Danse forum
→ Cheminement de la danse forum
!!Trouvailles : DF et Rentrée Nouvelles, 20 – 23 août 2010, Forcalquier
Ce temps passé ensemble à Forcalquier a été baigné des lumières de la nouvelle.
Ce genre littéraire qu’est la nouvelle nous a influencé, de par sa forme brève et sa dynamique propre. La rencontre avec des auteurs de nouvelles a été fertile. En participant ils nous ont donné à voir, entendre, ils nous ont « donné leur regard ». Aussi, des « trouvailles » ont commencé à poindre en danse forum lors de ces trois jours de festival. Andréine reprend ici chaque aspect que Nadine a soulevé dans un message à la liste du Tilt et lui apporte un retour. Les phrases de Nadine sont en italique.
!!!! L’éveil des sensations
L’éveil des sensations et l’éveil des muscles peuvent se faire dans un temps court, cela n’est pas gênant, au contraire de ce que nous pensions jusqu’à présent.
Non seulement ce n’est pas gênant, mais cela peut favoriser une mise en vigilance du corps/mental, un peu comme si l’horloge biologique faisait en sorte de gagner en intensité ce qu’elle perd en durée.
Je pense que les deux approches sont nécessaires et complémentaires, permettant de découvrir des domaines différents de cette pratique. Mais l’approche courte semble à retenir pour les DF publiques, où présentation et bilan prennent plus de temps qu’en atelier régulier, lorsque les participants sont déjà familiers avec la démarche.
On peut partir dans un deuxième temps de l’éveil des sensations en étant dans la position dans laquelle on est (et non pas se remettre en position neutre), cela amène une dynamique qui va vers la danse.
Le fait de partir de la position dans laquelle on se trouve spontanément au moment où l’on commence l’éveil, position non réfléchie, est aussi pour moi une position neutre, mais d’une autre sorte que de partir allongé.
Allongé, la position est neutre parce qu’elle ne mobilise aucun muscle en elle-même, et donc on peut observer la sensation qui émerge et voir en quoi elle mobilise notre corps.
Mais partir de la position où l’on est, assis ou debout, est une position neutre en ce sens qu’on n’a pas à la prendre, elle est là, fortuite, au moment où l’on commence l’éveil. Peut-on l’appeler « position spontanée de départ » ?
Cette deuxième façon de démarrer l’éveil permet peut-être un rapport plus immédiat et proche avec le spontané en nous, mais ne détermine pas forcément une dynamique qui va vers la danse. J’ai fait souvent l’éveil des sensations ou l’éveil des muscles en partant de la position allongée que j’avais choisie, et les mouvements qui venaient sont allés vers la danse au fil de la pratique. Simplement, ces jours-là, ma dynamique se mettait en branle dès le début et tout au long de la pratique.
!!!! Thème et mise en situation
On peut choisir une mise en situation du thème sensitif à la fin de l’éveil des sensations, et commencer la danse avec cette mise en situation.
A la fin de l’échauffement réalisé par l’éveil des sensations et/ou l’éveil des muscles, le choix du thème a besoin de s’orienter vers ce qui est le plus neutre et le plus sous-jacent à l’ensemble des retours verbaux, plus qu’à la sensation résultant de l’échauffement. Et ceci même si cette sensation est partagée par une majorité de participants. Il nous faut trouver un thème qui soit porteur tout en laissant une ouverture maximum.
Ainsi, le troisième jour, en choisissant : « l’ajustement », plutôt que : « l’apaisement/réunification », nous avons choisi le processus qui pour certains pouvait aller vers un apaisement et une réunification, mais qui était plus large au départ, en ouvrant les champs d’investigation.
Nos amis écrivains pourraient peut-être nous aider sur les tenants et aboutissants de la mise en situation dans la nouvelle. Je comprends la mise en situation comme une mise en présence et en rapport singulier d’au moins deux éléments. C’est une sorte de mise en scène minimale : le corps et le point d’appui, le danseur et le contenant, l’ajustement et ce à quoi je m’ajuste. Elle met ces deux éléments en situation d’agir, d’interagir, de choisir l’inaction etc.
Bien sûr, jusqu’à présent en DF, lorsque nous prenions un thème et que nous l’explorions en danse, il s’agissait déjà du rapport du danseur avec le sujet de ce thème. Mais là, nous avons commencé à préciser ce rapport avec une question : qu’est-ce qu’il se passe lorsqu’un corps rencontre un point d’appui ? Quel rapport le danseur entretient-il avec un contenant ? A quoi je m’ajuste au juste ? Poser une question concernant une action ou un événement possibles, c’est donner une direction minimale : cela exerce un tout petit changement, une déclinaison que l’on ne perçoit pas mais qui est propice « à la rencontre des corps dans le vide » (j’écoutais cela ce matin à propos du clinamen, ce mouvement aléatoire et indéterminé qui selon Epicure permet aux atomes de s’entrechoquer). Par ce procédé, on va il me semble, de l’exploration du thème vers un agissement, naissant ou ne naissant pas, de cette mise en situation.
A Forcalquier, nous avons exploré, chacun individuellement, les rapports singuliers de ces éléments mis en présence (le corps et le point d’appui, le danseur et le contenant, le danseur et l’ajustement), et aussi coopérativement, dans le sens que nos individualités s’apportaient l’une à l’autre.
Mais nous pourrions aller juste un peu plus avant dans la mise en scène minimale qu’est la mise en situation. Nous pourrions répartir les rôles entre deux ou plusieurs danseurs : l’un « est » le corps et l’autre (ou les autres) le point d’appui, l’un « est » le danseur et l’autre (ou les autres) le contenant. A voir, si cette répartition des rôles participerait à la dynamique de mise en situation sans l’enfermer dans un schéma. Le thème de l’ajustement a été riche du fait que chacun a choisi à quoi s’ajuster, et que cela pouvait être l’espace, la lenteur, la musique, l’autre, la feuille blanche etc.
Nous avions déjà réparti les rôles il y a quelques années, je me souviens particulièrement de cette danse forum dont le thème était « le poids ». Un danseur avait le rôle de donneur de poids, l’autre de receveur de poids. La mise en situation était simple : un danseur donne son poids à l’autre, et on voit ce qui se passe. Cela avait été fulgurant comme expérience. Celui qui recevait le poids était écrabouillé, s’échappait, ou pouvait découvrir que cela lui donnait de l’énergie. Le poids devenait charge ou tuteur, prétexte ou opportunité, celui qui donnait son poids pouvait hésiter, ou pas, être timide, résolu, doux etc. Celui qui le recevait pouvait résister, assimiler, subir, détourner, utiliser le poids qu’il recevait etc. Le tout correspondant au vécu immédiat des danseurs qui s’y essayaient, fruit de leur expérience de vie et de leur rencontre à l’instant avec un partenaire.
Nous avions pourtant peu à peu abandonné la mise en scène chorégraphique en DF, car le plus souvent elle nous empêchait de nous relier à nos sensations de l’instant. En effet, qui dit mise en scène de départ, en vue d’une improvisation, dit répartition des rôles, mais aussi définition des caractères et du contexte. Nous nous sommes retrouvés à endosser des caractères de personnages définis dans un contexte donné.
Je me rappelle par exemple cette DF, qui partait du souvenir vécu de l’un de nous. Elle mettait en scène un danseur dans un musée, qui ne peut rien voir des œuvres exposées parce qu’un énergumène prend toute la place et ne fait attention à personne. Un des danseurs jouait le rôle de celui qui cherche à voir, un autre était celui qui l’en empêche, puis nous avions réessayé avec plusieurs danseurs ensemble, en changeant à chaque fois un élément de cette mise en scène. Le résultat était intéressant car nous allions d’actions types en actions diversifiées autour de ce thème de la place que chacun prend dans un groupe, un peu à la manière du théâtre forum. Mais là où le théâtre peut s’enrichir grâce au verbe, la danse en sortait appauvrie, par manque de verbe justement, pour la rendre lisible, explicite. Ce manque nous amenait invariablement à illustrer l’action prévue par la mise en scène. Pour endosser un caractère, nous improvisions selon un canevas établi, et ne pouvions plus improviser « selon nos sensations », ni partir de comment nous étions sur le moment.
Le fait de se limiter à une mise en situation sans définir en amont une histoire, des caractères, un contexte ni des intentions, incite à voir ce qui se déroule sans anticiper. Nous découvrons en aval les caractères qui se révèlent. Nous imaginons le contexte et les intentions, les rêves et désirs, grâce au regard porté à la danse qui évolue. Un peu comme la nouvelle, les spectateurs sont renvoyés au passé : qu’est-ce qui s’est joué, que s’est-il passé pour que cela se produise, etc.
!!!! Le meneur
Le meneur comme un regard : il regarde la scène et les spectateurs, et est regardé regardant. Ce rôle de regard est important, il doit le tenir. S’il filme ou s’il danse, il lâche ce rôle et cela ne va pas (quand il parle, il est toujours dans ce rôle).
Ce jour-là, j’ai eu une conscience de l’importance du regard chez le meneur, rôle que j’avais endossé. Je vais tenter de dire ce que j’en ai compris, ce que j’ai vécu très intensément cette fois, aussi lors de la DF du 7/7/07 et à quelques autres occasions.
Le meneur semble « donner son regard » à ce qui se passe sur scène et dans l’audience, avec vigilance et sans jugement, un peu comme si chaque pore de sa peau regardait. Cette position de vigilance non jugeante fait que le meneur, qui est « regardé regardant » à la fois par et vers les danseurs et les spectateurs, devient une sorte de « passeur de regard », il faudrait trouver le mot juste. Ce n’est pas forcément un regard directe, mais un regard comme une présence, ou comme un flux qui circule, qui non seulement ne perturbe pas ce qui se passe, mais semble favoriser, où être garant d’un espace de liberté à la créativité.
Faire attention à ce que cette position de « vigilance non-jugeante » ne devienne pas une position « objective », qui donnerait à la parole du meneur une sorte de légitimité « au-dessus de tous soupçons ».
J’ai l’impression aussi que ce regard a beaucoup à voir avec la position du meneur. Physiquement il est dans un coin visible par tous et pourtant en retrait, entre l’espace scénique et l’espace public. Mentalement il est en connexion avec les deux espaces.
Dans cet état d’esprit, prendre la caméra ou danser sur scène est difficile voire impossible pour le meneur, car il tourne alors son regard seulement vers l’espace scénique, ou seulement vers l’espace public. On pourrait dire qu’en focalisant son regard dans une seule direction, il devient acteur, comme l’est le danseur et le spectateur en danse forum, et perd son rôle propre. Le fait de mettre la musique par contre ne le gène pas, car ce geste s’adresse aux deux espaces.
A fouiller…
Le fait que le meneur note les retours oraux pendant toute la danse forum semble souligner d’un trait léger le poids de la parole de chacun. En recueillant sa parole, le meneur donne une présence active à celui qui parle.
Quand je note, je ne retranscris pas tout, je laisse mon stylo filer sur la feuille, de la façon la moins calculée et la plus neutre possible, au sens où je transcris les mots saisis au vol, et j’écris aussi peu que possible l’interprétation que j’en ai. Une façon pour le meneur de donner son regard pendant ces parties réflexives de l’atelier. Ces notes sont un outil précieux ensuite, pour laisser des traces de ce qu’il s’est joué, tout en recréant l’œuvre, car la plume, elle, porte signature.
!!!! Le public
Lors d’une danse forum publique, il est possible que des gens arrivent en cours de processus, mais en étant partie prenante (dans le regard, dans la danse, sur la bordure scénique) et non pas regard extérieur, regardant l’ensemble du processus.
Je dirais, mais cela reste à réfléchir : le spectateur peut arriver à n’importe quel moment de la DF sans que cela ne gène personne ni ce qui se passe, et en étant à l’aise lui-même, s’il s’inclut dans le processus de problématisation, de lui-même ou avec l’aide de quelqu’un qui le met au courant. Cette inclusion peut se faire de sa place de spectateur pouvant devenir acteur à tout moment qu’il choisirait, pendant l’éveil des sensations, puis sur la scène ou sur sa bordure.
!!!! La bordure scénique
Il n’est pas forcément besoin d’arrêter la danse pour une intervention sur la bordure scénique, c’est au choix de chacun.
J’ai observé une plus grande flexibilité du rythme général de la DF, une dynamique plus diversifiée avec ce procédé, peut-être du fait que cela rend tout le monde, meneur compris, plus vigilant. Annoncer systématiquement une intervention fait ronronner les esprits, en supprimant toute surprise, dirait-on…
Un autre point concerne la possibilité de parole sur la bordure scénique. Il est arrivé plusieurs fois que l’un de nous se positionne pour dire ou lire un texte, sans se signaler par le clappement des mains qui aurait fait se suspendre la danse. Si la musique est présente, le meneur n’est pas obligé pour autant de baisser le son comme je l’ai fait presque systématiquement le deuxième jour. Le lendemain, laisser la musique à volume normal a permis à certains lecteurs de projeter leur voix pour que le texte soit audible et accompagne la danse. J’ai observé que lorsqu’un lecteur souhaitait le silence, il choisissait spontanément une plage silencieuse, ou parfois je percevais le besoin de silence ambiant juste avant qu’il ne prenne la parole, comme un écrin à mots.
!!!! L’opinion
L’opinion de chacun n’est pas à rejeter, mais à problématiser. Elle est ce qui arrive en premier lorsqu’on parle, il faut donc partir d’elle.
L’opinion est souvent ce qui arrive en premier à l’esprit lorsqu’on est consulté sur ce qu’on a vu et dont on a été témoin. Partir de l’opinion, positive comme négative, c’est donner sa place au jugement personnel, mais afin de le problématiser, lui donner différents angles de vue, le questionner et le dépasser en quelque sorte, pour en faire quelque chose d’intéressant pour tous.
!!!! Bilan et vidéo
Choisir un extrait pertinent de ce qui a été filmé pour le bilan, de préférence choisi par le meneur qui a été regard pendant toute la danse forum, et non pas tout regarder.
Je pense que le choix de l’extrait à visionner peut être fait par tous les participants et que le meneur peut donner son avis en amont ou en aval du choix, ou encore aider à sélectionner une option si plusieurs se présentent. Un peu comme pour le choix du thème, qui émerge et que le meneur aide à cueillir. La longueur de l’extrait est déterminée en fonction du temps imparti au visionnage, suivi du bilan.
Depuis longtemps nous nous disons que structurer de façon plus formelle le bilan lui ferait gagner en teneur. Nous ne nous y sommes pas encore attelés.
Il faudrait que le bilan soit bien celui de la danse forum qui vient d’avoir lieu, lorsqu’il y a des nouveaux participants qui ne sont pas censés être partie prenante à priori de la construction même de la forme « danse forum ». Il est important de ne pas faire un « méta bilan » sur le bilan lui-même…Mais plutôt nous réserver des moments de réflexion « entre nous », en dehors des danse forum, pour continuer sa construction (sauf bien sûr lorsque nous décidons de faire des danse forum « internes », dont l’objet même est la danse forum).
Andréine Bel et Nadine Gardères
Article créé le 16/02/2020 – modifié le 10/06/2020