Cheminement

La danse forum mise en forum


Evé­ne­ments
L’intensité – 3 juin 2007

!!L’intensité – 3 juin 2007

La jour­née à Lam­besc fut intense, à tous points de vue, à tous les
étages, dans la forme comme dans le fond, du début à la fin. Même le
soleil était intense, et par suite la fraî­cheur à l’intérieur de la
pièce.…

LA CONCERTATION

1- Les objec­tifs de la danse forum

Reve­nir aux objec­tifs nous a paru néces­saire : la trans­mis­sion est
impos­sible sans l’élaboration de l’outil qui per­met l’œuvre.

a - Un espace de sécu­ri­té, où la créa­ti­vi­té peut s’exercer sans
risque d’être jugée, tout en étant éva­luée, de façon à être tirée
vers le haut plu­tôt que nivel­lée par le bas.

Le regard don­né par le spec­ta­dan­seur, comme par le dan­seur, est
struc­tu­rant lorsqu’il est non jugeant ET éva­luant.

La pierre d’achoppement de cette contra­dic­tion appa­rente entre
non-juge­ment et éva­lua­tion réside dans le « droit à l’erreur » : c’est
un (en)droit fon­da­men­tal, garant de notre authen­ti­ci­té et sans lequel
toute amé­lio­ra­tion ne peut être que le fruit d’une vio­lence faite à
soi comme à l’autre. Conscien­ti­ser l’erreur amène un début d’amélioration.
Cela revient à « huma­ni­ser » l’erreur, la récon­cil­lier avec soi et autrui.

Le droit à l’erreur, c’est la démo­cra­tie dans le monde de l’art, où
ce qui prime est le che­min par­cou­ru plu­tôt que la cota­tion d’une
œuvre. Hors des situa­tions d’urgence et de dan­ger, c’est le grain de
sable dans toute pen­sée à ten­dance extrê­miste. Bref, le droit à
l’erreur est reven­di­qué en danse forum, et devrait l’être lorsqu’il
est en risque d’extinction.

b - Rendre la danse à la vie. Accueillir et inclure nos fai­blesses
et nos troubles, nos angoisses et nos ten­sions, nos ratages comme
source de créa­tion. Renon­cer à ce lis­sage de la vie qui entraine le
lis­sage de la danse. Recon­nec­ter la danse, la vie, à sa (leur)
com­plexi­té. La sim­pli­fi­ca­tion du vivant est le plus sou­vent
fas­ci­sante, cas­tra­trice, alors que sa com­plexi­té rime avec créa­ti­vi­té.

c - Redon­ner place et voix à l’involontaire. L’involontaire n’est pas
ce Loup Garou qui serait caché en cha­cun de nous, prêt à toutes les
folies dans une fureur des­truc­trice. L’involontaire est cette source
de créa­ti­vi­té sans laquelle l’art ne peut être. Copain avec
l’inconscient, l’involontaire est ce qui nous relie à notre mémoire,
à nos sens, à notre intui­tion en une adap­ta­tion constante vis-à-vis
de notre envi­ron­ne­ment affec­tif, social et cultu­rel.

L’un de nous disait sa sur­prise de voir l’involontaire agir : les
élé­ments se mettent en place, comme les poudres et les mèches d’une
fusée, mais le feu d’artifice nous échappe et étonne tou­jours. Seul
l’artificier (ici l’organisme) connaît la recette, et elle reste
incon­nue au conscient et à la volon­té.

Puis nous en sommes venus au dérou­le­ment de l’atelier de danse forum.

2 – La mise en route

a - Elle est à pré­sent bien rôdée. L’un d’entre nous se deman­dait
la veille si elle ne deve­nait pas sté­rile. Nous nous sommes ren­dus
compte qu’elle évo­luait à chaque ate­lier, cher­chant tou­jours les mots
et concepts mini­maux, néces­saires et suf­fi­sants pour don­ner
sim­ple­ment l’espace à chaque par­ti­ci­pant de se connec­ter avec
lui-même et avec les autres.

Elle peut deve­nir sté­rile face aux nou­veaux-venus à l’atelier, qui
débarquent for­cem­ment avec leur vision de la danse et de
l’échauffement, le plus sou­vent à l’exact oppo­sé de ce qui est
pro­po­sé ici. Le risque de fonc­tion­ner en interne ne peut que nous
inter­pe­ler. Nous avons besoin des regards nou­veaux.

Nous nous sommes deman­dés s’il fal­lait adou­cir cette entrée en
matière, par des exer­cices qui vise­raient à faire aller peu à peu le
débu­tant vers ses sen­sa­tions, son invo­lon­taire etc. Mais cela nous
est apa­ru comme un arti­fice qui ris­quait de noyer le pois­son en
vou­lant le sau­ver. Per­sonne ne peut faire le tra­vail à la place
d’autrui, ce ren­dez-vous avec soi-même est incon­tour­nable dans cette
approche de la danse basée sur les sen­sa­tions, plus que sur
l’imaginaire qui les module à volon­té.

La prin­ci­pale dif­fi­cul­té des nou­veaux-venus nous est appa­rue être
dans l’apparente faci­li­té de ce pre­mier exer­cice : se relier à nos
sen­sa­tions et lais­ser agir. Cela sonne comme tel­le­ment évident et
sim­pliste que la per­sonne ne com­prend pas qu’elle ne puisse y
arri­ver, ni y trou­ver d’intérêt. Aus­si nous nous sommes don­nés la
consigne de pré­ve­nir que cet exer­cice est le plus dif­fi­cile de tous,
mais incon­tour­nable, et que les autres exer­cices en dépendent. Un
homme aver­ti en vaut dix.

b - L’émergence du mot venant des sen­sa­tions doit se faire
d’elle-même. Pareille­ment pour être for­mu­lée à voix haute, de façon
à être enten­due par les autres par­ti­ci­pants.

c - L’émergence du thème obéit à la même néces­si­té. Il ne doit pas
être celui d’un indi­vi­du, mais celui qui naît de la concer­ta­tion des
indi­vi­dus.

3 – Le forum

a - Que se passe-t-il si le spec­ta­dan­seur s’ennuit ? Les dis­cours,
remon­trances et juge­ments n’étant pas de mise, la solu­tion la plus
adap­tée a déjà été don­née en danse forum : le spec­ta­dan­seur peut
entrer dans l’espace scé­nique à tout moment, faire de nou­velles
pro­po­si­tions, en s’ajoutant ou en rem­pla­çant un dan­seur pour faire
évo­luer la situa­tion. S’il y renonce, c’est qu’il éva­lue que l’ennui
peut être source de prise de conscience, voire de créa­ti­vi­té. Le
bilan « arti­cu­lé », oral se fait après l’intervention pra­tique, ou en
fin de forum. C’est le temps de la parole, après le temps de la danse.

b - Une danse à entrées mul­tiples, où chaque dan­seur entre dans
l’espace scé­nique selon sa sen­sa­tion de jus­tesse du moment, est un
plai­sir que nous avons vécu en toute fin de jour­née. Ain­si il n’est
pas tou­jours judi­cieux qu’un seul spec­ta­dan­seur inter­vienne à la
fois. Lorsque la danse l’impose, l’occupation élas­tique de l’espace
et du temps per­met à la struc­ture invi­sible d’œuvrer à mer­veille.

c - En pou­vant à tout moment entrer dans l’espace scé­nique, le
spec­ta­dan­seur comme le spect’acteur est pla­cé en capa­ci­té d’action et
d’intercation. C’est ce qui le dis­tingue du spec­ta­teur, cal­lé au
fond de son fau­teuil et en délec­ta­tion cathar­cique.

Et si le dan­seur s’ennuie ? Soit il modi­fie sa danse, soit il sort de
l’espace scé­nique. De nou­veau, son res­sen­ti est dit après le vécu des
solu­tions qu’il a pro­po­sé ou non, et non avant.

d - Une autre pro­po­si­tion a poin­té son nez. En don­nant au
spec­ta­dan­seur une carte joker lui per­met­tant de cla­per dans les mains
pour arrê­ter la danse à tout moment qui lui paraît judi­cieux, sa
vigi­lance serait en éveil constant, et celle du dan­seur tout autant.
Le res­pect incon­di­tion­nel pour le dan­seur serait ain­si atti­sé par le
res­pect incon­di­tion­nel pour le spec­ta­dan­seur. La pos­si­bi­li­té de ne
pas être pris en otage par les ellu­cu­bra­tions dan­sées devrait pou­voir
exer­cer ses droits. Je suis prête à parier que per­sonne n’en
abu­se­rait dans la plu­part des cas, et s’il y avait des abus
volon­taires, ou invo­lon­taires avec un public non aver­ti par exemple,
le joker se don­ne­rait le droit d’intervenir et régu­ler le dérou­le­ment
du forum. Ceci devant être posé en pré­misses du forum. A
expé­ri­men­ter.

e - L’un d’entre nous cinq a par­lé de dan­ger, se mettre en dan­ger
pour exer­cer sa vigi­lance ; un autre de plu­tôt avan­cer sur un fil. Il
est vrai que le fil peut être pla­cé à cinq mètres de hau­teur. Mais
nous sommes « tom­bés » d’accord que l’intérêt n’était pas de ris­quer de
nous tuer en chu­tant. Le fil peut être pla­cé à cin­quante cen­ti­mètres
du sol, ou plus haut mais avec une sécu­ri­té, la vigi­lance s’exerce
tout autant, avec l’avantage de ne pas faire de l’acte un défi, mais
un acte créa­tif. Les artistes de cirque aujourd’hui l’ont bien
com­pris, à pri­vi­lé­gier la sécu­ri­té et la beau­té sur le petit
fré­mis­se­ment mor­bide qui délec­tait les foules devant les risques
inouis pris autre­fois par les artistes.

Tom­ber de cinq mètres de haut en danse forum, ce serait se retrou­ver
à poil sans qu’on ne l’ait choi­si, et être jugé dans son être quand
on se dévoile.

4 – Le bilan

a - C’est l’espace pri­vi­lé­gié pour arti­cu­ler les cri­tiques et faire
avan­cer le shmil­blick. Le fait de se voir dan­ser en vision­nant la
video, en inter­ca­tion avec les autres est riche d’enseignements sans
être cruel (contrai­re­ment à ce que j’aurais pu craindre). Cela tient
au fait, je pense, que l’infra-technique prime sur la tech­nique et le
sub­til sur l’évident. C’est l’éducation du regard qui per­met de voir son
image en toute quié­té.

b - Regar­der l’ensemble de la video puis extraire un court pas­sage
pour le regar­der maintes fois nous semble néces­saire, pour avoir une
cri­tique glo­bale puis « syl­la­bique », dans les détails, à la fois des
images, et de la danse.

c - Par rap­port aux treize cas­settes video enre­gis­trées cette année,
nous pro­po­sons de les gra­ver en inté­gral sur CD comme archives, et de
faire cet été un mon­tage réfé­rent, avec les meilleurs moments. Ces
docu­ments res­te­ront à la dis­po­si­tion de chaque par­ti­ci­pant à
l’atelier.

d - Jusqu’à aujourd’hui, nous nous sommes tou­jours arran­gés pen­dant
les repré­sen­ta­tions publiques, mais invo­lon­tai­re­ment, de faire en
sorte que le public se mélange aux dan­seurs. Nous nous repla­cions
ain­si en situa­tion d’atelier où tous les pré­sents sont par­ti­ci­pants.
Nous ne sommes tou­jours pas sûrs que la danse forum se prête à un
« vrai » public. Nous en ferons l’expérience à St Michel
l’Observatoire, le 7 juillet 2007.

LA PRATIQUE de la jour­née

Les pré­misses du thème sont venues avec le constat que l’ennui peut
s’installer sans que l’on y prenne garde lorsque l’on essaie de se
relier à ses sen­sa­tions, et que l’on s’initie à la créa­ti­vi­té.
L’habitude, la faci­li­té sont des hôtes indé­li­cats mais sédui­sants.
Leur arme ? Endor­mir la vigi­lance, flâ­ter l’ego.

Pour­tant, dans ce simû­lacre de créa­ti­vi­té, l’exigence inté­rieure ne
trouve pas son compte, et frappe à la porte. C’est ce qu’elle a fait
pen­dant cette jour­née. Nous étions sur le fil.

Asy­mé­trie, double, pres­sion sur la nuque, inten­si­té, concen­tra­tion,
contrac­tion ont été nos pro­po­si­tions de thème. Celui qui a émer­gé
est l’intensité : Le thème, ce jour-là, s’est « posé » de lui-même,
comme une évi­dence adap­tée à nos besoins et envies. Il n’a pas eu à
s’inviter ni à s’imposer.

Pen­dant le forum, nous avons expé­ri­men­té ce qui faci­lite et per­met
l’intensité. Chaque fois nous expo­sions en pre­mier la danse, et
pro­blé­ma­ti­sions ensuite, ce qui redon­nait du grain à moudre pour une
pro­chaine mise en danse etc.

* Les contrastes tout d’abord : lourd-léger, ten­du – relâ­ché, raide -
souple, rapide – lent, molesse – viva­ci­té, yeux fer­més – yeux ouverts
etc, micro – macro mou­ve­ment.

* L’inattendu, l’imprévisible : rompre la conti­nui­té du mou­ve­ment, de
la vitesse, du rythme, de la direc­tion etc.

* L’alternance et la répé­ti­tion, ponc­tuel­le­ment.

* La tenue, rete­nue, den­si­té, puis­sance, sou­plesse.

* Aller à l’essentiel par l’économie de moyens et la rigueur.

* Jouer entre mou­ve­ment de tout le corps et de ses seg­ments.

* Uti­li­ser les forces rela­tives aux direc­tions : des yeux par rap­port
à la tête, de la tête par rap­port au buste, du buste par rap­port aux
hanches. Direc­tions des dépla­ce­ments dans l’espace scé­nique (sur une
impro­vi­sa­tion – intense de rete­nue – d’Etienne)

* Ne révé­ler la struc­ture ou la construc­tion que peu à peu (des­sin
des dépla­ce­ments, déve­lop­pe­ment de l’idée-consigne etc.).

Notre scien­ti­fique pré­fé­ré a mis le doigt sur cette sub­ti­li­té qui
ren­verse bien des pré­ju­gés : moins la résis­tance est forte, plus
l’intensité (ten­sion) est grande. Et notre dan­seur pro­fes­sion­nel de
rajou­ter : il fau­drait le dire aux dan­seurs clas­siques, cela leur
évi­te­rait de résis­ter pour rien contre la pesan­teur…

CONCLUSION :

Le risque d’apauvrissement du thème par la pro­blé­ma­ti­sa­tion est réel,
car sa mise en situa­tion passe par les sté­réo­types. Il faut vrai­ment
don­ner du temps à la thé­ma­ti­sa­tion de s’enrichir pour sor­tir de ce
piège.

Pour aller vers une pro­blé­ma­ti­sa­tion plus glo­bale autour du thème de
l’intensité, nous avons réa­li­sé qu’il nous aurait fal­lu prendre à
bras le corps ce qui nous entra­vait dans l’exercice de l’intensité :

1- Explo­rer ce qui empêche l’intensité, pour arri­ver à mieux la
défi­nir : dilu­tion, épar­pille­ment, l’uniformisation,
redon­dance etc.

2- Réa­li­ser l’importance et l’impact de l’environnement (musi­cal entre
autre) sur l’intensité de la danse.

3- Contex­tua­li­ser l’intensité, c’est à dire expé­ri­men­ter ses limites,
ses récu­pé­ra­tions, sa contre-pro­duc­tion.

4- Explo­rer son mythe, l’apanage de la supé­rio­ri­té, le fas­cisme, le
monde des zom­bies.

Quatre objets pour forum futurs…

Le besoin se fait pres­sant de consa­crer cer­tains ate­liers
exclu­si­ve­ment à la foru­mi­sa­tion. Et l’idée récur­rente s’impose peu à
peu de com­men­cer en « foru­mi­sant la danse forum » : en théâtre forum, ou
en danse forum, ou en danse-théâtre forum.

Andréine Bel

Article créé le 16/02/2020 – modi­fié le 10/06/2020

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