À la une…
Presse

Jamais sans mon gluten !

• Bookmarks: 385 • Comments: 1 3429


⚪️ PETITE DEVINETTE. Quel est le point commun entre un jambon sous cello­phane, un yaourt, une bière, une baguette de pain, une brique de pois­son pané, un pot de crème glacée, une saucisse et une tarte­lette indus­trielle ? Réponse : ils ont tous été enri­chis en glutenN1. Une des poudres magiques de l’in­dus­trie agroa­li­men­taire, qui l’uti­lise comme une super glue pour lier les sauces, agglo­mé­rer les protéines de pois­son ou de viande, mais aussi pour donner aux produits de pani­fi­ca­tionN2 le maxi­mum de volume en moins de temps possible. Chaque année, l’in­dus­trie de l’ami­don­ne­rie fran­çaise fabrique 170 000 tonnes de gluten. Chiffre d’af­faires : 2 millions d’euros.

Tout cela serait merveilleux s’il n’y avait la mala­die cœliaqueN3. Les scien­ti­fiques soup­çonnent cette over­dose de gluten de provo­quer une forte into­lé­rance alimen­taire qui affec­te­rait aujourd’­hui près de 8 % des Français. Parmi la flopée de symp­tômes repé­rés par les méde­cins : diar­rhée chro­nique, gaz, ballon­ne­ments, douleurs arti­cu­laires, érup­tions cuta­nées, à quoi s’ajoutent fatigue, irri­ta­bi­lité, voire dépres­sion. A côté des bras­seurs, des fabri­cants de yaourts ou de char­cu­te­rie, le secteur le plus friand en gluten est sans conteste l’in­dus­trie meunière. Celui-ci étant déjà présent dans le blé à l’état natu­rel, il n’est norma­le­ment pas besoin d’en ajou­ter pour faire monter la pâte, d’au­tant que sa teneur dans le blé n’a cessé d’augmenter.

Génétiquement sélec­tion­nées pour géné­rer de hauts rende­ments, les varié­tés modernes affichent 12% de gluten, contre 7% pour les épis tradi­tion­nels du début du siècle dernier. Mais, dans cette course effré­née pour contrac­ter le temps de fermen­ta­tion et de pétris­sage de la pâte, il faut toujours plus de gluten. Pourquoi se gêner, cette substance étant étique­tée comme un auxi­liaire tech­no­lo­gique et non pas comme un addi­tif, il n’existe aucune limite régle­men­taire sur la quan­tité qu’on a le droit d’ajou­ter ! Sans comp­ter que ces mêmes farines, pour la plupart ultra­raf­fi­nées, sont appau­vries en nutri­ments et farcies d’une palan­quée d’ad­di­tifs (« Conflit », 3/2).

Pour sortir de ce pétrin, il y aurait bien une solu­tion : que le minis­tère de la Santé déter­mine enfin une dose jour­na­lière de gluten à ne pas dépas­ser, avec à la clé une teneur maxi­male dans les aliments. Une idée qui file des boutons aux indus­triels de la meune­rie et de l’ami­don. Comme on dit, il y a encore du pain sur la planche… ⚪️

🔵 Lu dans Le Canard Enchaîné, CONFLIT DE CANARD, 9/3/2016, p. 5


Discussion

C’est donc effec­ti­ve­ment l’ajout (non règle­menté) de gluten en quan­tité illi­mi­tée dans les farines de boulan­ge­rie qui les rend toxiques, plus qu’une dégra­da­tion de la qualité des blés culti­vés (voir N4, N5 et N6). On peut veiller, en Europe, à ne consom­mer que des farines « bio » dans lesquelles l’ajout de gluten est inter­dit, et de préfé­rence du pain au levain car ce mode de produc­tion casse les molé­cules de glutenN7.

Évitons de sombrer dans la croyance en une toxi­cité intrin­sèque du gluten, diffu­sée par des natu­ro­pathes qui ne font que donner voix à une indus­trie lucra­tive du « sans gluten » !

Lucy Mailing (2018N8) explique que la sensi­bi­lité non-cæliaque au glutenN9 et certains cas de mala­die cæliaqueN3 sont liés à une dysbiose intes­ti­nale, et parfois confon­dus avec l’hyper­per­méa­bi­lité intes­ti­naleN10 ou une colo­ni­sa­tion bacté­rienne chro­nique de l’in­tes­tin grêle (SIBON11). Elle ajoute que la mala­die cæliaque est bien plus qu’une affaire de gluten et de gènes :

Beaucoup de gens pensent que la mala­die cæliaque est une mala­die géné­tique provo­quée par la seule expo­si­tion au gluten. Cependant, la géné­tique n’ex­plique qu’en­vi­ron un tiers de l’hé­ri­ta­bi­lité de la MC. Par exemple, les deux haplo­types (HLA-DQ2 et HLA-DQ8) repré­sentent les prédis­po­si­tions géné­tiques primaires à la MC. Pourtant, bien que ces gènes soient à la base de presque tous les cas de MC, seule­ment 2 à 5% des personnes porteuses de ces gènes déve­lop­pe­ront une MC.

Cela suggère que les facteurs envi­ron­ne­men­taux jouent un rôle majeur dans le déve­lop­pe­ment de la mala­die cæliaque, une notion étayée par plusieurs études publiées :

  • La prise d’an­ti­bio­tiques au début de la vie et la nais­sance par césa­rienne augmentent le risque de déve­lop­per une MCN12·N13.
  • Il a été démon­tré, dans des études sur des animaux, que le trai­te­ment anti­bio­tique en début de vie condui­sait à une expan­sion du phylum Proteobacteria et à une sévé­rité accrue des réac­tions au glutenN14.
  • L’allaitement prolongé et le main­tien de l’al­lai­te­ment lors de l’in­tro­duc­tion de gluten peuvent réduire le risque ou retar­der l’ap­pa­ri­tion de la MCN15.

Plusieurs groupes de recherche indé­pen­dants ont décou­vert que la MC était asso­ciée à un micro­biote intes­ti­nal altéré. Les études chez les nour­ris­sons ont confirmé que cette dysbiose semble précé­der le déve­lop­pe­ment de la mala­die. Dans une étude de cohorte de nour­ris­sons humains géné­ti­que­ment à risque de MC, les dimi­nu­tions rela­tives de l’abon­dance de Bifidobacterium et les augmen­ta­tions de Staphylococcus et Bacteroides fragi­lis dans des échan­tillons fécaux au début de la vie étaient asso­ciées à un risque plus élevé de déve­lop­per une MCN16. Des analyses plus récentes ont ont montré que les gènes HLA à haut risque eux-mêmes pouvaient influen­cer la compo­si­tion du micro­biote intes­ti­nalN17. Les nour­ris­sons présen­tant un haplo­type HLA-DQ2 ont présenté une augmen­ta­tion du nombre de Firmicutes et de Protéobactéries et une dimi­nu­tion du nombre d’Actinobactéries (y compris le genre Bifidobacterium).

Le gène FUT2 est égale­ment asso­cié à la MC et influe sur la compo­si­tion micro­bienne intes­ti­nale. Les indi­vi­dus qui possèdent deux copies d’une variante parti­cu­lière du gène FUT2 ne parviennent pas à sécré­ter certains compo­sés dans la couche de mucus de l’in­tes­tin. Cela se traduit par une alté­ra­tion des microbes asso­ciés au mucus et une réduc­tion de la diver­sité, de la richesse et de l’abon­dance des espèces de Bifidobacterium (N18 ; N19 ; N20).

[…] Des recherches sur les humains ont confirmé que les patients atteints de MC avaient des pertes de liquide dans le tube diges­tif et que la plupart des patients avaient une fonc­tion de barrière intes­ti­nale réta­blie après un régime sans glutenN21. Toutefois, d’autres facteurs peuvent égale­ment contri­buer à une alté­ra­tion de la fonc­tion de barrière, notam­ment de certains médi­ca­ments. toxines envi­ron­ne­men­tales, stress chro­nique, hyper­gly­cé­mie et régime alimen­taire extrê­me­ment raffiné.

L’étude de Bledsoe AC et al. (2018N22) signale aussi, pour la mala­die cæliaque, des carences en micro­nu­tri­ments, plus nette­ment le zinc, l’al­bu­mine, le cuivre et la vita­mine B12.

L’aller­gie au bléN23 n’entre pas dans ces catégories.

(Discussion ouverte…)

▷ Liens

🔵 Notes pour la version papier :
- Les iden­ti­fiants de liens permettent d’atteindre faci­le­ment les pages web auxquelles ils font réfé­rence.
- Pour visi­ter « 0bim », entrer dans un navi­ga­teur l’adresse « https://​leti​.lt/0bim ».
- On peut aussi consul­ter le serveur de liens https://leti.lt/liens et la liste des pages cibles https://leti.lt/liste.

  • N1 · i54t · Gluten – Wikipedia
  • N2 · 9s77 · Fabrication du pain – Wikipedia
  • N3 · 5w58 · Maladie cœliaque – Wikipedia
  • N4 · s41q · Can an Increase in Celiac Disease Be Attributed to an Increase in the Gluten Content of Wheat as a Consequence of Wheat Breeding ?
  • N5 · fz3n · Peptides from gluten diges­tion : A compa­ri­son between old and modern wheat varieties
  • N6 · kqgn · Detection and quan­ti­ta­tion of immu­no­ge­nic epitopes rela­ted to celiac disease in histo­ri­cal and modern hard red spring wheat cultivars
  • N7 · 3ryt · Le gluten est-il dangereux ?
  • N8 · 6unp · Gluten into­le­rance or gut dysbio­sis ? The role of the gut micro­biome in celiac disease and non-celiac gluten sensitivity
  • N9 · gsn0 · Sensibilité non-cœliaque au gluten – Wikipedia
  • N10 · jw6k · Hyperperméabilité intes­ti­nale – Wikipedia
  • N11 · eda2 · Colonisation bacté­rienne chro­nique de l’in­tes­tin grêle – SIBO – Wikipedia
  • N12 · w4vl · Cesarean Delivery Is Associated With Celiac Disease but Not Inflammatory Bowel Disease in Children
  • N13 · cmx9 · Pregnancy Outcome and Risk of Celiac Disease in Offspring : A Nationwide Case-Control Study
  • N14 · xnsf · Intestinal Microbiota Modulates Gluten-Induced Immunopathology in Humanized Mice
  • N15 · ffbj · Effect of breast feeding on risk of coeliac disease : a syste­ma­tic review and meta-analysis of obser­va­tio­nal studies
  • N16 · 9ed3 · Influence of Milk-Feeding Type and Genetic Risk of Developing Coeliac Disease on Intestinal Microbiota of Infants : The PROFICEL Study
  • N17 · 3zw9 · The HLA-DQ2 geno­type selects for early intes­ti­nal micro­biota compo­si­tion in infants at high risk of deve­lo­ping coeliac disease
  • N18 · bmab · Faecal micro­biota compo­si­tion in adults is asso­cia­ted with the FUT2 gene deter­mi­ning the secre­tor status
  • N19 · sg8a · Secretor geno­type (FUT2 gene) is stron­gly asso­cia­ted with the compo­si­tion of Bifidobacteria in the human intestine
  • N20 · fq0b · Colonic mucosa-associated micro­biota is influen­ced by an inter­ac­tion of Crohn disease and FUT2 (Secretor) genotype
  • N21 · nlnp · Intestinal Permeability in Long-Term Follow-up of Patients with Celiac Disease on a Gluten-Free Diet
  • N22 · 625b · Micronutrient Deficiencies Are Common in Contemporary Celiac Disease Despite Lack of Overt Malabsorption Symptoms
  • N23 · kocs · Allergie au blé – Wikipedia

Article créé le 16/03/2016 - modifié le 5/11/2023 à 07h25

385 recommended
1 commentaires
3429 visites

1 thoughts on “Jamais sans mon gluten !

  • Lu sur la page http://www.boulangerie.net/forums/bnweb/dt/gluten/gluten3.php :

    L’accroissement de la demande en gluten par les branches utilisatrices, notamment par la minoterie et par la boulangerie industrielle, s’est fait en raison non seulement du développement de la consommation de pains spéciaux, mais aussi du renforcement des exigences techniques pour les pains usuels […]. L’industrialisation de la panification, c’est la mécanisation de plus en plus intensive de la pâte, par le pétrissage chronométré dans un pétrin fermé, le pesage volumétrique compressant la pâte, le raccourcissement de la fermentation en masse (le pointage).

    48

Écrire un commentaire...

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Translate / traduire