Danse recherche
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!!Le contact avec l’autre, le 23/1/11
À trois, ce fut finalement une danse recherche autour du contact. Le contact vu comme un lien entre visible et invisible, une rencontre avec l’autre qui fait éclore le symbolique : on est « en lien ».
L’autre, le partenaire, ce peut être l’espace, le rythme, la mélodie, le danseur, comme des échos dissemblables. Le regard circule dans son intérieur, « ses meubles », ou vers l’extérieur, dans un autre temps. Bref, comment accueillir et se sentir accueilli par l’autre, quel qu’il soit ? Mais en premier lieu, pourquoi ce besoin de l’autre ?
Cela m’a projetée en Inde, avec Birju Maharaj (professeur de Kathak, une danse classique du nord de l’Inde) disant qu’il n’est jamais seul sur scène, bien que soliste. Les directions dans lesquelles son corps se coule ou qu’il provoque, les rythmes sur lesquels ses pieds frappent le sol et ses gestes, l’espace, tous sont ses partenaires, il établit un dialogue avec eux.
Birju Maharaj personnifie les rythmes. Certains personnages ont mis du temps à lui apparaître. Teental (16 temps) est l’ami le plus facile à vivre, Japtal (10 temps) est assez abordable, mais Dhamar (14 temps) est le roi, imposant, lent et majestueux. Il s’est montré à lui un beau soir, le 27 février 1987. Tous les spectateurs de Kamani Hall (New Delhi) l’ont senti, quelque chose se passait dans ces rythmes faits par Birju Maharaj. Voici les mots que j’ai recueillis de lui le lendemain matin :
- “ Pour la première fois de ma vie (à 49 ans), j’ai pu danser Dhamar, dans toute son intégrité, du début à la fin. J’ai vu devant moi Dhamar, ses yeux, son nez, sa bouche, ses oreilles, son corps. Dhamar n’est pas une entité facile. Dans les 5 premiers temps, il établit son autorité ; les deux temps suivants, il vous met en garde ; les trois autres temps il vous repousse, et les quatre derniers temps, il vous challenge. Il faut beaucoup d’humilité pour aborder Dhamar, et s’en faire un ami. Beaucoup d’efforts et de confiance. »
Mais revenons à l’atelier d’Aix-en-Provence, fin janvier 2011…
Les deux questions qui nous sont venues sont celles-ci :
- comment faire surgir un rythme intérieur et lui permettre de se manifester ?
- comment mettre « l’intérieur » en rapport dynamique avec « l’extérieur » ?
L’éveil des sensations a marié le dos au sol, permettant une grande liberté de mouvements, et des bâillements allant jusqu’au périnée.
Impossible d’être en plusieurs morceaux : le contact avec les sensations ramène l’unité dans le corps tout entier, le recentre et le met peu à peu en position verticale sans effort.
Les mouvements répétitifs, tels que les balancements, les allers-retours, rapprochent les morceaux si près qu’ils finissent par s’unir de nouveau. Lorsque les pensées envahissent le mental, le contact avec le corps les apaise.
Notre thème s’est dessiné : « le contact avec l’autre » – la musique, les directions, l’autre danseur.
Lors de la première improvisation, il nous est apparu que le rythme intérieur peut naître et se développer quand la sensation d’unité est là. La dispersion, elle, entraîne la statique [l’engourdissement]. Les rythmes des extrémités du corps ne semblent pas avoir une durée de vie très longue, à moins qu’ils ne résultent des rythmes du centre (ventre et hanches), qui se propagent dynamiquement. Les déplacements apportent au mouvement leur rythme propre.
Les sons musicaux sont devenus algues, eau, oiseau, arbre où est posé l’oiseau, croissance des racines au ciel. La musique est un espace où le mouvement peut exister.
L’espace comme un écrin autour du corps du danseur, qui le caresse. Le danseur regarde et est regardé de tous côtés. Le temps s’écoule en un rythme toujours présent même lorsqu’il est presque imperceptible. Dynamisme dans la statique et statique dans le dynamisme. Le mouvement comme suite de déséquilibres qui ne font pas [forcément] tomber.
Il nous a fallu mettre une première contrainte pour resserrer les possibles du contact : « regarder » l’autre, directement ou indirectement, dans les yeux ou non.
Il nous est apparu qu’on ne regarde pas qu’avec les yeux mais avec le corps tout entier.
Le regard apporte une satisfaction qui permet de ne pas chercher toujours le rapprochement. Mais le regard peut aussi être contraignant, influent, inciter au mimétisme. Le regard périphérique (qui s’étend autour d’un point) a été vécu comme le plus flexible et libérateur.
La deuxième contrainte, à deux, parlait de « toucher » l’autre : « voir » cette peur de ne pas comprendre l’autre. Comment approcher, négocier son espace avec celui de l’autre ?
Il y eut un duo en contact, une histoire de deux vies un instant liées par inadvertance et qui trouvaient une harmonie sans paroles, flots de souvenirs compris, par chacun. L’émotionnel est touché à travers la surface de contact.
Puis un duo en opposition, où les poids se sont cherchés, sans arriver à se donner : peur que l’autre ne sache l’accueillir, ou ne puisse. Mais le sol est devenu un allié – un troisième partenaire – et le contact des poids a pu se faire par instants.
Puis un duo où l’équilibre des poids amenait le mouvement dans l’espace, comme résistante des deux forces.
Et puisque je suis dans mes notes indiennes, cette recommandation de Birju Maharaj à ses élèves, comme un écho lointain et étonnant à cette séance :
« Créez une image merveilleuse devant vous, à laquelle vous vous référez à chaque mouvement, vers laquelle vous revenez sans cesse, comme quelque chose que vous ne voulez pas manquer. Tout votre être doit tendre vers chaque direction que vous prenez ou que vous montrez. »
Et un jour, cette phrase :
« Vous devez apprendre comme lorsque vous buvez après une longue soif… »
Andréine Bel,
d’après les retours de : Andréine B, Bernard B, Maritza S.
Article créé le 16/02/2020 – modifié le 16/02/2020