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!!Sincérité et juste mesure – 3/6/2012
Nous étions huit en ce début d’été 2012, et pour une fois je rédige cet écrit à partir de l’enregistrement audio. Ne pas prendre de notes sur le moment m’a permis de me consacrer entièrement à mon rôle de meneur/tilteur. Je viens de réécouter cet enregistrement et voici les points importants que j’ai « tirés » : ce qui suit est un mélange de notes et réflexions sur ce qui a été prononcé ce jour-là.
Choisir un thème par rapport aux autres qui émergent, cela revient à trouver le ppcm à tous : il doit être à la fois restreint (le plus petit, « neutre ») et vaste (commun multiple) pour contenir dans ses réserves les autres thèmes évoqués, et que chacun des participants puisse se l’approprier.
Le thème réflexif de la sincérité s’est dessiné difficilement et seulement grâce à d’autres thèmes subsidiaires (être soi, l’authenticité, le conditionnement, notre rapport à la mort) comme si nous pressentions les écueils et la complexité d’un tel thème. Aussi avons-nous mis un point d’interrogation à la suite, nous demandant si ça existait vraiment, la sincérité, et si oui, de quelle façon.
Le thème sensitif qui a émergé de l’échauffement ne fut pas plus facile : la juste mesure. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement : « juste » par rapport à quoi et « mesure » de quel type ?
Quant à la friction des deux thèmes, ce fut comme la relation entre deux frères, amis parfois comme une évidence, et s’ignorant le reste du temps.
Nous avons été amenés à faire la liste des ingrédients nécessaires pour problématiser :
- partir de notre opinion/jugement/appréciation, puisqu’ils sont inévitables et que nous pouvons apprendre d’eux
- réévaluer à chaque instant nos réflexes de pensée, nos conclusions, nos « vérités »
- questionner les questions
- écouter comment une question résonne en soi, en nos vies.
Ce que nous n’avions pas vu venir, c’est le bagage émotif (d’autres diraient « magique »), lié à certains mots. Et le mot sincérité en fait partie, comme d’ailleurs la justesse.
La « statue du commandeur » n’est pas loin, tapie en nous, pour nous demander d’un air sévère : es-tu sincère ? Es-tu juste ?
La juste mesure nous a aidés à problématiser après coup l’éveil des sensations :
- la justesse est-elle dans la spontanéité, demande-t-elle de réévaluer le besoin à chaque instant ?
- comment ne pas rompre le fil de l’attention à la sensation ?
- est-ce que l’éveil est complet à un certain moment, atteint sa juste mesure, ou bien est-ce que j’occulte quelque chose où je ne veux aller ?
La première impro : l’ouverture des lignes
Cette impro fait encore partie de l’échauffement, mais, de la bulle où nous sommes, l’espace et le temps s’ouvrent et se structurent peu à peu, par eux-mêmes dirais-je.
Je me rappelle de la fois qui fut la dernière, où j’ai prononcé ces mots (c’était à Lambesc, il y a six ans) : « Et maintenant, nous allons faire attention à l’espace ». Cette phrase anodine, maint fois entendue et répétée, est comme sortie de sa gaine d’habitude et m’a frappée de son « forçage » : qu’en sais-je, moi, de cette attention à l’espace, l’intérieur comme l’extérieur ? Comme si l’espace pouvait disparaître de la surface de la terre ou des hommes au point de se faire oublier, comme si y faire soudain attention allait de soi ! Ce fut pour moi comme un renoncement à une béquille depuis longtemps inutile, et je peux dire que de cet instant, j’ai vu l’espace pouvoir se structurer ou se déliter, enfler ou se dérober, au rythme de chacun, dans l’intimité des corps. Pas toujours bien sûr, et même plutôt rarement car ce sont des espaces de grâce, qui viennent comme par inadvertance, ou comme fleur sur rocher venté.
Le forum s’est ouvert avec la deuxième impro : jeu entre visible et invisible
La sincérité vécue comme une oppression, avec ses barrières sociales : garder le cri au fond de la gorge pour ne pas gêner les autres danseurs, trouver que l’on s’agite beaucoup par rapport aux voisins etc.
Existe-t-il un espace où le social peut ne pas intervenir, sans être remplacé par un lieu de non droit ?
Ou alors, peut-on écarter le carcan pour ne garder que le social ?
Faire, puis vérifier, puis réévaluer : c’est peut-être cela la juste mesure.
Face au bout de glace du studio qui avait échappé au rideau, le double de soi est apparu, et avec lui l’image que l’on offre aux autres : sincérité raisonnée, calculée, gérée, qui s’ajuste quand et comme elle peut. Sinon, on est mis en marge ?
Mais la marge justement, elle est faite pour être repoussée, elle bouge, comme la sincérité qui ne peut se reposer sur ses lauriers. Elle se construit en permanence, à plusieurs et de façon immanente.
« Plus l’espace intérieur » ajouta l’autre, la voisine.
Le Commandeur n’était jamais loin, mais il est allé se rhabiller plusieurs fois.
La justesse ? Une sensation qui transpire.
La troisième impro : la sincérité et l’espace
La sincérité nous a semblé compatible avec l’imagination et l’anticipation : une façon de lui faire perdre une virginité bien lourde à porter et difficile à garder, encore plus à prouver.
L’espace est alors passé au kaléidoscope qui jouerait aux poupées russes.
L’intérieur, on le sait multiple et changeant comme le temps.
Mais l’extérieur en a pris un coup : celui du spectateur peut être hors scène ou faire sa bulle sur scène.
Sur scène, il peut jouer aux envahisseurs ou faire son contrepoint, opprimer, compresser ou contenir, écraser ou faire fleurir.
Mais hors scène, il regarde « l’autre » hors scène, qui regarde l’autre…, chacun avec ses présences ou absences, démontrées ou cachées.
La scène s’est montrée plus vide habitée de danseurs, la bordure scénique a fait des corps une « installation », le poème s’est imposé de lui-même sans y être invité et pourtant il a trouvé sa juste mesure en se suspendant après : « de deux cents ans mon âme rajeunit ». Ce sont de ces moments où il ne faut pas chercher plus loin.
La quatrième impro : l’harmonie
Se cacher derrière le rideau comme un enfant, comme sous les draps, jouer à se faire peur, innocence, naïveté…
La sincérité avec les autres, c’est faire attention à l’harmonie.
A partir du moment où on est vivant, on est dans la sincérité. Au premier regard face à cette affirmation : c’est faux ; au second : faut voir ; au troisième : peut-être ; au quatrième : pourquoi pas ?
Cabossage ou sculpture ? C’est selon l’angle de vue.
Alors, on a pris la question a bras le corps : est-ce qu’on peut ne pas être sincère ? A l’essai dansé, cela nous est apparu difficile voire impossible : on peut être sincère dans son « insincérité ». La question est restée entière, ne pas sauter sur les « conclusions hâtives » (ce qui dans ce cas serait un pléonasme).
Et puis, cette question sortie du chapeau comme un lièvre bondissant : la confiance en soi, est-elle nécessaire à la sincérité ?
Ce qui nous a amenés tout naturellement à questionner les dites innocence et naïveté, surtout quand il s’agit de : « Je te fais confiance si tu es sincère, puis-je te faire confiance ? »…
Cela a fini par un chant de sons entre bruit et mélodie, sans structuration de langage, de culture ou d’opinion personnelle, puisque le son se propage sans rien demander à personne, et l’attrape qui veut !
Le bilan comme matière à travail
- perdu dans l’espace scénique
- difficulté à déconnecter du mental, en terme de jugement
- difficulté à faire émerger les questions de fond
- difficulté à retrouver une spontanéité avec laquelle on est familier
- se sentir « contenu » et/ou « retenu »
- petite initiation
- jubilation, engagement du corps sur la fin (dit depuis l’espace du regard, en spectateur)
- il est reposant d’être « spectateur éclairant »
- écouter les autres ouvre d’autres horizons
- la participation de chacun (qu’il parle ou pas, fasse ou pas) n’est pas anodine. Elle est source ou résurgence, flux retenu ou libre, mais elle agit et construit la danse forum
- l’outil DF s’élabore au fur et à mesure que l’on s’en sert
- l’articulation de la problématisation (qui constitue le forum) était riche et bien articulée (dit au moment de sortir, entre Guillaume et moi).
Propositions pour futures danse forum :
- possibilité de changer le volume de l’espace scénique avant une improvisation, si le besoin s’en fait sentir, selon que le thème invite à l’introspection, comme ce jour-là, ou à l’externalisation, selon l’humeur, les sensations…
- possibilité de faire les retours verbaux depuis l’espace où l’on se trouve ou que l’on choisit : scène, hors cène ou bordure scénique.
Quand on aime un type de gâteau, on aime aussi les glaces sincèrement, n’est-ce pas ?
Andréine
d’après les retours verbaux de Andréine B, Bernard B, Bernard M, Guillaume T, Maritza S, Minh N‑G, Richard X, Virginie X.
Article créé le 16/02/2020