la musique s’arrête brusquement, laissant une onde de répercussions importante. Les corps sont comme en suspension sur cette vague invisible. Un état second s’installe, chargé de tout ce qui a été avant. On peut faire presque rien, cela est.
– j’observe le calme après la tempête et me demande ce qui reste, qu’est ce qui s’installe ensuite ? Comment nous pouvons être sans avoir besoin d’y faire appel de façon explicite ?
– les mouvements saccadés ressurgissent, en appui de la musique. Quelque chose de la cassure est présent dans ce temps de danse.
Hervé : J’étais enfermé dans mes mouvements mais en m’en sortant toujours ; c’est finalement un état subjectif, un point de vue très personnel. Qu’est ce qu’il faudrait pour que je puisse ne pas m’en sortir ? Je ne me suis jamais senti dans un piège, jamais complètement enfermé. Et-ce grâce à la danse (au corps)? Il y avait toujours la possibilité de s’en sortir, ce que je ne retrouve pas forcément avec le mental, la pensée (pensées qui se répètent sans cesse).
Nico : Qu’est ce qui permet de conclure qu’on s’en sort ou non ? De dire qu’une situation stagne ou évolue ? C’est une question de perception extérieure ou interne (de la personne elle-même). Est-ce que ça a à voir avec une question d’immobilité ou de sortie de l’immobilité ?
Kristell : J’étais dans un mouvement qui se répétait. Les moments de suspension, stagnation, c’était là justement où j’avais l’impression de m’en sortir. Je m’imaginais dans l’eau (parallèle avec un exercice de danse butô), j’étais dans un état de méditation. Comment s’en sortir sans essayer de sortir ? Pour moi ça a été par le vide, ce qui résonnait avec la phrase qui a été dite « le silence m’échappe ».
Louis : J’ai joué d’un certain nombre d’images : tirer une flèche vers le centre, vers le vide, déplacements comme les pas du cavalier aux échecs. J’ai tenté de déjouer l’enfermement par la combinaison, d’épuiser l’espace par la combinaison. Tirer des flèches, comme tirer des souffles.
Je me suis vu devenir un cavalier fou (Don Quichotte), construire une certaine dramaturgie, ce que je n’avais jamais fait jusqu’à alors. Ça restait des idées, ça ne prenait pas vraiment, je piétinais. Pour en sortir, il a fallu tomber dans une espèce de folie et c’est devenu comme un combat contre la folie, une possession.
J’ai alterné yeux ouverts et yeux fermés. Yeux fermés, c’est plus simple de se délivrer de la représentation.
Christian (musicien percussioniste) : J’ai tenté de jouer le flottement le plus longtemps possible, en même temps je faisais des allers-retours entre flottements et impulsions. J’ai introduit des variations dans le flottement ; matière aquatique.
Parfois je regardais la danse, parfois non et le défi, le jeu, était d’épouser ce qui se passait ou au contraire de ne pas le faire, d’impulser des trucs contrastés pour faire évoluer la danse.
Nico : On se rend compte qu’il n’y pas de bon chemin, de bonnes manières de procéder, de bons choix.
Christian : La meilleure façon de s’en sortir c’est de tracer son propre chemin. N’importe quelle piste fonctionne, l’important c’est de l’habiter, tenir sa piste une fois le choix établi et ce n’est pas nécessairement conscient.
Hervé : Il y a beaucoup de pistes à suivre, ça ne s’arrête pas. On fait forcément des choix de manière inconsciente et ça peut devenir conscient.
Christian : Soit on se laisse influencer, soit on fait le choix conscient de ne pas se laisser influencer.
Temps de danse 2 : Kristell tilte
Choix de l’écriture automatique, 5mn.
Texte d’Hervé :
Sortir de l’habitude. Habiter chaque muscle. Squelette danse. Rythmer jusqu’à l’arythmie. Tordre l’idée pour penser ici. Poursuivre la danse à l’intérieur de la pensée. Immobile dans un sas pour sortir des deux côtés. Whaahhh aah ah ah… chant d’Arianne livrée aux lions par Thésée. Monteverdi descendant autour des nimbes.
Texte de Lise :
Ça m’agite à l’intérieur. Je laisse filer sans filtre la pulsion de vie qui me met en marche, en danse, en transe. Ça dégouline et s’infiltre, le coeur au bord des pieds, de mes mains qui s’agitent, rythmique jouissive qui s’installe. Je laisse aller et ne peux plus m’en passer ; libérer l’intérieur, morceaux de rires coincés – jusqu’à ce que le corps s’épuise. Doucement laisser faire. Rentrer ce rire dedans, doucement tout doucement, laisser faire. Et sentir le dehors en dedans, rythmes qui s’inspirent, pas-pieds qui tambourinent, martèlent la vie au-dehors. Je flotte à l’intérieur. Yeux fermés, j’écoute au-dehors ce monde s’agiter. Respiration soufflée.
Pas d’autres textes d’écriture automatique.
Temps de danse 3 : Nico tilte
Lise : Je tiens à rajouter à ce propos que pour le dernier temps de danse, rétrospectivement, la folie, sorte de black out dont on ne peut rien dire ou difficilement, reste pour moi une bonne piste de dépassement, de sortie sur place (état interne vers un autre soi-même), d’épuisement absolu.
J’ai l’impression que c’est peut-être ce que nous avons un peu vécu.
Bilan
– grâce au mimétisme on peut s’en sortir.
– qu’est ce qu’on fait de la limite ?
– est ce qu’il y a eu progression dans le thème ou pas ?
– comment choisir un thème pour ne pas l’épuiser ?
– le thème ne doit il pas nous toucher profondément pour qu’il nous nourrisse ?
– propositions par rapport au rôle du tilteur :
1 – Reformuler les propos de chacun par une question, serait-ce le travail du tilteur ?
2 – Etant donné que nous n’avons pas tous le même rapport aux mots, ne pourrait-on pas utiliser des images, des musiques, des photos ou un seul mot au lieu de reformuler par une question ?
– ne rien faire permet d’être un point de départ pour créer.
– pourquoi vouloir s’en sortir, on a tout en nous.
– lâcher le vouloir pour trouver. On s’enferme dans le vouloir, et la volonté de trouver nous rend étroit.
Réflexions personnelles d’Hervé, avec citations et photographies, suite à cette séance DF :
Le langage, le verbe, peuvent freiner les ressentis éprouvés par les corps et les artistes tout au long de l’improvisation. Le fait de problématiser par les retours verbaux (forum) sera toujours en-deçà du vécu des danseurs et des artistes.
« Il existe une distance infinie entre ce que l’on désigne et ce que l’on pourrait atteindre : le langage freine la rencontre du signifiant et du signifié, la métaphore apparaît et aussi le symbole, qui suppose cette résistance même du discours, et l’impossibilité de matérialiser ce que les sens éprouvent. » Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, 1973. Photo : Mip Pava, Inside, 2017.
Et aussi cet extrait de Merleau-Ponty, L’oeil et l’esprit :
« Visible et mobile, mon corps est au nombre des choses, il est l’une d’elles, il est pris dans le tissu du monde et sa cohésion est celle d’une chose. Mais, puisqu’il voit et se meut, il tient les choses en cercle autour de soi, elles sont une annexe ou un prolongement de lui-même, elles sont incrustées dans sa chair, elles font partie de sa définition pleine et le monde est fait de l’étoffe même du corps. Ces renversements, ces antinomies, sont diverses manières de dire que la vision est prise ou se fait du milieu des choses, là où un visible se met à voir, devient visible pour soi et par la vision de toutes choses, là où persiste, comme l’eau mère dans le cristal, l’indivision du sentant et du senti. Cette intériorité-là ne précède pas l’arrangement matériel du corps humain, et pas davantage elle n’en résulte. Si nos yeux étaient faits de telle sorte qu’aucune partie de notre corps ne tombât sous notre regard, ou si quelque malin dispositif, nous laissant libre de promener nos mains sur les choses, nous empêchait de toucher notre corps ― ou simplement si, comme certains animaux, nous avions les yeux latéraux, sans recoupement des champs visuels ― ce corps qui ne se réfléchirait pas, ne se sentirait pas, ce corps presque adamantin, qui ne serait pas tout à fait chair, ne serait pas non plus un corps d’homme, et il n’y aurait pas d’humanité. Mais l’humanité n’est pas produite comme un effet par nos articulations, par l’implantation de nos yeux, (et encore moins par l’existence des miroirs qui pourtant rendent seuls visible pour nous notre corps entier). Ces contingences et d’autres semblables, sans lesquelles il n’y aurait pas d’homme, ne font pas, par simple sommation, qu’il y ait un seul homme. L’animation du corps n’est pas l’assemblage l’une contre l’autre de ses parties ― ni d’ailleurs la descente dans l’automate d’un esprit venu d’ailleurs, ce qui supposerait encore que le corps lui-même est sans dedans et sans « soi ». Un corps humain est là quand, entre voyant et visible, entre touchant et touché, entre un œil et l’autre, entre la main et la main se fait une sorte de recroisement, quand s’allume l’étincelle du sentant-sensible, quand prend ce feu qui ne cessera pas de brûler, jusqu’à ce que tel accident du corps défasse ce que nul accident n’aurait suffi à faire… »
Hervé pour le CR.
Article créé le 16/02/2020