Didier Raoult lors d'une conférence de presse le 27 août 2020 à Marseille

La controverse publique sur l'hydroxychloroquine pour guérir du Covid-19 semble loin. Néanmoins, les études scientifiques publiées par l'IHU Méditerranée, dirigé par le Pr. Didier Raoult, n'ont pas fini de poser question.

afp.com/Christophe SIMON

A première vue, il s'agit d'une banale étude. En réalité, elle s'avère être l'arbre qui cache la forêt. Entre 2017 et 2018, dans le cadre d'une thèse dirigée par le Pr. Jean-Christophe Lagier, de l'IHU Méditerranée, une étudiante mène un essai clinique dans un cabinet de médecine à Carry-le-Rouet, près de Marseille. Son travail consiste à effectuer des prélèvements nasopharyngés sur des personnes atteintes d'une maladie respiratoire, comme la grippe, ainsi qu'à leurs cas contacts. Elle recrute 162 patients. 41 sont mineurs dont 15 de moins de 3 ans. Elle fait ensuite analyser les résultats à l'IHU, puis les compare avec un essai similaire mené dans deux hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM). "Le protocole décrit dans cette thèse indique qu'il s'agit d'une Recherche impliquant la personne humaine (RIPH)", analyse Philippe Amiel, juriste, membre du Comité d'éthique de la recherche de l'Inserm et président du Collège de déontologie de cette institution. Ces travaux expérimentaux sont particulièrement réglementés en France. La loi les classe en trois catégories : les RIPH1, 2 et 3. Toutes doivent être validées par l'un des 39 Comités de protection des personnes (CPP) avant même de débuter. Les plus sensibles, les RIPH1, nécessitent également une autorisation préalable de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

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Un premier problème émerge : la page 24 de la thèse indique qu'un avis favorable (N° 2016-016) a été accordé par le "Comité d'éthique de l'IHU Méditerranée". Ce dernier n'est pourtant pas un CPP et ne peut s'y substituer. Néanmoins, deux autres autorisations sont mentionnées dans des fiches de consentement adressées aux patients majeurs et aux représentants des mineurs, page 52 et 54. Ces documents, signés par le directeur de l'IHU Didier Raoult, indiquent que "cette recherche a obtenu l'accord du CPP Sud Méditerranée 1 et de l'ANSM". Mais aucun numéro ni date ne sont mentionnés. Inhabituel. Saisi par un tiers, l'ANSM répond dans un mail que s'est procuré L'Express "qu'aucun essai clinique correspondant à [cette] demande n'a pu être retrouvé". Interrogé par L'Express, le CPP Sud Méditerranée 1 confirme ne "pas avoir donné d'avis favorable à la recherche mentionnée page 52 du document transmis". En clair, cet essai impliquant des personnes humaines, dont des mineurs, n'a pas reçu d'autorisation légale. "Le fait de se prévaloir faussement d'une autorisation d'un CPP est un manquement éthique grave : les personnes qui participent sont trompées, souligne Philippe Amiel. La réalisation d'une telle étude sans autorisation est, de plus, réprimée pénalement". En l'espèce, jusqu'à 1 an de prison et 15 000 euros d'amende.

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Extrait du mail envoyé par l'Ansm le 30 juin 2021

© / L'Express

Plus étonnant, L'Express a retrouvé le même numéro d'avis (N° 2016-016) du Comité d'éthique de l'IHU dans une étude scientifique publiée par l'institut marseillais en 2018. Ces travaux sont signés par Didier Raoult et plusieurs de ses collaborateurs, dont certains sont également les investigateurs de la thèse de l'étudiante. Les expériences décrites sont similaires à celles évoquées dans la thèse, mais ne mentionnent, cette fois-ci, aucune autorisation de l'ANSM ni d'avis favorable d'un CPP. Interrogé par L'Express, le CPP Sud Méditerranée 1 indique ne pas avoir délivré d'avis pour cette étude. Les auteurs de l'étude s'en justifient en expliquant qu'il s'agit d'une étude sur des échantillons collectés dans le cadre des soins et non pas spécifiquement pour la recherche. Sauf que ce n'est pas le cas des prélèvements des "témoins" recrutés spécialement pour disposer d'un groupe de comparaison. "Et dans ce cas, la recherche tout entière est normalement qualifiée de RIPH et doit faire l'objet d'un avis favorable d'un CPP", observe le Pr. Mathieu Molimard, spécialiste de pharmacologie clinique au CHU de Bordeaux.

Deux études sur l'hydroxychloroquine

Ces manquements pourraient sembler anecdotiques. Mais ils apparaissent comme une pratique courante au sein de l'IHU. Ainsi, en 2020, alors que la France subit de plein fouet la première vague de Covid-19, Didier Raoult et son équipe lancent deux études portant sur l'hydroxychloroquine, la molécule présentée comme LA solution face au Covid-19. La première, baptisée "SARS-CoV2quine", prévoit d'effectuer des prélèvements nasopharyngés et d'administrer de l'hydroxychloroquine à 36 patients, dont des mineurs de plus de 12 ans, comme le confirme le registre européen des essais cliniques. Une autorisation en bonne et due forme est demandée et accordée par l'ANSM le 5 mars. Le CPP Ile-de-France V émet un avis favorable le 6. Mais les résultats de l'étude, publiée le 20 mars dans l'International Journal of Antimicrobial Agent - dirigé par Jean-Marc Rolain, professeur à l'IHU et proche de Didier Raoult -, ne manquent pas d'étonner de nombreux experts. En effet, deux enfants de 10 ans ont été inclus dans l'étude et un autre médicament, l'azithromycine, a été testé, ce qui n'était pas prévu ni autorisé.

La société savante qui supervise l'International Journal of Antimicrobial Agent s'en émeut dans une note publiée le 3 avril, selon laquelle "cette étude ne respecte pas les standards permettant d'assurer la sécurité des patients". La revue elle-même publie, a posteriori, une relecture d'un chercheur hollandais qui qualifie ces travaux de "totalement irresponsables". "Entre l'avis du CPP et la publication, il y a seulement 14 jours, ces délais ne permettent pas de s'assurer de la qualité du travail de recherche, ni du travail d'analyse par le comité de rédaction de la revue, pointe Hervé Maisonneuve, médecin spécialiste de l'intégrité scientifique. Le questionnement porte aussi sur l'assurance de malades de moins de 12 ans et de ceux recevant un médicament non prévu au protocole. Y a-t-il eu un avenant au contrat de l'assurance ? Est-ce qu'un assureur accepte d'assurer des malades hors protocole ? Ces informations manquent."

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Après ce coup de force, l'IHU récidive avec une seconde étude baptisée "Azithroquine-covid19", qui vise à tester l'association d'hydroxychloroquine et d'azithromycine sur 80 patients. L'équipe marseillaise demande de nouvelles autorisations le 19 mars. Mais deux jours plus tard, l'ANSM et le CPP Ile-de-France VI apportent cette fois une réponse négative justifiée par les défauts du protocole et de la méthodologie présentés, comme l'a révélé Libération. Peu importe, sans rien changer de ses pratiques, l'équipe de l'IHU poursuit l'essai et publie ses résultats le 27 mars sur le site de l'IHU, puis le 11 avril dans une revue scientifique, dont l'un des éditeurs est Philippe Gautret, médecin à l'IHU et proche collaborateur de Didier Raoult. Pour justifier d'avoir ignoré le refus de l'ANSM et du CPP, l'équipe de l'IHU argue une fois de plus que l'étude ne prévoit pas d'intervention sur l'être humain et n'a donc pas besoin d'autorisations. "Il suffit pourtant de lire la partie 'méthodologie' écrite par les auteurs : ils décrivent eux-mêmes une étude interventionnelle, une RIPH1 qui nécessite une autorisation de l'ANSM et un avis favorable d'un CPP, il s'agit d'une évidence absolue", selon Philippe Amiel, qui avait déjà développé ses arguments dans un article publié le 3 mai 2020 dans Médecine/sciences.

Le protocole n'a pas été respecté, des patients - dont des enfants - et un médicament supplémentaire sont ajoutés au dernier moment, ce n'est plus de la recherche, mais de la cuisine

Ces tours de passe-passe suscitent l'attention de plusieurs observateurs, dont un pharmacien extérieur à l'IHU qui effectue un signalement auprès du Parquet de Marseille en avril 2020. Les juges sollicitent alors l'avis de l'ANSM. Le directeur général de l'agence Dominique Martin leur répond, dans un courrier daté du 20 mai, qu'il a déjà mené son enquête et interrogé directement Didier Raoult. Ses conclusions sont sans appel : "Les modalités d'information [...] ne sont pas conformes aux exigences légales". Le même jour, le patron de l'ANSM déclare dans la presse que l'IHU ne lui a pas non plus apporté la preuve que la deuxième étude n'est pas une RIPH. Le 27 mai, l'ANSM décide donc de saisir l'Ordre national des médecins. Mais l'institution, fréquemment décriée pour sa prudence, n'a toujours pas rendu son verdict.

La procureure du Parquet de Marseille, Dominique Laurens, a de son côté décidé de classer l'affaire sans suite. Dans un courrier envoyé le 12 novembre 2020 que L'Express a consulté, les magistrats et assistants spécialisés du pôle de santé publique jugent que les éléments sont insuffisamment constitués. Le Parquet considère que les enfants de 10 ans inclus dans la première étude n'ont "pas été exposés à un éventuel risque d'effets secondaires", puisqu'ils n'ont pas reçu de médicaments, mais des placebos. Quant à la seconde étude, les juges estiment qu'à l'époque, "dans le contexte d'une épidémie causée par un virus émergent", il était possible de considérer la prescription d'hydroxychloroquine comme un "soin courant", ce qui, à leurs yeux, suffit à considérer l'étude comme n'étant pas une RIPH. Une lecture très "locale" du Code de Santé publique qui a provoqué stupeur et colère dans le monde de la recherche. La Conférence nationale des comités de protection des personnes (CNCPP) se fend même, en décembre 2020, d'une déclaration au vitriol appelant le Parquet à rouvrir l'enquête, non sans avoir balayé point par point ses arguments juridiques. "Les juges répondent que les enfants de 10 ans étaient dans un groupe placebo, mais cela ne change rien : ils ne devaient pas être inclus !, s'emporte Bettina Couderc, membre de la CNCPP. Quant à la deuxième étude, le protocole est refusé, mais l'IHU publie tout de même une étude qu'ils qualifient de non interventionnelle alors que ce n'est pas le cas. Même en considérant que l'hydroxychloroquine serait un soin courant, il y a eu des prélèvements nasopharyngés qui justifient à eux seuls une autorisation."

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Mail envoyé par le parquet de Marseille aux parties pour annoncer et justifier le classement sans suite de l'affaire.

© / L'Express

Depuis, de nouveaux éléments sont apparus. Et notamment un correctif publié en janvier 2021 dans lequel l'IHU admet que le nombre de patients inclus dans la première étude n'était pas de 36 comme annoncé, mais de 42, et qu'il n'y a pas un, mais deux morts dans le groupe qui a reçu le traitement hydroxychloroquine et azithromycine. "Il semble au travers de documents disponibles que le protocole n'a pas été respecté, des patients dont des enfants et un médicament supplémentaire sont ajoutés, ce n'est plus de la recherche, mais de la cuisine", tacle Mathieu Molimard. L'Express a également retrouvé un témoignage pour le moins étrange, publié dans la presse locale le 21 mars 2020. Laetitia, 37 ans, avocate et vivant à Aix-en-Provence, explique avoir été hospitalisée à l'IHU le 14 mars 2020 et avoir participé à un essai clinique. Elle indique que l'IHU lui a fait signer une lettre de consentement afin qu'elle accepte de prendre de l'hydroxychloroquine, de passer des scanners et de subir des prélèvements de selles et d'urine, ce qui décrit une RIPH. "Une infirmière m'a posé le protocole sur le lit en m'expliquant que c'était à l'état de recherches, d'où la nécessité de signer. En état de choc et apeurée, je n'ai rien lu, je n'ai pas réfléchi, j'ai signé", explique-t-elle. Pourtant, aucune femme de 37 ans n'est répertoriée dans la première étude portant sur l'hydroxychloroquine, la seule à avoir reçu les feux verts d'un CPP et de l'ANSM. Enfin, un reportage d'"Enquête exclusive" diffusé en janvier 2021 sur M6, rapporte que des avocats de l'IHU ont menacé Elsevier - l'éditeur des revues scientifiques qui ont publié les deux études de Didier Raoult - de poursuites judiciaires si ces travaux étaient rétractés, c'est-à-dire officiellement désavoués.

Selon tous les experts interrogés par L'Express, tant que le Parquet de Marseille ne se saisit pas d'office, c'est à l'ANSM d'effectuer un nouveau signalement. Pourquoi une telle apathie de l'instance censée représenter la police des essais cliniques ? Certains s'interrogent sur d'éventuelles pressions politiques. Après tout, Didier Raoult a toujours pu compter sur de nombreux soutiens dans la population, mais aussi parmi les politiques, de Philippe de Villiers à Renaud Muselier en passant par Nicolas Sarkozy, sans oublier Emmanuel Macron, qui lui a rendu visite le 9 avril 2020 à Marseille, avant de prendre ses distances quelques mois plus tard. D'autres évoquent la volonté de ne plus jeter de l'huile sur un feu qui a déjà trop brûlé. "S'il n'y a aucune réaction des autorités, cela constituerait un très mauvais signal pour le monde de la recherche, c'est comme si l'on disait 'il n'y a plus de loi dans ce domaine", déplore Philippe Amiel. "Que se passera-t-il ensuite ? Les chercheurs vont créer de petits comités d'éthique locaux qui autoriseront toutes leurs recherches en s'arrogeant des droits qu'ils n'ont pas ?", ironise Mathieu Molimard.

Des prélèvements vaginaux sur des étudiantes...

D'autant que les petits arrangements de l'IHU avec les règles ne s'arrêtent pas là. La microbiologiste Elisabeth Bik, l'une des plus grandes spécialistes de la détection de fraude et de manipulation scientifique, a relevé des problèmes dans plus de 60 études publiées par l'IHU ces dernières années, qu'elle détaille en partie dans son blog. "J'ai par exemple découvert que des images dans l'une de leur étude censées représenter des résultats ont été dupliquées et proviennent d'une banque d'images sur Internet, témoigne la chercheuse auprès de L'Express. J'ai également soulevé de potentiels problèmes d'éthique scientifique. Notamment dans des études où ils effectuent des prélèvements sanguins, de peau, ou de cheveux, mais sans indiquer comment ils obtiennent le consentement des participants, ni s'ils ont reçu une autorisation d'un CPP ou de l'ANSM. Je ne dis pas qu'il s'agit forcément de manipulations volontaires, peut-être qu'il s'agit d'erreurs ou d'oublis, mais la question mérite d'être posée."

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L'Express s'est également plongé dans des dizaines d'études publiées ces vingt dernières années par Didier Raoult ou ses collaborateurs. Certaines retiennent particulièrement l'attention. Comme celle publiée en 2019 et portant sur la prévalence de bactéries respiratoires, gastro-intestinales et vaginales de 134 internes de la Faculté de médecine d'Aix-Marseille. L'expérience se déroule entre juin et août 2018. Les étudiants, après avoir signé une fiche de consentement, sont invités à prélever eux-mêmes des échantillons nasopharyngés, fécaux et vaginaux une semaine avant leur départ en vacances et la semaine de leur retour en France. Bis repetita en 2019, avec une autre étude impliquant les mêmes prélèvements sur une cohorte encore plus grande d'étudiants (382). Les résultats de ces travaux, qui n'ont pas été publiés dans une revue scientifique, sont diffusés en ligne le 24 septembre 2020. A chaque fois, les auteurs précisent que les étudiants ont signé une fiche de consentement. "Le protocole classe ces deux études dans la catégorie des RIPH, estime Mathieu Molimard. Elles devraient donc bénéficier, a minima, de l'avis favorable d'un CPP". Mais dans les deux cas, l'équipe de l'IHU écrit que "ce protocole a été autorisé sous le numéro unique n°2019-06 par notre comité d'éthique", soit le comité de l'IHU qui n'a aucune autorité en la matière. "Et ces étudiants en médecine peuvent être considérés comme une 'population dépendante' car ils sont liés hiérarchiquement à l'IHU, s'agace le professeur. En l'absence de la vigilance d'un CPP, qui va garantir que leur consentement est libre ?".

... Aux slips anti-poux pour SDF

Une autre série d'études intrigue. La première se déroule de janvier 2011 à mai 2012. Son objectif, détaillé dans le registre américain Clinicaltrials.gov, est de tester des sous-vêtements anti-poux sur 125 sans-abri et de comparer les résultats avec un groupe qui porte des sous-vêtements normaux. L'étude, publiée en décembre 2013, mentionne une autorisation délivrée en 2011 par "notre comité d'éthique institutionnel" sous le n° 2010-A01406-33. Première étrangeté, ce numéro ne correspond à un avis favorable d'un CPP. Contacté par L'Express, le CPP Sud Méditerranée 1 confirme néanmoins qu'un "avis favorable a bien été délivré pour cette étude qui a été soumise à l'Afssaps", l'ANSM de l'époque. Tout semble donc en règle. Sauf qu'en effectuant une recherche mentionnant le n° 2010-A01406-33 sur le site PubPeer, qui référencie les travaux publiés dans des revues scientifiques, ce ne sont pas moins de 17 études réalisées entre 2011 et 2020 qui apparaissent. Certaines indiquent que l'autorisation n° 2010-A01406-33 a été accordée par le comité d'éthique d'Aix-Marseille Université, d'autres suggèrent qu'elle provient du comité d'éthique de l'IHU ou de l'AP-HM, voire ne le précisent tout simplement pas. Or, un numéro d'autorisation ne peut correspondre qu'à une seule étude, sauf exception. "La règle générale est : une étude, une autorisation, un numéro, explique Bettina Couderc. Il peut arriver qu'un protocole obtienne une extension, mais cela fonctionne seulement si l'essai est modifié à la marge". Pourtant, si la quasi-totalité des 17 études n° 2010-A01406-33 portent sur des sans-abri ou des réfugiés, les sujets d'enquête sont, eux, le plus souvent éloignés de la première étude.

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L'IHU aurait-il simplement "oublié" de mentionner les autorisations légales ? Ou aurait-il choisi d'utiliser le numéro 2010-A01406-33 datant de 2010 pour justifier toutes ses études ? Interrogée par L'Express, l'AP-HM explique que : "Parmi ces 17 publications, deux seulement correspondent effectivement à l'étude numéro ID RCB 2010-AO1406-33, ERPOUPER. Pour les 15 autres études, l'utilisation de ce numéro est erronée". Deux d'entre elles relèvent d'une autre étude promue et correctement déclarée par l'AP-HM, mais mal référencée par leur auteur. Pour les 13 dernières, il n'existe aucun lien avec l'étude 2010-AO1406-33. "Sollicité par la direction de la recherche de l'AP-HM, l'investigateur principal Philippe Brouqui [chercheur à l'IHU, NDLR] reconnaît que des erreurs éditoriales ont été commises puisqu'il s'agit de publications non liées à ERPOUPER (elles n'auraient donc pas dû être déclarées sous ce numéro d'étude)", écrit l'AP-HM. Le Pr. Philippe Brouqui affirme ensuite que les 13 autres études "sont issues de recherches réalisées dans le cadre d'enquêtes annuelles ayant fait l'objet d'un avis favorable, en date du 21 janvier 2010, du comité éthique de l'IFR 48 (N°10-005)". Selon lui, "cette référence aurait dû être celle apposée à ces articles qui ne rentrent pas dans le cadre de la loi Jardé, mais relève de la surveillance épidémiologique du dépistage et du soin d'une communauté de personne". Autrement dit, ces travaux étaient simplement mal étiquetés et ne nécessitaient pas d'avis favorable d'un CPP.

Sauf que selon l'enquête de L'Express, cette ligne de défense ne tient pas pour au moins deux études. La première, publiée le 15 octobre 2020, vise à détecter des cas de tuberculose chez les sans-abri grâce à des prélèvements, des scanners et des examens. La deuxième publiée le 13 février 2021 et cosignée par Didier Raoult et Philippe Gautret, porte sur la prévalence de pathogènes respiratoires dont le Covid-19 pour laquelle des échantillons nasaux ont été systématiquement prélevés. "Ces deux études sont indubitablement des RIPH, analysent Mathieu Molimard et Philippe Amiel, elles devraient disposer a minima de l'avis favorable d'un CPP". Autrement dit, ces travaux rentrent bien dans le cadre de la loi Jardé. Quant aux 11 autres études, une analyse plus fine mériterait sans doute d'être effectuée. Dans un mail adressé à L'Express, l'AP-HM affirme qu'elle a lancé "une revue systématique de toutes les études en cours à l'IHU et sous promotion AP-HM afin d'assurer la parfaite concordance de chacune avec la réglementation". "Ces études m'interpellent particulièrement parce qu'aux Etats-Unis, les essais cliniques sur les sans-abri, considérés comme 'vulnérables', sont très surveillés, souligne de son côté Elisabeth Bik. Les autorités s'assurent qu'on ne leur propose pas n'importe quel traitement ou protocole contre un abri ou de l'argent. Je n'affirme pas que l'IHU a agi de la sorte, mais il est normal de demander si des autorisations ont bien été accordées".

Une "investigation" en cours des autorités

Interrogée à son tour, l'ANSM n'a pas voulu réagir au classement sans suite du parquet de Marseille, ni sur sa volonté de saisir les juges. Elle n'a pas non plus répondu à nos questions portant sur les potentielles problématiques des études citées dans cette enquête. L'agence indique néanmoins avoir été "récemment alertée", dans le cadre de son dispositif pour les lanceurs d'alerte, sur de possibles manquements de l'IHU de Marseille concernant des essais cliniques sur certaines études de l'Institut. "L'ANSM mène les investigations et vérifications nécessaires. Si ces investigations mettent en évidence des manquements à la réglementation des essais cliniques, nous prendrons des mesures sanitaires pour garantir la sécurité des participants et, le cas échéant, saisirons la justice", nous écrit-on. Également contacté par L'Express, l'IHU Méditerranée n'a pas donné suite à nos questions.

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"Une chose est sûre, il y a de nombreux soucis dans les études de l'IHU, résume Elisabeth Bik. Quand j'ai commencé à poser des questions, le Pr. Raoult aurait simplement pu me dire : 'il n'y a aucun problème technique ou éthique, nous avons simplement oublié de publier les documents qui l'attestent, les voici' et je serais passée à autre chose, au lieu de quoi il m'a attaqué sur le plan personnel et juridique". Le Pr. Marseillais a effectivement décidé d'intenter un procès à la chercheuse. Depuis, Elisabeth Bik subit une terrifiante vague de harcèlement sur les réseaux sociaux. Son adresse personnelle a même été révélée par un compte Twitter pro-Raoult bien connu, avant d'être retweetée par le Pr. Chabrière, un chercheur de l'IHU proche de Didier Raoult. "C'est troublant et cela donne surtout l'impression qu'il y a un loup", glisse la chercheuse. Des soupçons alimentés par les techniques peu orthodoxes employées par le professeur Raoult depuis des années. Et notamment sa propension à publier massivement des études de piètre qualité dans des revues scientifiques peu renommées et détenues par de proches collaborateurs. Un procédé peu éthique, mais légal, lui permettant de décrocher 10 millions d'euros par an pour le compte de l'AP-HM via le système SIGAPS, comme l'avait expliqué L'Express dans une enquête publiée en juin 2020. Les deux problématiques sont au moins en partie liées et révèlent les dégâts de "la course à la publication", un phénomène qui prend de l'ampleur depuis des années et ne concerne, malheureusement, pas uniquement l'IHU Méditerranée.

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